Le festival ajaccien « Under My Screen », consacré au cinéma britannique et irlandais, apparaît comme un ovni dans la programmation culturelle ajaccienne. Créé en 2009 par une équipe de passionnés, le festival se déroule au cœur de la cité impériale, qui fut, il faut le souligner, un haut lieu de villégiature plébiscité par la bourgeoisie anglaise au xixe siècle pour son climat propice en hiver. En progression constante depuis son lancement, « Under My Screen » a su, par une sélection éclectique, fidéliser un large public friand de culture anglaise, irlandaise et écossaise.Cette année, toute l’équipe accueillait Bernard Reynaud, président des Écrans britanniques de Nîmes, venu soutenir ses homologues ajacciens. Regards croisés de deux cinéphiles engagés.
Par Anne-Catherine Mendez
Pourquoi organiser un festival du film britannique à Ajaccio et à Nîmes ?
Marie-Diane : Avec Jean-Paul Filipini, le président d’« Under My Screen », nous nous sommes aperçus que très peu de chose était organisé autour de la culture britannique, pourtant très liée à la cité impériale. En effet, Ajaccio représentait un important lieu de villégiature pour l’aristocratie anglaise au xixe siècle qui se délectait d’hivers doux et de plages de sable blanc. Cette population a laissé à la ville des monuments remarquables alors à son apogée en tant que station d’hiver. À cette époque, de nombreux hôtels et villas ont été construits dans le « quartier des étrangers ». Les plus beaux vestiges sont sans doute le Grand Hôtel, sur le cours Grandval, achevé en 1894, l’église anglicane, édifiée elle aussi sur le cours Grandval à partir de 1869 à l’initiative de Miss Campbell. Cette Écossaise fut également la première à écrire un ouvrage touristique sur Ajaccio et la Corse, popularisant ainsi cette destination en direction de nombreux Britanniques. À cette période, Ajaccio comptait jusqu’à un millier d’hivernants britanniques, surpassant les stations de la Côte d’Azur.
Nous avons donc décidé de rendre hommage à cette période peu connue par nos contemporains en créant un festival cinématographique dont les films ne sont pas, pour la plupart, diffusés en France. Ils sont souvent empreints d’un humour décalé, que nous n’avons pas l’habitude d’entendre ou de voir à l’écran. Pour les amateurs du 7e art, c’est une mine d’or méconnue.
Bernard : À Nîmes, à l’instar d’Ajaccio, organiser un festival centré autour de la Grande-Bretagne et l’Irlande, n’était pas évident. C’est une région, plutôt tournée vers la culture camarguaise, et l’Espagne. Mais pour des passionnés de cinéma, et de culture anglaise comme moi, l’aventure dure depuis 25 ans.
Le cinéma britannique a toujours été un moteur du cinéma européen. Notre mission principale est de rendre accessible à tous ce cinéma qui a été, et demeure, un cinéma innovant qui a son public en France. En effet, une partie du cinéma britannique se construit en dehors des grands studios qui dominent la production et la distribution. Comme il n’est pas toujours facile de voir ces films, notre travail consiste à les rendre plus abordables au grand public, ainsi qu’aux jeunes, par le biais de nos actions éducatives, notamment auprès des classes étudiant l’anglais, la littérature, la culture et la société britanniques. L’idée du cinéma, à mon sens, est de faire en sorte que les gens se comprennent mieux, se reconnaissent à travers des personnages, des situations de vie même si c’est très éloigné de leur propre quotidien.
Comment s’opère la sélection des films ?
