Moins de sucre, plus de santé
Tout excès se base sur un plaisir que l’homme veut répéter au-delà des lois ordinaires promulguées par la nature. Moins la force humaine est occupée, plus elle tend à l’excès ;
la portée l’y porte irrésistiblement.
Traité des excitants modernes Honoré de Balzac
Par Jean-Pierre Nucci
Pour l’homme social, vivre, c’est se dépenser plus ou moins vite. Il suit de là que, plus les sociétés sont civilisées et tranquilles, plus elles s’engagent dans la voie de l’excès. L’état de paix est funeste à certains individus. Comment ne pas louer la lucidité d’Honoré de Balzac. Rien n’est plus juste que cette définition des circonstances sur les êtres humains. Après lui, bien des spécialistes dénoncèrent ces dérives en vain. Parmi elles, la malbouffe, ce fléau contemporain responsable de tant d’affections. Quand on reste chez soi à ne rien faire, on bâfre ! Jean Anthelme Brillat-Savarin1 avait inspiré le grand écrivain en éveillant ses contemporains sur les conséquences d’une autre attitude tout aussi nocive : la boulimie.
Ceux qui s’indigèrent (sic) ou qui s’enivrent, ne savent ni boire, ni manger.
Jean Anthleme Brillat-Savarin
Revenons au Traité des Excitants Modernes. Balzac y classe cinq produits dangereux pour la santé : le café, l’eau-de-vie ou l’alcool, le thé, le tabac et… le sucre. Nous y voilà. Rien ne surprend l’honnête homme de constater qu’il fait partie de cette liste. Bien des études scientifiques ont confirmé depuis cette réalité. On avance. Reste à savoir comment l’appréhender. Sa substance est protéiforme. Beaucoup d’aliments en contiennent de façon visible ou invisible. Cela n’étonne personne qu’il y ait du sucre dans une barre chocolatée. En revanche, cela étonne qu’il y en ait dans les sushis.
Pour éclairer le gastronome sur le sujet, les diététiciens classèrent le sucre en deux catégories distinctes : rapides (glucose) et lents (glucides). Cette classification considérée ensuite comme incomplète et insatisfaisante fut remplacée par l’index glycémique. Il classe les aliments en fonction de leur vitesse de passage dans le sang. Plus l’index d’un aliment est élevé, plus il passe vite dans le sang et inversement. Exemple : l’indice du miel est élevé, celui du riz est faible : « Moi, j’aime le brocciu ! » Aio !
Pas question ici de se prêter à la classification des aliments en fonction de leur teneur en sucre, ce n’est pas l’endroit. Concentrons-nous sur les conséquences sanitaires d’une alimentation riche en sucre sur l’organisme. On peut facilement se mélanger les pinceaux. Pour faire simple :
- Le mauvais sucre, c’est le rapide, celui qui possède un indice élevé.
- Le bon sucre, c’est le lent, celui qui possède un indice faible.
Une fois que l’on a dit cela, on n’a rien dit. Il faut creuser encore pour en savoir plus.
- Les aliments à index glycémique élevé (sucre en morceau, miel, confitures) devraient être consommés avec modération. Comme l’alcool.
- Les aliments à faible index glycémique (pâtes, riz, légumineuses) devraient être consommés en priorité.
Je poursuis :
- Quand je mange une glace, le sucre qu’elle contient passe vite dans le sang.
- Quand je mange du riz à l’eau (c’est moins fun), le sucre qu’il contient passe lentement dans le sang.
Et alors ?
Un aparté s’impose. Imaginons une personne en train de boire.
- L’acte d’ingérer des sucreries correspond à l’image du robinet d’eau grand ouvert.
- L’acte d’ingérer des pâtes ou du riz correspond à l’image du goutte-à-goutte.
