Par Jean Poletti
Une nouvelle fois. Une fois de plus. Une fois de trop ! Les commémorations de la Libération furent entachées par un oubli qui confine à l’insulte de l’Histoire. Personnalités politiques, spécialistes, commentateurs patentés enfouirent sous les sables du mensonge la Corse, aux abonnées absentes des cérémonies. Et chacun de claironner dans un martial concerto que Sainte-Mère-Église fut la première commune de France arrachée aux griffes hitlériennes. Anecdotes et faits d’armes passés en revue. Rappel de ce parachutiste accroché de longues heures au clocher, assourdi par les carillons. Exploits des commandos américains. Bref hier comme aujourd’hui ce village de Normandie s’enorgueillit d’un titre usurpé. Les faits sont têtus et méprisent ces défaillances mémorielles. Neuf mois avant le « jour le plus long », Ajaccio puis Bastia et enfin toute l’île démantela le joug nazi et fasciste. Les maquisards prirent une part active dans ce soulèvement. À l’image des goumiers et des hommes acheminés par le sous-marin Casabianca. Oui, le 8 septembre 1943, le vent de la liberté soufflait sur notre île. Alors que dans l’Hexagone, on chantait encore « Maréchal nous voilà », tandis que les milices et policiers zélés pourchassaient ce que maints magistrats condamnaient comme terroristes. À l’indigne « Radio-Paris », ici on préférait « Radio-Londres ». Question de dignité. De refus et de colère. Ami, entends-tu le cri sourd du pays qu’on enchaîne ?
Au fil du temps, sans relâche, des associations s’évertuent à corriger cette forfaiture cardinale. Sans succès. L’Éducation nationale, les structures étatiques, une majorité d’historiens demeurent sourds et aveugles. Une sorte de négationnisme convenu et accepté qui souille les mémoires de ces héros de l’ombre, habillés de probité, baptisés dans une éloquente formule par le résistant Maurice Choury de bandits d’honneur.
C’est en leur nom qu’il convient d’en finir avec l’insupportable falsification. Afin que les Nicoli, Giusti, Mondoloni, Vincetti, et tant d’autres compagnons, tombés les armes à la main ou suppliciés dans des caves insalubres, puissent enfin dormir de l’éternel sommeil des justes. Nulle rancœur ni rancune n’émanent de ces voix d’outre-tombe. Simplement l’inacceptable déni. Et un message pour que nul n’oublie qu’ici, l’inextinguible soif de liberté s’abreuva aux sources du sacrifice, suprême. Et parodiant de Gaulle osons dire que ce fut la bataille de Corse et la bataille de la Corse.
Macron, Blanquier et autre Parly, si prompts aux propos lénifiants et de circonstance, seraient bien inspirés de terrasser une injustice en redonnant à notre morceau de terre, satin couché sur du velours, pour reprendre une formule de Brel, la place qui lui revient dans ce concert de louanges. Celle d’avant-garde, d’éclaireur et d’exemple. Est-ce trop demander à ces princes qui nous gouvernent ? Faudra-t-il attendre encore longtemps pour que cesse ce rituel sans cesse recommencé à pareille époque qui foule aux pieds une évidence. Les scolaires pourront-ils enfin lire et apprendre de leurs enseignants que bien avant le débarquement sur les plages d’Omaha, Gold, Utah, ou Juno, une page glorieuse s’écrivit sur ce qui n’était encore qu’un département ?
Certes, il est légitime de saluer l’action du commando Kieffer, d’autant qu’elle permet de masquer la modicité des troupes françaises lors de « D Day ». Cent quatre-vingts hommes au total. Oui, il convient d’évoquer ces conscrits du Texas de l’Arizona, de Londres, d’Écosse et d’ailleurs, fauchés en pleine jeunesse. Sans doute doit-on fleurir ces sépultures avec les gerbes de la reconnaissance et de l’affliction. Mais revers de la médaille, l’entendement ne peut admettre que soit sacrifié sur l’autel du silence oppresseur, un soulèvement couronné de succès. Deux cent quarante jours avant l’offensive générale. Il eut lieu en Corse, et nulle part ailleurs. Aussi n’est-il que temps pour les contrefacteurs de rendre les armes. Affirmer haut et fort que le pays de Sambucucciu, Pasquale Paoli et Napoléon sut se dresser contre l’envahisseur quand d’autres courbaient encore l’échine et se vautraient dans la collaboration. Voilà la légitime requête d’une communauté. Au nom de tous les siens décapités, torturés, fusillés, morts au combat. Unissant, comme le disait Aragon, ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, dans un credo universel qui se nomme liberté !
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