Louis Amadori, mémoire vive de la Corse
Son échoppe est sans nul doute la plus vintage de Bastia. Louis Amadori a pris ses quartiers au 11, boulevard Auguste Gaudin en 1982. Photographe tout terrain, il a à son actif près de 3 millions de clichés. Il est également un grand et infatigable collectionneur d’images anciennes. Rencontre…
Par Petru Altiani
Même après 55 ans de carrière, il ne ménage ni son temps ni son objectif pour étoffer son remarquable fonds de photographies, s’articulant autour d’environ 4 000 thèmes.
De l’agriculture aux bandits, en passant par les confréries, le football, la politique, les rallyes, les 359 communes corses… Des dossiers et sous-dossiers parfaitement ordonnés sur ses nombreux disques durs. « Il y en a pour 30 téraoctets d’images », souligne fièrement Louis Amadori, personnalité ô combien éclairante et éclairée.
Un véritable trésor qu’il a à cœur de partager au quotidien. Expositions, formations et autres rencontres, dans son studio-photo à Bastia mais pas seulement, le contact et la transmission sont des notions primordiales pour le photographe et collectionneur de 70 ans, toujours adepte du footing.
Lui qui a fait ses armes à l’adolescence. À cette époque, c’était bien sûr la photographie argentique qui régnait en maître. « Il s’agissait d’un travail minutieux, avant, pendant et après dans la chambre noire. Cela nécessitait exactitude et patience. Ce qui faisait de chaque tirage une œuvre unique, avec un rendu beaucoup plus noble, à mon sens, d’un point de vue artistique, qu’avec un appareil numérique. »
C’est un film qui a donné, en 1966, à Louis Amadori l’envie de mettre le pied à l’étrier de la photographie. « Le titre était Blow Up, réalisé par Michelangelo Antonioni qui avait d’ailleurs raflé la Palme d’or au Festival de Cannes 1967. »
Et d’ajouter : « Au cœur de ce récit policier, on retrouvait un jeune photographe qui, dans un parc de Londres, avait surpris ce qu’il croyait être un couple d’amoureux. Il découvrait ensuite sur la pellicule une main tenant un revolver et un corps allongé dans les buissons… »
Féru de cinéma, Louis Amadori se remémore être allé une première fois voir Blow Up en compagnie de copains et de copines. « Voir était un bien grand mot, on avait papoté et je n’avais pu vraiment me concentrer sur l’histoire. Mais cela a suscité chez moi un réel intérêt. À un point tel que j’y suis retourné, le lendemain, tout seul une deuxième fois, et puis même une troisième… »
Celui qui a grandi au sein d’une famille de huit frères et sœurs, avec des racines à Siscu, a alors commencé en amateur grâce à l’acquisition d’un premier Nikon. Une marque à laquelle il est toujours fidèle aujourd’hui.
Bastia au cœur
Très vite, chez lui, l’envie de monter sa propre affaire prend forme. Il s’installe, en 1972, au 4, avenue Émile Sari, dans un appartement où il a pu aménager son premier laboratoire.
« Loulou », comme se plaisent à le surnommer ses amis, part à l’assaut des plus belles images de cette ville qu’il chérit tant : Bastia. Son quartier de prédilection, le Vieux-Port, pour lequel il compte notamment dans ses archives pas moins de 100 000 pellicules diapositives et négatifs noir et blanc.
Le jour de notre rencontre, pour la rédaction de cet article, Louis Amadori remontait d’un reportage-photos… de Terra Vecchia, ayant donné lieu à 600 nouvelles prises de vue, qu’il a immédiatement archivées.
« J’aime photographier les passants, les casali, leurs façades, celles des commerces, et bien sûr le Mercà, l’église de San Ghjuvà et son majestueux campanile. »
Par le biais des images de Louis Amadori, minutieusement classées par thème et par année, il est possible de revivre l’évolution sociale, économique et urbanistique de la cité génoise.
Dès ses débuts, ce dernier a su se faire un nom, en remportant différents prix.
En 1971, il est le grand gagnant d’un concours organisé par la revue nationale Photo Tribune, avec un panorama de la place du marché de Bastia, à travers l’horloge du clocher de l’église Saint-Jean-Baptiste. Une photographie qui occupe une bonne place à l’intérieur de sa boutique située depuis 1982 au 11, boulevard Auguste Gaudin.
Comme cet autre cliché, mettant en scène des gens du voyage squattant, dans les années 70, un immeuble du Puntettu, qui lui avait permis de rafler la première place d’un second concours, parmi plus de 100 exposants au théâtre municipal de Bastia.
Dans le lot des nombreux portraits affichés sur ses murs, François Mitterrand, Gilles Simeoni, l’équipe du Sporting Club de Bastia de 1993, Johnny Hallyday, lors de son concert à U Cateraghju en 1975, ou encore Mick Jagger, de passage sur le Vieux-Port en 1971.
Les anecdotes ne manquent pas. « Mick Jagger ne souhaitant pas forcément être photographié, je me souviens qu’il m’avait fait un joli doigt d’honneur », confie Louis Amadori, dans un large sourire.
Dans la liste de ses reportages marquants, les événements d’Aleria en août 1975. « J’avais 25 ans à peine, c’était l’une de mes premières couvertures importantes pour la presse. Je n’avais pu réaliser qu’une quarantaine de photos, avant d’être bloqué, menotté pendant 2 heures dans un fourgon de police. »
Des scoops
En couvrant une ribambelle de manifestations politiques, Louis Amadori dispose là aussi d’un incroyable fonds de photographies, en comprenant les visites présidentielles dont l’île a fait l’objet.
Le photographe bastiais a ainsi pu collaborer avec un grand nombre d’agences et de titres de presse, dont évidemment Le Provençal et Corse-Matin.