Vous commencez à voir où je veux en venir ? Non ! Je continue. Le sucre c’est le carburant. Sans sucre, l’organisme ne peut pas fonctionner. Comme une voiture a besoin d’essence pour rouler, l’organisme a besoin de sucre pour fonctionner. Sans cela on tombe dans les pommes. Rappelez-vous l’image du robinet d’eau. Une arrivée massive de sucre dans le sang provoque l’hyperglycémie2. Cette réaction physiologique naturelle fatigue à long terme la pompe à insuline3. Autrement dit, manger du sucre rapide en excès et sur une longue durée fatigue la pompe. C’est le diabète de type 2. Et voilà la leçon d’Honoré de Balzac qui se rappelle à nous.
Allons plus loin.
L’insuline, hormone sécrétée par le pancréas, ouvre la membrane cellulaire au sucre. Voyez cela comme une porte. Elle ne s’ouvre que lorsque la cellule l’accepte. Je ne comprends toujours pas. C’est normal, mais ça va venir. La porte s’ouvre quand cela lui est nécessaire. Quand, par exemple, le muscle dont elle fait partie participe à l’accomplissement d’un effort physique. Elle laisse entrer le sucre qui est, on le rappelle, le carburant dont elle a besoin pour fonctionner. À l’inverse, elle laisse sa porte fermée quand elle est inactive. Quand on est vautré dans son hamac par exemple. Que fait le sucre refoulé ensuite ? Le sucre avalé par gourmandise sera acheminé vers le foie où il sera transformé en graisses, aïe, aïe, aïe !!!
La gourmandise est un acte de notre jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n’ont pas cette qualité.
Brillat-Savarin
C’est presque une lapalissade d’écrire cette suite de démonstrations. Beaucoup de personnes de nos jours les connaissent, mais peu en tiennent compte. Pourquoi ? Parce qu’on touche là à quelque chose d’essentiel, je dirais même de sacré. La bouffe ce n’est pas banal, c’est fondamental. Avant d’aller plus loin arrêtons un instant ici.
On l’a vu, le sucre, c’est le carburant. Oui, mais les régimes sans sucre existent ! C’est vrai et c’est regrettable. Pourquoi ? Quand on prive l’organisme de sucre, très vite il compense ce manque en produisant son propre sucre lui-même : « Ça alors ! » Vous avez bien lu, il dégrade les cellules musculaires pour en faire du carburant. C’est astucieux mais nocif à la fois. Prolonger ce type de régime n’est pas recommandé. Il donne de mauvais résultats, c’est un sucre médiocre qui affaiblit la tonicité musculaire, ralentit les fonctions cérébrales, et génère de nombreux déchets toxiques.
Retenez que si la présence d’une trop grande quantité de sucre dans l’alimentation est néfaste pour la santé, l’absence totale l’est de même. Va falloir apprendre à doser.
Attachons-nous maintenant à mieux comprendre le métabolisme glucidique :
- Quand je dors, ma consommation d’énergie est faible. Je n’ai donc pas besoin de m’approvisionner en carburant. Mon métabolisme tourne au ralenti, le sucre contenu dans ma glycémie suffit à répondre à mes besoins.
- Quand je pratique le sport c’est l’inverse. Je consomme beaucoup d’énergie, donc j’ai besoin d’un supplément de carburant. La glycémie ne suffit plus, il est nécessaire de trouver une autre source alimentaire pour produire mon effort. C’est là que la diététique sportive agit. Je dois manger des sucres lents (goutte à goutte) avant l’effort et des sucres rapides pendant.
- Quand je suis au bureau, ma consommation d’énergie est faible. Mon métabolisme tourne certes plus vite que lorsque je dors, mais moins vite que lorsque je pratique le sport. Je n’ai pas donc pas besoin de carburant supplémentaire.
