Savante alchimiste du végétal
En digne héritière d’une longue et célèbre lignée d’herboristes à Marseille, Martine Blaize de Peretti est une mine de connaissance sur le pouvoir des plantes et l’utilisation que l’on peut en faire pour soigner. Forte de cette expertise, cela fait près de quarante-cinq ans que cette alchimiste du végétal veille à perpétuer avec passion des savoirs et savoir-faire qui ont fait leurs preuves pour éviter qu’ils ne disparaissent, permettant par la même de redécouvrir les trésors cachés de notre patrimoine le plus naturel.
Arrière-arrière-petite-fille de Toussaint Blaize, fondateur en 1815 de la célèbre herboristerie « Le Père Blaize » à Marseille, Martine Blaize de Peretti a grandi dans l’officine familiale. Un univers secret empli de plantes. Et une véritable institution chargée d’histoire qui a célébré ses 200 ans en 2015. Installée par son aïeul Toussaint, au cœur de la citée phocéenne, dans le quartier Noailles, la petite échoppe a pu bénéficier de la proximité du port de commerce, où arrivait régulièrement de nouvelles plantes et épices des quatre coins du monde, pour élargir au fil du temps son arsenal médicinal et étendre ses compétences.
Des connaissances rares entre science et tradition
Deux siècles de savoir-faire consacrés à la phytothérapie et à l’aromathérapie, transmis durant six générations, qui ont offert une longévité exceptionnelle à l’officine chère au cœur des Marseillais. Une longévité rendue également possible grâce au diplôme de pharmacie obtenu par son grand-père, en 1907, qui lui a permis d’agrandir l’herboristerie d’une pharmacie dès 1934, grâce à laquelle elle a pu perdurer. Car en 1941 sous Pétain, le diplôme d’herboriste mis en place par Napoléon a été supprimé au profit des pharmaciens auxquels a été confié le monopole de la vente et du conseil des 562 plantes médicinales inscrites à la pharmacopée française (contre 148 en vente libre). Cette science du végétal avait fini par tomber en désuétude face au développement de la chimie et des médicaments de synthèse, et la défiance croissante des médecins et des pharmaciens à l’endroit des herboristes. Une disparition qui a signé la fin de la reconnaissance de cette profession et entraîné de fait l’interdiction de nouvelles installations. Peu à peu les herboristeries ont ainsi disparu au décès des derniers herboristes qui avaient été autorisés à se maintenir. Héritière de ces précieuses connaissances, dont elle a très tôt mesuré le trésor qu’elles représentaient, Martine, comme son grand-père et son père avant elle, s’est orientée elle aussi vers des études de pharmacie, lesquelles au-delà de l’intérêt qu’elle leur portait, la plaçait en capacité de reprendre un jour à son tour le flambeau. Outre la botanique, elle se passionne alors pour la pharmacognosie qui vient parfaire ses connaissances sur la potentialité médicamenteuse des plantes et la connaissance de leurs principes actifs. Diplômée de pharmacie en 1970 à tout juste 22 ans, elle entreprend alors des études de médecine qu’elle sera amenée à interrompre quatre ans plus tard pour reprendre l’officine lorsque son père tombé malade devient trop fatigué pour s’en occuper. Un choix qui lui paraît alors évident malgré son goût des études, tant il lui était impensable d’abandonner ce lieu qui avait imprégné son enfance.
Apprendre toujours plus du monde végétal
Elle prend ainsi la direction de l’entreprise en 1979, devenant la première femme à succéder à une dynastie d’homme. « Je me suis ainsi retrouvée toute jeune à diriger une douzaine d’employés, qui pour certains m’avaient connue enfant. Ce qui n’est pas toujours évident pour assoir son autorité et faire face à des clients qui souvent me prenaient pour une jeune stagiaire – il a fallu que j’apprenne à m’imposer. Et surtout, que je fasse la preuve de mes compétences. J’ai donc continué à apprendre, car le domaine est infini, c’est ce qui est passionnant avec les plantes. J’ai développé ainsi le secteur des plantes exotiques, en lien notamment avec la société d’ethno-botanique de Metz. Je me suis aussi formée à l’aromathérapie qui me passionnait, car elle offre des possibilités énormes pour soigner mais demande de réelles compétences et impose aussi une grande vigilance de la part des pharmaciens. Et à l’exemple de Toussaint Blaize, personnage haut en couleur, mort à 95 ans en 1865, je n’ai jamais eu besoin de prendre de médicament allopathique, c’est avec les plantes que je me suis moi-même toujours soignée. Tout cela a conforté ma crédibilité. »
Pharmacienne et herboriste, elle se régale depuis à mettre en pratique toutes ces précieuses connaissances acquises au fil du temps.
L’urgence d’encadrer la magie des plantes…
« Car si la vente de produits issus des plantes aromatiques et médicinales est très réglementée, le savoir se perd. Plus personne aujourd’hui ne sait pourquoi les plantes agissent. On voit aujourd’hui pléthore d’écoles de naturopathie, mais aucune n’enseigne leurs principes actifs et leurs propriétés, qui permettent de comprendre pourquoi les flavonoïdes, les phénols, les antioxydants etc., vont avoir telle action sur telle partie du corps. Tout cela faisait la richesse de mon métier et est en train de disparaître ! Dans un contexte de demande croissante dans le domaine de la santé, du bien-être et un regain d’intérêt du grand public pour les médecines dites alternatives, alors que les cabinets de conseil en santé et bien-être se multiplient, c’est une aberration de ne pas remettre au goût du jour le diplôme d’herboriste et simplifier la complexité législative qui accompagne la profession. Il permettrait entre autres de parfaire les différentes pratiques de naturothérapie et de mieux les encadrer. » C’est là un combat de toujours pour Martine à qui il semble aussi insensé que la phytothérapie à l’origine de la pharmacopée moderne, ne fasse plus partie intégrante des études de pharmacie ! « Je suis inquiète, face à cet engouement pour toute cette vague de “naturalité”. »
…et le désir de transmettre
« Je crains toujours un incident voire un accident. Car si les plantes peuvent agir de façon bénéfique pour la santé, mal les employer peut avoir des conséquences catastrophiques ! Il faudrait que les pouvoirs publics prennent conscience de la nécessité de recréer cette filière, d’autant que la production de plantes médicinales pourrait présenter aussi des débouchés pour les jeunes agriculteurs. Car c’est paradoxal, on interdit le diplôme d’herboriste d’un côté alors que d’un autre on ouvre des filières “naturo” dans les lycées agricoles ! » Et bien qu’elle ait cédé l’herboristerie en 2015, la pharmacienne, en véritable pasionaria du végétal, n’a jamais cessé ce combat.
Toujours aussi engagée, elle partage désormais sa vie entre Marseille et la Corse, résidant plusieurs mois par an à Levie, le village de son mari qui l’a adoptée depuis 35 ans et qu’elle a totalement adopté en retour. Elle retrouve ici, dit-elle, un attachement à la filiation et une continuité dans la tradition qui font écho à son histoire familiale. Très souvent sollicitée, elle continue aussi avec enthousiasme à dispenser ses conseils, intervenant notamment régulièrement en radio pour répondre aux demandes fréquentes des auditeurs sur les maux et bobos les plus répandus ou encore dans un ouvrage qu’elle a récemment signé Se soigner par les planteschez Eyrolles Éditions, plus que jamais désireuse de transmettre une magie de la nature qui la passionne.
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