Les commémorations de la Libération sont sans conteste légitimes. Mais les hommages officiels et les manuels scolaires occultent le fait que la Corse chassa de son sol l’occupant huit mois avant le débarquement. Contrairement à ce qui est repris en leitmotiv, c’est Ajaccio et non Sainte-Mer-Église qui fut la première ville de France à recouvrer sa liberté.
Par Jean Poletti
6 juin à l’aube. L’immense armada approchait les côtes de Normandie. Débarquement des armées alliées. La progression sur les plages. L’incursion dans les terres. Et l’avancée victorieuse jusqu’au cœur d’un Reich, qu’un führer sanguinaire voulait millénaire. Depuis, chaque année, le 6 juin, les autorités officielles saluent cette victoire sur la barbarie. Ils répètent à l’envi des tirades qui évoquent les combats, le sacrifice et Sainte-Mer-Église qualifiée de première commune libérée. Si l’histoire est la science du passé, nul doute que la forfaiture est patente dans ce rappel mémoriel.
L’oubli devient falsification tant il foule aux pieds la vérité qui occulte une page glorieuse de notre île.
Doit-on une nouvelle fois rappeler que de nombreux courriers sont régulièrement adressés aux instances gouvernementales pour que soit réparée une injustice flagrante qui n’a que trop duré.
Faut-il souligner que c’est le résistant communiste Léo Micheli, décédé en août dernier, qui rédigea l’appel à l’insurrection. Est-il opportun de rappeler que le 8 septembre 1943, l’opération Vésuve fut déclenchée, aboutissant après de rudes combats, à Carbini, Teghime et ailleurs à la Libération de l’île. Alors que sur le continent des foules applaudissaient encore Pétain.
L’auréole du maquis
Les résistants regroupés sous la bannière du « Front national », celui qui brandissait le poing et ne tendait pas la main en forme de salut, se heurtèrent frontalement aux nazis et fascistes. Ces combattants de l’ombre reçurent l’aide et l’appui du fameux bataillon de choc. Et des goumiers et tabors qui luttèrent parfois à l’arme blanche contre les SS de sinistre mémoire et autres Chemises noires mussoliniennes.
Dans cette épopée, qui confine à la légende, nombreux périrent en se dressant contre « le vol noir des corbeaux sur la plaine », comme le chantaient les partisans. Parmi eux, Jean Nicoli, décapité dans les geôles bastiaises, Fred Scamaroni, Dominique Vincetti, Pierre Griffi, André Giusti, Jules Mondoloni, Michel Bozzi, Jean Luiggi. Avec nombre de leurs camarades, ils devinrent martyrs, accédant dans la mémoire collective au rang du symbole alliant courage et abnégation.
« Je meurs pour la Corse et mon parti », griffonna Nicoli sur un paquet de cigarettes quelques instants avant son exécution. Une simple phrase portant témoignage de cette indicible transcendance qui élève l’Homme jusqu’à l’univers sacrificiel où trônent les héros.
Tous bandits d’honneur, dira dans son ouvrage Maurice Choury en hommage à ses frères d’armes du maquis. Devant ces pages écrites ou colportées par le vent de l’impérissable souvenir, la conscience se révolte en les voyant cadenassées dans les tiroirs de l’oubli. Par quelle obscure raison un tel épisode aux accents d’épopée est-il occulté ?
Linceuls souillés
Sans déceler les traces d’un ostracisme qui ne dit pas son nom, rien n’interdit d’évoquer une faute originelle qui prit au fil des décennies les traits d’une vérité admise jusque dans les plus hautes sphères étatiques. La Corse depuis des lustres se trouve dans la position de quémandeuse, alors que la reconnaissance de son action aurait dû couler de source dès le lendemain de la Libération.
Cette réécriture, qui souille la sincérité, fait sans doute retourner dans leurs linceuls les défunts assassinés par leurs bourreaux à l’idéologie totalitaire. Des voix d’outre-tombe semblent réclamer dans un éternel murmure que cette injustice soit enfin réparée. En écho, associations ou individualités alertent les décideurs nationaux. Ils prêchent dans le désert. Comme si les récriminations forgées dans l’équité n’étaient pas recevables dans le concert admis et validé qui ne fait nulle place à notre île.
De guerre lasse, nombreux sont ceux qui renoncent dans cette lutte inégale. D’autres persistent et signent. En vain.
Et pourtant de Gaulle lors de son déplacement insulaire martela : « Les patriotes corses auraient pu attendre que la victoire des armées alliées réglât heureusement leur destin. Mais ils voulaient eux-mêmes être vainqueurs. »
Soulèvement précurseur
Il n’empêche au mépris des évidences, chefs d’États successifs, ministres des Anciens combattants et concepteurs de livres dédiés aux écoliers persistent et signent sans atermoiement. La Libération a débuté le 6 juin 1944 lors de l’offensive « Overlord ». Omaha, Utah et autres lieux de débarquement sont mis sur un piédestal. Ce n’est que justice. À condition que ne soit plus effacé le précédent convoquant l’épique de ce fameux 8 septembre 1943 où la Corse se souleva devant ainsi le premier morceau de France libérée…
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