Les courses automobiles et plus particulièrement le Tour de Corse font aussi partie du long curriculum vitae de Louis Amadori. Ce qui lui a valu des scoops de premier plan à l’image de l’accident aux commandes d’une Lancia Martini d’Attilio Bettega, alors champion du monde des rallyes. « C’était lors du 26e Tour de Corse, en 1982, Bettega s’était planté dans un virage, juste devant moi. J’avais signé 120 photographies exclusives, du choc à la désincarcération du pilote italien, qui ont été vendues et diffusées dans le monde entier. Le président de Lancia en personne m’avait même commandé les principaux clichés en 4 exemplaires. »
« Attilio Bettega avait pu se remettre de cet accident mais avait péri lors d’une autre édition du Tour de Corse, trois ans plus tard, sur une spéciale du côté d’Ajaccio », se rappelle encore Louis Amadori.
D’autres moments dramatiques ont agrémenté son très riche parcours photographique, au premier rang desquels la catastrophe de Furiani en 1992. « J’avais réalisé plus de 900 négatifs et diapositives, parus, pour la plupart, à la une des journaux y compris à l’international », dit-il non sans émotion, tant il était au cœur de cette tragédie. « J’en avais par ailleurs fourni aux services judiciaires aux fins d’enquêtes, d’identifications et de procès. »
« Lorsque je passe en revue certains de mes dossiers d’images, il me revient en mémoire des épisodes que je n’ai pas oubliés mais que j’ai au contraire rangés dans un coin de ma tête. Sans photo, pas de mémoire, pas d’histoire. C’est bien plus qu’une forme de témoignage, c’est la vie, ma vie… », souligne Louis Amadori.
D’incroyables collections
D’où son inlassable passion de collectionneur. En matière de photographies, il n’a probablement pas d’égal en Corse. De cartes postales également. Il en possède plus de 400 000 représentatives de la ville de Bastia et de toute l’île qui ont conduit à la publication de différents ouvrages dont Bastia au fil du temps chez DCL en 2011. Même engouement pour les photos d’écoles anciennes qui sont au nombre de 4 000 dans ses armoires.
« J’ai acquis les fonds et archives encore existants de photographes connus des générations précédentes comme Moretti, Tomasi, Miramont, Lapie, Lacigogne… Ce qui me permet de détenir en clichés, plaques de verres, photos, quelques 50 000 vues de l’île sur divers thèmes », poursuit Louis Amadori qui s’est rendu à plusieurs reprises à Gênes ou à Pise pour compléter ses albums à partir des archives relatives à la Corse.
Les cartes postales et les photos d’écoles anciennes, deux collections majeures qui ont été mises en lumière dans le cadre d’émissions spéciales diffusées par France 3 Corse. Il avait pu y présenter ses autres incroyables pièces, à savoir les appareils photos et cinémas anciens, les minéraux et fossiles, les pièces de monnaies anciennes, les livres et revues anciennes de Corse, les bandes dessinées anciennes, les disques vinyles ou encore les personnages historiques de la Corse…
Trois de ses fonds de photographies « La pêche insulaire en images », « Le Sporting Club de Bastia » et « Bastia et sa région » sont proposés sur le site Internet de la médiathèque culturelle de la Corse et des Corses à l’Université de Corte. « Une marque de reconnaissance du travail accompli et beaucoup de plaisir à le partager à large échelle », se réjouit Louis Amadori.
Polyvalence et optimisme
Il est, d’autre part, membre de l’association Franciscorsa fondée en 1973 par le Père André-Marie et quelques pionniers dont le but est de maintenir à Bastia la gestion, l’utilisation et le développement des fonds rassemblés initialement dans les couvents franciscains de l’île.
Lorsqu’on demande à Louis Amadori quelle est la plus belle photo qu’il a prise, il répond sans sourciller « c’est la prochaine que je vais faire ».
À côté de l’enseigne emblématique « Amadori di Ritratti » de son échoppe, il affiche sa polyvalence. « Portraits, mariages, identités, reportages, reproductions, occasions, dépôt-vente, achat-vente, réparations-expertises, cours de photos… Je suis un peu un couteau-suisse », plaisante-t-il.
Une échoppe à travers laquelle il a vu Bastia se métamorphoser. « À mon installation, le boulevard Auguste Gaudin était déjà un peu en perte de vitesse », explique Louis Amadori. « Il y avait déjà un petit turn-over dans certains commerces. J’ai tenu bon, malgré une vraie galère dans les années 85-90. Heureusement, d’ailleurs, qu’à partir de cette période, j’ai débuté les shootings de ce que l’on appelle « les jours heureux ». J’ai couvert, depuis, plus de 4 000 communions et de 2 500 mariages dont le premier était, en 1990, à Pedicroce. »
Les raisons de la déperdition de cette artère commerciale de Bastia, très passante, ont pour lui été clairement identifiées. « La construction du tunnel en 1982 puis le déplacement de la gare routière de la place d’Armes au bas de la place Saint-Nicolas ont été fatals. » Photos à l’appui, naturellement, puisque Louis Amadori a suivi de près chacun de ces changements, tout comme la récente construction du Spaziu Gaudin, enterré de 5 niveaux, proposant 303 places de stationnement, et inauguré au mois de juillet dernier.
« C’est une aubaine pour le quartier, ça apporte déjà un certain dynamisme. Des commerces fermés depuis plusieurs années ont fait peau neuve et réouvrent. Espérons que cela fonctionne, d’autant qu’avec la crise liée à la Covid-19 on a vraiment morflé. »
Selon Louis Amadori, il faut toujours voir l’avenir d’un bon œil. Avec ou sans flash !
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