Dura lex, sed lex, dit la maxime. Sans doute. Mais en contrepoint, l’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, affirme « Il y a un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime. » Telle est au-delà de l’affaire Cazalas, accusé d’un meurtre, la bataille entre l’autorité judiciaire et les avocats pour la libération d’un détenu souffrant d’un cancer en phase terminale.
Par Jean Poletti
Un homme incarcéré depuis trois ans à Bastia devait comparaître aux Assises le 17 mai pour un homicide commis à Sartène. Rien que de plus normal dans une procédure judiciaire. Pourtant, l’homme a depuis entamé un ultime combat pour sa survie, à l’issue sans doute irréversible. Ses défenseurs alertèrent à deux reprises la chambre d’instruction. Produisant des certificats médicaux, ils demandaient à bon droit une expertise. Refus net et cassant sans autre forme de procès. Justice aveugle ? En incidence, l’administration pénitentiaire prend, en conscience, l’initiative d’alerter sur la situation d’un prisonnier et sollicite l’intervention d’un médecin coordonnateur. Le diagnostic ne laisse place à aucune interprétation, puisqu’il évoque l’incompatibilité avec une mesure carcérale. Bref, pour reprendre la formule d’un avocat : « un homme est en train de mourir entre quatre murs ».
D’une audience, l’autre, la doctrine demeure immuable. Malgré les nouvelles pièces produites et l’argumentaire développé, le couperet tombe. Il tient en peu de mots : refus de libération. Dans une sorte d’emballement qui cristallise les positions, l’aspect humain fut occulté, et à maints égards ignoré le code de procédure pénale. Le motif incident ? Le manque de clarté sur la prise en charge du détenu si d’aventure il quittait la maison d’arrêt. Objection, votre honneur !, rétorquaient alors les plaignants. Et de démontrer que faute de logistique dans l’île, un hôpital spécialisé de Toulon se disait prêt à accueillir ce patient singulier. Un billet d’avion fut même réservé. Ne manquait que l’accord des magistrats. En lieu et place, ce fut un veto.
Tournure politique
Au fil des jours, ce feuilleton tragi-comique prit une tournure politique. Les députés Jean-Félix Acquaviva et Michel Castellani étaient disposés à alerter le ministre Dupond-Moretti. Pour faire bonne mesure, la Ligue des droits de l’homme s’emparait du dossier. Et son porte-parole, André Paccou, d’asséner sans ambages : « Cette situation renvoie aux préceptes du Comité européen de lutte contre la torture et les traitements inhumains et dégradants. Cet homme est en fin de vie. Sa place n’est pas en prison, il doit être soigné. »
Que nul ne se méprenne. Loin de nous l’ombre de l’idée d’exonérer l’action homicide. Moins encore de porter quelque jugement de valeur sur un sanglant fait divers. Mais rien n’empêche de nous interroger, en simple citoyen, sur l’inflexibilité sans faille de l’institution judiciaire, rétive à tout aménagement au regard d’un être humain sur lequel plane un noir suaire.
Fallait-il un tel bras de fer. Était-il opportun que le glaive de la justice l’emporte sur son autre symbole celui de la balance ? S’arc-bouter sur des principes d’airain s’avérerait-il sinon judicieux à tout le moins logique quand l’élément thérapeutique ne doit pas engendrer la cécité procédurale ? Poser en béotien ce panel de questions équivaut vraisemblablement à apporter des réponses ne laissant place à aucune interprétation.
Bataille de tranchée
Que de temps perdu pour ceux qui avaient engagé cette bataille contre l’institution. Quelle image négative livrée à l’opinion publique dans un dossier, ou finalement il n’était demandé que le report d’un procès propice à l’administration de soins.
La parfaite raison fuit toute extrémité et veut que l’on soit sage avec sobriété. La pensée d’un Molière, éconduite d’un tribunal par la porte, revint fort heureusement par la fenêtre. L’incompatibilité avec la détention a signé l’épilogue provisoire d’un trop long combat. Celui dont il aurait pu être fait l’économie. Dans l’immédiat, l’incarcéré d’hier est désormais sur son lit d’hôpital. Praticiens et infirmières remplacent les gardiens, dans l’attente d’une comparution repoussée. Sans triomphalisme, tant le contexte de cette affaire est douloureux, rien n’empêche de dire que la justice a rétabli l’équité qu’elle semblait avoir oubliée en chemin. Elle a fait taire ce réquisitoire teinté de courroux d’un avocat : « Dans quel pays refuse-t-on à un homme, fusse-t-il en attente d’un procès d’Assises, de se soigner dignement, d’avoir une fin de vie décente. »
La sentence de Voltaire
Si d’aventure la fin de non-recevoir avait perduré, d’aucuns auraient eu toute latitude pour amplifier cette situation. Rien ne les aurait privés d’évoquer un déni de justice. Reprenant en écho la pensée de Voltaire « L’extrême justice est une extrême injure, il n’en faut pas toujours écouter la rigueur. »
Fort heureusement, le bon sens, chose du monde dit-on la mieux partagée, finit par s’imposer permettant à une lueur d’humanité d’éclairer la loi. Car il convient dans un souci d’équité, et pour l’honneur des proches de la malheureuse victime que tout soit fait pour que le procès ait lieu. Ils le réclament avec des sanglots dans la voix. Ébranlés par cette médiatisation. Une telle vérité judiciaire, qu’attend et espère la partie civile, n’eut-elle pas été amputée si dans le box des accusés avait pris place un quasi-moribond ?
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