Le mot « palimpseste » est un joli terme qui désigne un parchemin dont on efface le texte pour en écrire un nouveau. Certains écrivent l’histoire comme les copistes médiévaux usaient de palimpsestes. Régulièrement pour des prétextes divers, ils la réécrivent. Pour eux, le meilleur de ces prétextes est la cause des opprimés et la marche du progrès de l’humanité.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Un des plus beaux est Le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte où Karl Marx laisse à penser que l’histoire du Second Empire serait un mauvais remake du Premier et de la Révolution allant jusqu’à dire que l’histoire « se répète toujours deux fois, la première d’une manière tragique, la seconde d’une manière comique ». Le texte est beau et sa référence permet des effets de rhétorique auxquels il est difficile de résister. Mais cette réécriture a un gros défaut, elle est fausse. La fin du Second Empire avec la Commune de Paris n’est pas d’abord une page de la lutte de classes même si elle le devient dans la mémoire révolutionnaire : La Commune de Paris commence avec Gambetta s’échappant en ballon refusant la défaite de 1870 et l’occupation prussienne de Paris. Lénine s’en inspirera sans doute en justifiant l’explosion de la Révolution prolétarienne en Russie de 1917 par la théorie du maillon le plus faible, corrigeant le marxisme pur pour qui cette Révolution ne pouvait se produire que dans un pays au capitalisme fortement développé comme l’Angleterre alors que la Russie demeurait plutôt économiquement peu développée, l’impérialisme devenant ainsi la forme achevée du capitalisme international.
Mais la culture marxiste contemporaine du fait d’une lecture bien rapide et superficielle du grand penseur qu’est Karl Marx a trouvé ces derniers temps une pratique plus radicale du palimpseste historique, elle n’efface pas simplement le texte précédent, elle voudrait effacer les faits eux-mêmes et déboulonner les statues de ses acteurs éminents. C’est ce qu’on appelle par américanisme la cancel culture, la culture de la suppression radicale.
On revient peut-être à la table rase, non pas celle d’un doute provisoire au nom de la raison cartésienne mais à celle de la révolution culturelle maoïste.
Islamo-gauchisme
C’est, peut-être dans un verre d’eau mais peut-être aussi signe d’obscurantisme, la bataille des idées autour de l’histoire de l’esclavage et du concept d’islamo-gauchisme. Pour l’esclavage, nul ne peut contester qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité. Sa cruauté est extrême et elle redouble quand l’esclavage n’a plus sa source comme dans l’Antiquité dans la guerre et son « malheur aux vaincus » mais dans la traite et le commerce triangulaire. De nombreux illustres auteurs des Lumières en ont fait leur fortune mais ce n’est sans doute pas une raison pour cesser de lire Montesquieu ou Voltaire. Il n’est pas rare qu’un authentique progressiste ait de fâcheuses zones d’ombre dans sa vie privée. Rousseau avec son Émile modifie totalement l’idée de l’enfant et de la mère mais pour des raisons économiques abandonne les siens. Qui aurait l’audace de déboulonner les statues de Luther King qui perdit la vie dans son combat pour les droits civiques au nom du féminisme parce que dans sa vie privée il n’était pas nécessairement un parangon de vertu. Et que penser de ceux qui récemment ont déboulonné aux Caraïbes une statue de Schœlcher qui combattit toute sa vie l’esclavage ? On peut critiquer le concept d’islamo-gauchisme et penser que l’intervention de la ministre de l’Enseignement supérieur est maladroite, mais affirmer comme viennent de le faire quelques centaines d’enseignants qu’il s’agit d’une pensée d’extrême droite alors que ce concept provient de Pierre-André Taguieff dont le travail est une lutte contre tous les racismes, le populisme et ce qu’on a appelé, la Nouvelle Droite.
Esprit munichois
En fait, nous n’avons pas affaire à un travail historique mais à une manifestation d’une bonne conscience qui se fait conscience malheureuse au point de préférer l’autoflagellation surtout symbolique. L’histoire n’est pas un palimpseste mais une histoire du présent où les problématiques contemporaines jettent un regard nouveau sur le passé permettant d’en dénoncer non seulement les ombres mais encore les noirceurs. Finalement la cancel culture, non pas celle de la mémoire des victimes et des opprimés mais celle des dominants culturels en leur repentance, est une attitude confortable leur permettant de combattre les mots et demeurer impuissants devant les faits. C’est parmi eux qu’on recrute les Munichois.
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