EDITO
Par Jean Paoletti
Il est passé par ici, il repassera par là. Le grand débat pour sonder le cœur et les reins de la France s’est vite métamorphosé en one man show. Maires, jeunes, retraités, précaires, dans une sorte d’agora permanente l’espace de dialogue, salué ici, là décrié, est à maint égard paradoxal. Il jette en effet par-dessus les moulins les certitudes de Macron s’asseyant dans le fauteuil Elyséen. Le nouveau monde ? Oublié. Le programme du quinquennat ? Caduc. Dans une étrange dialectique qui se veut le fil rouge de ces rencontres, le chef de l’Etat s’est dépouillé de ses atours pour revêtir ceux d’un perpétuel candidat. Tout se passe comme s’il mettait au panier près de deux ans de certitudes pour tenter de réécrire, sur une page qu’il veut blanche, la fin de son quinquennat. Pari risqué ? Sans doute. Mais faute d’alternative et faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il tente de se relégitimer. Nul ne niera son courage et sa force d’adaptation pour tenter de reprendre la main. Mais là aussi, qui trop embrasse mal étreint. A peser inconsidérément sur ces rencontres diverses et variées, n’écorne-t-il pas sa carte maitresse ? Celle qu’il joue pour tenter de sauver son mandat et en filigrane postuler pour un second. En observant sur les chaines d’infos la retransmission de ces échanges, aussi longs qu’un jour sans pain, chacun a l’impression diffuse d’un prof de fac égrenant son discours et sa méthode d’un pays revu et corrigé à un auditoire étrangement policé. Cahiers de doléances, synthèses, revendications, comment finaliser la nouvelle copie ? Emmanuel Macron, par des fuites savamment organisées, lance des ballons d’essai, à l’image d’un plausible référendum, la proportionnelle, le retour en grâce des voitures diesel. Avec en contre-point une hypothétique renaissance de la taxe carbone. Tout et son contraire !
Dans cette sarabande ininterrompue, les ministres sont relégués au rôle de simples figurants. Des faire-valoir qui accompagnent le patron dans ses pérégrinations pédagogiques. D’ailleurs, sans épouser une malsaine curiosité le citoyen se demande in petto s’il y a encore un pilote dans l’avion étatique. Comparaison n’est pas raison mais la Belgique et l’Irlande du Nord vécurent près de six cents jours sans gouvernements sans que ces pays versent dans le chaos. Il n’empêche dans ce clair-obscur, ou les gilets jaunes se rappellent à notre bon souvenir chaque samedi, tandis que l’affaire Benalla égrène ses inavouables secrets, l’ensemble de l’exécutif semble exclusivement immergé dans le ministère de la parole. Pour les affaires quotidiennes et la vie des citoyens, voyez les cabinets.
En bannissant le jugement de valeur, tout indique que le président est peu ou prou en passe d’adorer ce qu’il brûlait hier. Les élus locaux, la province, le rural retrouvent grâce à ses yeux. Bref, un panel classique qui bat en brèche le fameux concept « il n’est de bon bec qu’à Paris ». A cet égard faut-il s’attendre à un changement d’attitude concernant la Corse ? Le Girondin de la campagne, qui devint Jacobin au lendemain de son sacre, redeviendra-t-il décentralisateur ? D’aucuns ici l’espèrent. Certains sont sceptiques. Et tels républicains pur sucre le redoutent.
En toute hypothèse, chez nous plus qu’ailleurs, les problèmes sociétaux sont criants. Si la mue présidentielle intégrait une autre vision insulaire, nul doute qu’elle façonnerait des rapports sinon cordiaux à tout le moins apaisés, prélude à lever certaines incompréhensions. Et remiser dans le tiroir de l’oubli les propos peu amènes tenus lors du premier déplacement officiel. Pour l’heure, le président omniprésent a les coudées franches en regard notamment de la faiblesse chronique des syndicats et d’un échiquier politique national qui peine à se reconstruire. Oui, Macron innove. Une nouvelle fois il casse les codes. Mais attention à ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Sinon cette séquence de marathonien se métamorphoserait en solitude du coureur de fond.
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