Marie-Diane : La sélection est toujours un élément compliqué dans l’organisation d’un festival. Au-delà des films que l’on choisit, il faut créer un échange avec le public. La rencontre avec les réalisateurs, les acteurs, constitue un lieu d’échange, de discussions, de débat. Quand on choisit un film, il faut garder cet esprit de convivialité en tête. Comme nous sommes un petit festival, il faut user de toutes les ruses pour pouvoir se procurer des œuvres inédites que nous souhaitons faire découvrir au public ajaccien. Au début, nous nous attachions à trouver des films distribués en France, très vite nous nous sommes aperçus, que les petites pépites empruntaient d’autres circuits de distribution. Avec l’expérience et surtout la mise en réseau de nos contacts respectifs, nous arrivons à dénicher de jolies surprises. Aujourd’hui, quand je visionne un film proposé en sélection les premières images peuvent être déterminantes, je sais s’il va rencontrer son public en Corse. Ce qui est amusant également en choisissant ces films hors des sentiers battus, est de savoir que nos invités n’arrivent même pas à situer Ajaccio sur une carte !
Bernard : Nous avons un peu plus d’expérience que nos confrères corses (rire). Nous proposons 40 films sur 10 jours. La nouveauté et le patrimoine cinématographique britannique sont les deux piliers du festival. Dinard reste mon marché le plus important, le hasard, la pugnacité, la curiosité font le reste. Souvent la projection d’un film résulte d’une belle histoire. Par exemple, le film Float Like a Butterfly, de la réalisatrice Carmel Winters, que j’ai présenté moi-même à Ajaccio, est un film complètement inédit, découvert par hasard, sous-titré par nos soins que vous ne verrez jamais en salle. C’est ça le boulot d’un festival.
La pandémie a-t-elle modifié vos organisations respectives ?
Marie-Diane : Nous avons dû annuler l’édition 2020 et heureusement celle de 2021, n’a pas subi de bouleversement. Nous restons attachés à la salle de cinéma et au grand écran, mais dans l’avenir, il est peut-être nécessaire à ce que nous réfléchissions à d’autres formes de projection. La collaboration avec le complexe Ellipse nous offre de réelles perspectives, notamment avec la réfection du cinéma Laetitia.
Bernard : Nous avons pu déplacer notre édition 2020 au mois de juin, mais la fréquentation a été très décevante. En revanche, nous avons créé un mini festival en ligne sur un week-end avec projection, échanges avec des réalisateurs et cela a été un succès. Au sein de notre association, le projet a fait débat. Certes, un écran de télévision ou d’ordinateur ce n’est pas du cinéma, mais quand on ne peut pas offrir autre chose… Et depuis cela nous a fait réfléchir à des projets de projections dans des lieux où il n’y a plus de salles, afin d’offrir à des personnes éloignés du cinéma, une ouverture sur le monde.
Quelle est la santé du cinéma britannique aujourd’hui ?
Bernard : La santé du cinéma britannique actuel confirme la renaissance à laquelle on avait assisté au début des années 1980. Elle se traduit par une diversification des genres et des thèmes, au-delà des grands domaines communément associés à ce qui fait la force de cette cinématographie. Le regard porté sur le multiculturalisme, l’arrivée de jeunes cinéastes porteurs de nouvelles attitudes, enrichissent un panorama marqué essentiellement par des faits de société. Les comédies sont peu présentes, l’emprise sociale sur les œuvres des jeunes cinéastes reste très marquée.
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Bernard : Ma rencontre avec Ken Loach est un moment gravé dans le marbre. Généreux, dynamique, avec une pêche incroyable. La découverte du film LAD, A Yorkshire Story, réalisé en 2013, diffusé sur YouTube pendant le confinement, vu par des milliers d’Anglais et projeté enfin en festival. Une deuxième naissance pour ce film magnifique.
Marie-Diane : Mon meilleur souvenir est certainement la rencontre avec David Mackenzie, réalisateur du film Perfect Sense. Lors de sa venue à Ajaccio, quand nous lui avons fait déguster quelques vins corses, il a vivement regretté de ne pas les avoir cités dans son film dans lequel un cuisinier et une chercheuse tombent amoureux.
Une devise ?
Bernard : Sans tapis rouge, sans prix, tout pour le cinéma.
Marie-Diane : Regarder toujours « under my screen ».
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