La boussole des idéologies tant politiques que religieuses s’affole et les débats se font bien souvent à front renversé.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
La droite qui se voulait républicaine cesse bien souvent de l’être pour se faire populiste au point que la droite extrême voire l’extrême droite qui traitait la République de « gueuse » s’empare de l’idée républicaine pour s’en faire le porte-drapeau tout aussi illégitime que trompeur. La gauche dont les combats ont toujours été ceux de la laïcité abandonne cette idée qui est le singulier honneur de la France pour défendre les radicalismes religieux qui veulent s’en débarrasser.
Pire l’Université qui était le lieu du débat éclairé par la Raison ne résiste que très peu à le bannir au profit d’idéologies totalitaires certes minoritaires mais dont l’activisme et les criailleries étouffent la rationalité. Sans être trop excessif, on s’apprête à revivre en France le temps du fascisme espagnol qui dénonçait toute culture pour finir par s’exclamer : « Viva la muerte ! », « Vive la mort ! », cri qui s’efforce aujourd’hui de percer sinistrement en temps de pandémie. Face à un tel recul des Lumières, face à ce brouhaha d’inculture et à cette tentation de destruction, les médias se délectent à s’en faire les porte-voix tout en y ajoutant une déploration, digne de Tartuffe.
Trahison des clercs
Ce tableau des temps contemporains sera jugé par beaucoup comme excessif, mais aujourd’hui la bête ne réapparaît pas parce qu’on crie trop au loup, mais parce que dans la béatitude coupable d’un individualisme consumériste on fait taire toutes les « Cassandre » et on se bouche les oreilles aux avertissements des rares clercs qui ne veulent pas trahir : on aurait bien besoin d’un nouveau Julien Benda non seulement pour réécrire une nouvelle Trahison des Clercs pour les temps contemporains mais encore pour écrire celle de la presse non seulement en ligne mais tout aussi audiovisuelle qu’écrite. C’est ainsi que de nombreux anciens hommes et femmes de progrès sombrent dans la cancel culture resucée de la révolution culturelle chinoise mais à la sauce américaine et capitaliste. Ils récusent un front républicain même de circonstance et se préparent à une collaboration qui ne sera pas de circonstance. Il n’est plus à l’ordre du jour de promouvoir ou tout simplement de défendre la liberté de conscience car la tombe où l’œil regardait Caïn a solidement été fermée et scellée.
Faut-il pour autant désespérer et stoïquement continuer « à entreprendre sans espérer » et « à persévérer sans réussir » pour paraphraser la formule de Guillaume d’Orange. Peut-être pas car au milieu des myriades de paroles tout aussi gelées que funèbres, se font entendre quelques voix, peut-être de prophètes qui ne sont pas de mauvais augure mais bien plutôt d’espérance.
L’apôtre de la liberté de conscience
Ces paroles ne viennent pas de là où on les attendait. Il en va ainsi du pape François lors de son surprenant et courageux voyage en Irak. Sur cette terre, Ies religions diverses ont non seulement longtemps cohabité mais vécu ensemble, il plaide pour la liberté religieuse condition de la paix religieuse et rencontre le grand Ayatollah Ali Al Sistani, plus haute autorité spirituelle du chiisme, qui en réponse affirme le droit aux chrétiens de vivre chrétiennement en Irak et dénonce la dérive politique du chiisme iranien.
Mieux encore ce pape fait appel à la liberté de conscience que la vieille église combattait cruellement tant par l’Inquisition que la révocation de l’Édit de Nantes. Il a d’ailleurs par cette visite sorti de la torpeur de sa retraite son prédécesseur, le pape émérite Benoît XVI qui, se faisant écho de ce qu’il y a de plus réactionnaire à la Curie, a dénigré ce voyage.
Nous sommes bien à front renversé pour compter sur le pape pour défendre la liberté de conscience. Mais il est vrai qu’il a choisi le nom de François : on pensait qu’il se référait à François d’Assise, ce qui était beaucoup voire beaucoup trop pour une Église qui avait osé mettre un jésuite à sa tête, dont la « Compagnie de prêtres » avait suscité la méfiance et l’ire de son prédécesseur.
D’un François, l’autre
Au nom de la liberté de conscience, n’hésitons pas à faire preuve aimablement d’humour teinté d’ironie en se demandant si paradoxalement il n’y aurait pas comme un clin d’œil à un autre François, du nom d’Arouet qui choisira de s’appeler Voltaire.
Disons en toute fraternité intellectuelle avec le vieux Voltaire que « l’Infâme » n’est plus celle qu’il croyait.
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