Comme presque toutes les nations, nos pays européens sont nés et ont grandi dans et par la guerre. Notre Europe est sans doute le continent dont l’histoire fut le plus celle de la guerre.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’académie de Corse
Ce n’est que depuis 1958 avec le Traité de Rome et la création de la Communauté européenne qui deviendra l’Union européenne que la paix succéda à la guerre comme moteur de son histoire. Du moins, il nous plaît de le dire et de le redire. Ce n’est pas complètement faux à condition de ne pas tenir compte des projections militaires hors du continent ou la participation à des conflits extérieurs en Afrique, au Moyen-Orient… Mais ce n’est pas non plus complètement vrai, loin de là, car c’est oublier la guerre de l’ancienne Yougoslavie, celle de Géorgie contre les séparatistes ossètes du Sud et la Russie qui annonce le conflit ukrainien. C’est aussi oublier des guerres intérieures voire civiles comme celle d’Irlande du Nord. Les affrontements entre les républicains séparatistes et catholiques de l’Ulster et les partisans protestants orangistes fidèles au Royaume-Uni ont conduit jusqu’à l’attentat qui tua le 27 août 1979 Lord Louis Mountbatten, cousin de la Reine. Il faudrait aussi mentionner l’intervention soviétique en Hongrie de 1956 et celle de 1968 en Tchécoslovaquie dont la conséquence tardive fut celle de la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie au Nouvel An 1993, trois ans après « la révolution de Velours » qui vit la dislocation de la Tchécoslovaquie. C’est aussi oublier la guerre d’Algérie que la France a longtemps refusé de reconnaître comme guerre mais comme opération de maintien de l’ordre. Le Kremlin dit aujourd’hui ne pas faire la guerre à l’Ukraine mais mener une opération militaire spéciale.
L’histoire bégaie
L’idée européenne a réussi à mettre en œuvre la paix entre les pays de l’Union. Pourtant ce serait encore une illusion d’en conclure qu’elle ait réussi à faire disparaître la guerre du sol européen.
Malheureusement, l’agression féroce de l’Ukraine par la Russie n’est pas aussi surprenante que beaucoup l’ont affirmé. Les derniers événements confirment la formule du président François Mitterrand : « Le nationalisme c’est la guerre. » On pourrait modifier aussi notre regard sur l’histoire récente et bien comprendre que le stalinisme avant d’être une sinistre dérive du communisme a été un nationalisme terrible. Les nationalismes, le nazi de Hitler et le soviétique de Staline, se sont d’abord accordés pour détruire l’hégémonie britannique et française pour ensuite s’affronter entre nationalismes rivaux.
L’erreur de Staline fut de ne pas prévoir que le nationalisme nazi se retournerait contre le soviétique. Il n’y a pas d’autre signification à la folle justification de Poutine pour son invasion de l’Ukraine au prétexte de combattre le retour de néonazis et de poursuivre « la grande guerre patriotique » comme l’appellent les Russes.
Les vérités de Montesquieu
Il faut ici porter notre attention sur l’adjectif « patriotique ». Un patriote n’est pas un nationaliste et un nationaliste peut ne pas être un patriote comme l’ont montré les nationalistes pétainistes, collaborateurs du Troisième Reich et de Hitler.
Leur idéologie était la révolution nationale. Le concept de nation renvoie à l’hérédité, à la naissance et au droit du sang, celui de patrie à l’héritage et au droit du sol, à la culture. Un patriote a sa patrie en héritage et dément la formule qu’une députée française d’extrême droite attribuait bien vite et sans doute faussement à Montesquieu : « le droit du sol est l’absurdité qui consiste à dire qu’un cheval est une vache parce qu’il est né dans une étable ».C’est confondre grossièrement citoyenneté et nationalité. Montesquieu disait dans ses Pensées « qu’il était né français par hasard », comme le cheval dans l’étable. Mais, en précurseur, il appelait à faire le choix de la citoyenneté et même celui du cosmopolitisme. Ce choix est un refus du nationalisme et au contraire une affirmation du patriotisme humaniste.
L’exemple de Marie Curie
Penser comme Montesquieu, promouvoir l’universalisme, c’est contribuer aux Lumières, mouvement éminemment européen. Ainsi Marie Curie devient le modèle même de la citoyenne française. Elle venait de la nation polonaise et devint française par son histoire et son choix de citoyenne. C’est pour cet idéal que l’Ukraine a émis le vœu d’entrer dans l’Union européenne et de ne pas se laisser réduire à un peuple frère des Russes. C’est contre cet idéal que le nationaliste Poutine, aux discours semblables à ceux de notre pire extrême droite, a entrepris de détruire ce pays. Pour son idéologie du primat de la force, la grandeur de l’Europe n’est que décadence. Tel est le visage du totalitarisme qui ne peut que conduire à la guerre.
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