Allons plus loin :
- Un sportif régulier accumule du sucre de réserve dans le foie et les muscles (glycogène). Ce stock de carburant est utile pour couvrir les besoins en cas de forte demande (quand il pratique le sport ou quand il est soumis au stress). Autrement dit, le glycogène, en cas de demande accrue, apporte le carburant nécessaire à l’organisme pour bien fonctionner que ce soit sur les terrains de sport ou au bureau.
- Le glycogène du sédentaire est faible. En cas de stress, ou d’effort physique inattendu, une course impromptue, il manquera vite de carburant et se trouvera en hypoglycémie (dans les pommes).
D’où l’intérêt de pratiquer le sport !!!
Tout cela est bien beau, mais ne nous éclaire pas sur la relation du sucre avec la santé. C’est inexact et injuste, on l’a vu, la consommation régulière de sucreries conduit avec le temps au diabète, l’absence de consommation de sucre conduit à l’épuisement. On sait aussi que l’excès de sucre rapide génère du gras. Ça fait beaucoup ! Là pourtant ne s’arrête pas ses méfaits.
Revenons au diabète de type 2. On observe cette maladie la plupart du temps chez les adultes en surpoids. Mais depuis quelque temps, elle s’observe aussi chez les jeunes adolescents. C’est inquiétant. Non seulement cette maladie altère la longévité, mais elle peut conduire à la cécité, à la nécrose cellulaire. Elle agit de manière nocive sur les yeux, les nerfs, les artères, le cœur et les pieds.
Rappel : le nombre de décès prématuré causé par le diabète de type 2 est considérable4.
On poursuit sur la lancée. On le sait aussi, l’excès de sucre, une fois dans le corps, est transformé en gras. Ce rappel est utile pour appréhender les risques encourus par les gourmands. Ce gras est stocké dans les tissus adipeux (fesses, ventre…) sous forme de triglycérides5. C’est regrettable d’un point de vue esthétique, mais là n’est pas mon propos. Ce n’est pas la silhouette qui compte, c’est la nocivité que génère ce mécanisme physiologique. Il existe un lien de causalité entre les triglycérides et le taux de mauvais cholestérol : « Moi j’aime le cagu merzu ! » Babin ! Et c’est grave docteur ? Oui. Le risque de maladies cardiovasculaires s’en trouve majoré. Comment cela se peut-il ? Le mécanisme n’est pas si difficile à comprendre. Concentrons-nous un instant. Le LDL se dépose en partie sur les parois des artères sous forme de plaque d’athérome6. Il réduit de ce fait leur diamètre. Le tuyau est comme pincé, il accroît la pression du vaisseau, quand celle-ci devient trop forte, elle peut arracher sur son passage la plaque d’athérome. Il s’ensuit un saignement qui peut s’avérer mortel selon qu’il se produit dans les coronaires, ses minuscules vaisseaux qui vascularisent7le cœur ou ailleurs.
Le nombre de décès par infarctus du myocarde (cœur) dû à l’excès de sucre rapide n’est pas négligeable. D’après les estimations, 17,9 millions de personnes sont mortes de maladies cardiovasculaires en 2019 dans le monde. 140 000 mille en France. C’est la deuxième cause de mortalité prématurée après le cancer. Parmi ces décès, 85% étaient dus aux infarctus du myocarde ou aux accidents vasculaires cérébraux (AVC). Piulattu !
Vous l’aurez compris, il est impératif de modérer sa consommation de sucres rapides, mais de ne pas supprimer sa consommation de sucres tout court.
Quelques conseils pratiques faciles à suivre pour votre gouverne :
- Ne mangez pas de dessert tous les jours.
- Préférez les fruits, certes ils possèdent du sucre, mais aussi de l’eau, des vitamines et des fibres. Ces dernières jouent le rôle du filtre. Elles ralentissent le passage du sucre dans le sang.
- Consommez le sucre lent pour le goutte-à-goutte. Il apporte le carburant nécessaire à notre fonctionnement sans que celui-ci se transforme en gras.
- Évitez les aliments gras de préférence.
