L’opinion commune mais aussi la science politique qualifient nos temps d’affaiblissement voire de fin de la religion au sein de la société française et européenne. Elle dit l’inverse de ce qu’on fait dire à Malraux et qu’il n’a sans doute jamais dit : « Le vingt-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas. »
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Certains lui font même dire « religieux » et non pas « spirituel ». Mais peu importe le prononcé ou pas de cette formule, elle est significative de sa pensée et de son œuvre. L’hésitation entre « religieux » et « spirituel » n’est pas sans importance. La spiritualité d’un peuple peut très bien se maintenir voire se développer en même temps que les institutions religieuses déclinent : elle devient libre et débridée mais son débridement hors toute institution religieuse peut aussi se muer en quelque délire sectaire. Quoi qu’il en soit presque tous s’accordent à penser que Malraux se serait fourvoyé.
Et pourtant… La grande réussite populaire de la visite du pape à Ajaccio semble montrer le contraire d’autant plus que beaucoup d’incroyants ou mécréants ont été très heureux de l’accueillir. On objecterait qu’il s’agit ici d’une singularité de l’île très enracinée dans sa culture catholique. Mais la visite de François à Marseille a connu un aussi vif succès. Les églises se vident certes, les vocations se raréfient mais les foules accueillent triomphalement le pape.
L’église au centre du village
La religiosité habite bien toujours notre société même si elle a tendance à se dissocier de la foi. Il s’agit d’un besoin de ritualisation sacrée qui ne se confond pas avec la foi. Les grandes cérémonies soviétiques sur la Place Rouge étaient bien des célébrations religieuses sans Dieu, allant jusqu’à créer un musée de l’athéisme.
La France et l’Europe se déchristianisent peut-être, le nombre de baptêmes à la naissance en effet ne cesse de diminuer mais l’église demeure au centre du village. L’incendie de Notre-Dame de Paris a ému aux larmes des millions de Français, croyants ou incroyants, sa renaissance a tout autant été un moment de joie et de fierté nationale. S’il y a quelque réalité dans le phénomène de déchristianisation, en revanche les religions minoritaires semblent prospérer. C’est bien évidemment le cas de l’islam au point de devenir islamisme chez beaucoup de jeunes musulmans. À une moindre échelle le bouddhisme gagne des adeptes au point que depuis plusieurs années les émissions télévisuelles du dimanche matin ont dû lui faire sa place. Si d’un côté la France se fait de plus en plus incroyante voire athée, de l’autre les Français semblent toujours manifester un besoin de liens rituels et de référence transcendante.
Guerres de religion
Plus notre société se transforme en un archipel de petites communautés d’individus, plus le lien social se dénoue sous l’effet du consumérisme imposé par un néolibéralisme cynique, plus la nation se défait en communautés diverses renforcées par les réseaux asociaux, plus les grands événements religieux ou simplement spirituels attirent les foules. Plus on croit se libérer des religions, plus on s’apprête à s’engager dans des guerres de religions. La guerre d’Irlande fut un affrontement entre chrétiens protestants et catholiques ; la guerre de Yougoslavie ne peut se comprendre en ignorant le conflit entre trois religions, la catholique, l’orthodoxe et la musulmane, chacune recouvrant une des identités nationales formant l’ancienne fédération yougoslave. Les aventures guerrières de la Russie ne sont pas dénuées d’affrontements religieux. Quant aux guerres du Moyen-Orient, nul n’est besoin de le dire non seulement pour l’affrontement entre Israël et la Palestine mais aussi au sein du monde arabe entre, pour aller vite car c’est plus compliqué, sunnites et chiites.
Qu’elle soit joyeuse ou tragique, la dimension religieuse ne s’efface qu’en apparence de notre monde et continue de le structurer ou de le déstructurer. Cela est ainsi parce que toute société a besoin de verticalité pour faire société et ne peut se limiter à être un marché. Toute société a besoin de ritualisation pour rendre solides et efficaces les liens entre ses membres.
Fait social
Le fait religieux comme le montre Régis Debray est au cœur de toute société et l’omettre ou le négliger c’est s’interdire toute compréhension du fait social. Ne pas en tenir compte c’est dénouer tous les liens sociaux pour transformer toute société en marché de Noël sans Noël.
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