Une présidente de bons conseils
Elle occupe depuis six mois le fauteuil de présidente du Conseil économique, social, environnemental et culturel de la Corse. Première femme à ce poste, elle veut que l’organisme consultatif s’empare sans réticence ni tabou de l’ensemble des problématiques insulaires afin de nourrir le débat. Avec en filigrane, la volonté d’être une authentique force de proposition.
Par Jean Poletti
La culture, dit-on, est ce qui reste quand on a tout oublié. Marie- Jeanne Nicoli en est abreuvée. Ne fut-ce que par son parcours professionnel. Son acquis, source d’ouverture d’esprit et de convergence, sera sans conteste mis à profit pour guider sa nouvelle fonction élective. Sans ostentation ni assertions tranchées, privilégiant les espaces de dialogue et la faculté d’écoute, elle a d’ores et déjà impulsé une orientation novatrice.
Transcendant le cadre règlementaire, elle s’impliqua sans perte de temps à positionner l’institution au cœur des grands questionnements qui secouent la société insulaire. Auto-saisine, appel à des experts ou personnalités qualifiées. Bref, elle dépoussière. Emprunte des voies originales. Non par vain souci de répondre à quelque précepte de modernité, mais afin de permettre une offre aussi large que possible sur les grands sujets. Il est vrai qu’avec la pandémie et ses multiples ondes de choc, il n’est pas usurpé d’affirmer que l’île est dans une période d’indicible bascule. Celle qui interroge sur l’essor collectif futur et revisite, de manière diffuse, l’organisation sociétale et son corollaire qu’en terme générique les analystes qualifient de « monde d’après ». Quel sera-t-il ? L’interrogation implique aux yeux de Marie-Jeanne Nicoli et l’ensemble de l’équipe de faire œuvre d’anticipation. Si l’on adhère au fameux « rien ne sera plus comme avant », l’imagination doit être au pouvoir pour bâtir le socle des lendemains. Pour la nouvelle présidente, cela passe à l’évidence par la transversalité et l’intelligence collective. Attributs centraux pour alimenter ce que Bergson nommait l’évolution créatrice. Et voilà que reviennent en leitmotiv les termes de collégialité, d’élargissement, d’échanges. Avec en filigrane, les accents de la diversité qui enrichissent et forgent l’intérêt général, par le consensus et la synthèse quand elle est possible. À la place qui est la sienne mais avec détermination, le Cesec veut apporter sa pierre à l’édifice, à la construction d’une Corse qui sera forcément différente à maints égards.
Éclaireur des mutations
Les remontées de terrain qui allient confinement, restrictions et appréhensions indiquent mieux que savantes digressions qu’un inconscient collectif qualifie d’inéluctables les intenses mutations qui seront le legs du Covid. Se préparer à cette transformation afin de ne pas être pris au dépourvu ? Voilà finalement l’enjeu que décèle Marie-Jeanne Nicoli. Elle n’est pas isolée, tant s’en faut, dans cette démarche qui transcende des visions partielles voire partiales, pour affleurer à un radical changement. Presque une métamorphose. Voilà qui suggère d’appréhender sous toutes ses facettes, réalités et perspectives par la conjugaison d’études aussi diverses que variées. Mais ces éléments pouvant paraître disparates sont toutefois reliés par un fil invisible qui tisse un projet global. Une nécessité ? Assurément, rétorque notre interlocutrice. Les schémas qui avaient voix au chapitre et étaient admis comme intemporels se fragilisent sous les coups de boutoir d’un ennemi invisible. Ils s’éclipsent progressivement de l’ancien monde. En lieu et place, de quoi l’avenir sera fait ? Poser la question n’équivaut pas à délivrer une réponse tranchée et ciselée dans ses moindres détails. Marie-Jeanne Nicoli en est pleinement consciente. Mais ne pas offrir les grandes lignes de l’alternative, serait vraisemblablement en son for intérieur davantage qu’une faute, une erreur selon le célèbre mot de Talleyrand.
Aussi, instruite par les échos de l’opinion, elle initie une salutaire réflexion étayée en direction de l’économie sociale et solidaire, la ruralité, les personnes âgées et son corollaire le maintien à domicile. Sans oublier la filière bois, ou encore la gestion des déchets.
Offre de dialogue
Ce bouillonnement intellectuel n’aboutira sans doute pas au remède miracle clés en main. Mais apporter à de la discussion qui se profile ces éléments relève de la volonté affichée. Nul n’en prend ombrage, bien au contraire. Et l’accueil positif de Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni en porte si besoin témoignage. Car Marie-Jeanne Nicoli au détour d’une phrase prend bien soin de souligner que son engagement n’est nullement politique au sens trivial du terme. Certes, le Cesec se veut par essence et définition en harmonie avec les questionnements de la vie de la cité. Pour autant tout aspect partisan est banni, laissant affleurer des recommandations et éclairages susceptibles d’aider les représentants du suffrage universel à forger leurs décisions.