- Préparez vos plats vous-même. Ne consommez pas de plats préparés en vente dans le commerce. Ils sont chargés de sucres rapides, de mauvais gras et de sel.
- Consommez l’alcool avec modération (il contient du sucre rapide).
- Hydratez-vous sans modération. De préférence avec de l’eau plate.
- Ne salez pas vos plats. Il y en a assez dans les aliments pour couvrir vos besoins.
- N’oubliez les légumes. Crus et cuits. À chaque repas. Pour l’eau, les vitamines et les oligo-éléments.
- Mangez à heure fixe. Trois repas par jour. Le goûter, c’est pour les enfants.
Ces règles de la bonne diététique peuvent paraître monacales, mais elles préservent la santé. On s’y habitue très bien avec de la persévérance. Bien entendu, quelques exceptions sont les bienvenues. Un bon dîner entre amis est toujours bon à prendre. Il ne doit pas, cependant, devenir la règle à suivre. Ce qui est dit est dit.
Pour égayer nos esprits alertes, je vous propose de changer de crémerie. Permettez que je vous lègue en guise de cadeau, vous le méritez bien si vous avez eu la force de me lire jusqu’ici, la liste des préceptes de Brillat-Savarin sur la gastronomie. Elle renseigne sur bien des choses et surtout sur les règles élémentaires de la bienséance qui améliorent les relations humaines :
- L’Univers n’est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.
- Les animaux se repaissent ; l’homme mange ; l’homme d’esprit seul sait manger.
- La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
- Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es.
- Le Créateur, en obligeant l’homme à manger pour vivre, l’y invite par l’appétit, et l’en récompense par le plaisir.
- La gourmandise est un acte de notre jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n’ont pas cette qualité.
- Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à d’autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.
- La table est le seul endroit où l’on ne s’ennuie jamais pendant la première heure.
- La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile.
- Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger.
- L’ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.
- L’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.
- Prétendre qu’il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et, après le troisième verre, le meilleur vin n’éveille plus qu’une sensation obtuse.
- Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.
- On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.
- La qualité la plus indispensable du cuisinier est l’exactitude : elle doit être aussi celle du convié.
- Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d’égards pour tous ceux qui sont présents.
- Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé, n’est pas digne d’avoir des amis.
- La maîtresse de la maison doit toujours s’assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix.
- Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit.
Bon appétit !
1. Physiologie du goût, ou Méditations de la gastronomie transcendante. Ouvrage considéré comme l’un des actes fondateurs de la gastronomie.
2. Hyperglycémie : hausse du sucre sanguin.
3. Pompe à insuline : elle est programmée pour délivrer automatiquement une petite dose d’insuline tout au long de la journée. C’est le débit basal. Il sert à maintenir les glycémies entre les repas et durant la nuit dans des taux normaux. Entre 0,70 et 1 gramme de glucose par litre de sang. Le diabète se caractérise par un taux supérieur à 1,26 gramme par litre de sang.
4. D’après la Fédération Internationale du Diabète (FID) cette maladie correspond aujourd’hui à une épidémie globale. C’est l’un des problèmes de santé les plus importants du monde. Le diabète est établi comme l’une des principales causes de décès prématurée. L’Organisation Mondiale de la Santé, (OMS) dénombrait environ 8,8% de la population mondiale touchés par le diabète en 2015. Elle estime que ce nombre dépassera 10% en 2024, soit 640 millions de diabétiques.
5. Triglycérides : Ils sont fabriqués par le foie, mais aussi apportés par l’alimentation (sucres, alcool). À plus de 10g/l, le risque de pancréatite aiguë peut survenir.
6. Plaque d’athérome : elles peuvent entraîner la lésion de la paroi artérielle (sclérose) conduire à l’obstruction du vaisseau, ou rompre, avec des conséquences dramatiques.
7. Vasculariser : acte par lequel un organe est irrigué par un ou des vaisseaux.
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