Attentive par ailleurs aux cruciales réalités du moment, Marie-Jeanne Nicoli dissèque les aides européennes étatiques et bien évidemment de la Collectivité territoriale. Le mur de dettes que déplorent notamment les socioprofessionnels lui permet de mettre en exergue la nature du tissu économique et l’omnipotence des très petites entreprises. Une spécificité qui rend souvent ardu, parfois impossible, l’accès des subventions, ces structures modestes qu’elles soient artisanales ou commerciales. Un particularisme qui échappe aux grandes théories du plan France Relance, pour être sans doute plus à son aise dans celui qui fut baptisé Salvezza è Rilanciu. Mais qu’importent les termes et postures. Ce sujet mérite que toutes les parties concernées se rassemblent dans un esprit de concorde et une authentique volonté de faire gagner une île. Une telle initiative n’aurait pas les atours de première ou précédent. D’aucuns se souviennent des « tables rondes » sous l’égide de Michel Rocard, alors Premier ministre. L’historie repasserait-elle les plats ? Ce n’est nullement craindre de se fourvoyer de dire que Marie-Jeanne Nicoli l’espère. Àl’évidence, du côté du Cesec, nul n’infirmera que la situation l’impose. Tant les intenses turbulences que traversent l’île gravent dans les esprits la crainte d’un décrochage, l’accroissement de la précarité et le recul du vivre-ensemble.
Le discours et la méthode
On l’aura compris sans qu’il faille insister plus que de raison. D’une digression, l’autre, se révèle la louable ambition d’optimiser et de densifier le rôle de l’institution. Par le discours et la méthode, les contributions et l’attention aux grandes interpellations qui assaillent la population, elle se positionne désormais comme un authentique interlocuteur de la société civile. Par une sorte d’alignement des planètes, dans les sphères du conseil exécutif on applaudit des deux mains à ce souhait déclaré. Ce ne fut pas toujours le cas. Sans verser dans les procès d’intention, rien n’empêche de rappeler que sous d’anciennes mandatures, le Comité était peu ou prou considéré comme une sorte de « Machin » sans importance, qu’il fallait seulement écouter, mais pas forcément entendre pour être en conformité avec la règlementation. Ce temps est révolu. Et dans une sorte de révolution copernicienne, voilà que l’organisme consultatif retrouve ses lettres de noblesse, loin de la portion congrue qui lui fut attribuée. Ainsi s’ouvrent de nouveaux horizons et des opportunités que ne laissera pas échapper l’actuelle présidente et l’ensemble des conseillers. Ce n’est que justice tant les épreuves bordent les chemins d’une communauté. Transcender le mandat traditionnellement dévolu au Cesec est non seulement souhaitable mais également aisément possible. Et cela est bienvenu dans les grands défis et enjeux qui se profilent. Jouer pleinement le rôle de conseiller sur de multiples thématiques, voilà qui rejoint pleinement l’idée que Marie-Jeanne Nicoli se fait de sa fonction.
Sortir de la discrétion
De même que le savoir-faire sans le faire savoir équivaut à amputer une démarche, elle a également opté pour une communication plus tonique, afin d’informer plus fréquemment sur les avancées des travaux et en filigrane dans un rappel régulier sur le rôle et les missions de l’institution. Cela vaudra notamment pour les travaux innovants ceux qui ont trait par exemple au débat sur la transition écologique en regard de l’économie, l’environnement au sens générique du terme qui rejoint là aussi des aspects qui remodèleront l’existence quotidienne. Tout en se positionnant sans doute avec plus d’acuité sur les sujets purement sociétaux à l’image de la violence faite aux femmes, la langue corse voire le domaine touristique ou celui des transports.
Elle qui connaît si bien l’univers culturel, le sort qui lui est réservé la chagrine. Les fermetures de ces espaces, les tournées orphelines, le théâtre muet. Autant de situations sans doute dictées dans un souci de protection sanitaire, sans que la démonstration d’un quelconque danger soit véritablement apporté, si tant est que le public fasse preuve de discipline et respecte les gestes barrière. Un exemple parmi d’autres qui conforte Marie-Jeanne Nicoli dans ses convictions que l’approche, réfutant la nuance et le particularisme, aboutit souvent à des situations frôlant l’injustice.
Raison de plus pour poursuivre la route qu’elle s’est tracée, celle que bordent le pragmatisme, le raisonnement et l’analyse aux couleurs de la Corse.
Au service d’une île
Osons dire en péroraison que la tâche qu’elle s’assigne est synonyme de renouveau. Elle a quatre ans pour aboutir à l’épilogue espéré. Et si au fil des mois, le Comité économique social environnemental et culturel s’impose comme un relais privilégié au service exclusif de son île, nul doute que son expérience sera couronnée de succès.
Mais si le poète a mille fois raison de clamer que la femme est l’avenir de l’homme, tous les espoirs sont permis…
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