Mortelles libertés
La campagne pour l’élection présidentielle patine, tourne autour des conflits d’appareils, des polémiques et des provocations. Dans ce grand tumulte, quelques sujets émergent péniblement. Il est en un qui revêt une importance majeure, passé largement sous silence mais devrait nous interpeller. Il n’est d’ailleurs pas propre à la France. Il concerne toutes les démocraties. C’est le recul de nos libertés.
Par Vincent de Bernardi
La Fondation pour l’innovation politique a mené une vaste étude dans plusieurs pays pour dresser un panorama de l’état des démocraties. Il est inquiétant. Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, qui devait consacrer la victoire universelle de la démocratie, nos libertés sont en recul, partout. En s’appuyant sur de très nombreux indicateurs, comme l’attachement à la liberté d’entreprendre, la défiance envers les médias et les élites, le soutien à la peine de mort, la peur du déclassement, l’étude dessine les contours de démocraties minées de l’intérieur par la montée des populismes mais aussi menacées par l’extérieur.
Les régimes autoritaires, renforcés par la mondialisation, montrent que le libéralisme économique n’a pas besoin de libertés politiques pour prospérer. La pression qu’ils exercent sur le désordre du monde accentue l’affaiblissement des démocraties. Au point que certains parlent de nouvelle guerre froide. Elle diffère de la précédente par le fait que les régimes autoritaires ne rejettent plus l’économie de marché ni même la globalisation qui leur apportent d’importantes ressources et des moyens d’influence pour déstabiliser les sociétés libérales.
Le temps des peurs
La nouvelle économie et les innovations qui l’accompagnent non seulement ne déstabilisent plus les régimes hostiles aux libertés, mais elles les enrichissent et renforcent leur pouvoir. Le meilleur exemple est fourni par la Chine dont la montée en puissance a été accélérée par son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001.
Les peurs contemporaines rongent la confiance, l’opinion considérant que les gouvernants sont incapables d’y apporter des réponses efficaces. Parmi les grands pays démocratiques, la France se distingue sur bien des points. Interrogés sur ce qui les inquiètent, les Français, plus que les autres Européens, ou les Américains, classent la plupart des grandes peurs au même niveau. Perte de pouvoir d’achat, crise économique, immigration, chômage, terrorisme, changement climatique. Tout les inquiète. Ne voyant guère de solution pacifique pour résoudre ces problèmes, ils anticipent une société de plus en plus violente.
Mais dans ce contexte troublé, les démocraties conservent un atout majeur comme le souligne les auteurs de l’étude. Les citoyens interrogés disent leur attachement aux libertés. Quand ils expriment un jugement négatif, les données montrent que, le plus souvent, c’est la manière dont fonctionne la démocratie dans leur pays qui est l’objet de leurs critiques et non l’idée démocratique elle-même.
La démocratie en étendard
Raymond Aron croyait que tout est toujours à sauver, que rien n’est définitivement acquis et qu’il n’y aura jamais de repos sur la terre pour les hommes de bonne volonté.
Nos démocraties ne sont pas immortelles, cette étude inédite le montre. Et ceux, à l’instar de Joe Biden, qui les voient à un « point d’inflexion » devraient se faire entendre davantage. Emmanuel Macron jugeait que la démocratie est un combat « plus nécessaire que jamais ».
La campagne présidentielle ne met que peu en avant cette nécessité alors qu’elle est l’enjeu central. Confronté au réchauffement climatique, le monde aura besoin des démocraties pour contrer les autocrates qui usurpent les droits les plus élémentaires de leur peuple à la vie et à la liberté. Défendre le climat doit aller de pair avec la défense de nos libertés. Et comme le souligne l’étude de la Fondapol, cela suppose de mobiliser d’importants moyens pour mener la lutte contre l’ignorance et la lutte contre la désinformation.
Ennemis invisibles
Dans ce droit fil, « Il n’y aura pas de régime démocratique si nous ne sommes plus capables d’assurer au plus grand nombre une éducation et une information de qualité. La liberté disparaîtra si nous n’arrivons plus à contenir les inégalités et à combattre la corruption qui préoccupe tant nos concitoyens. »
La liberté disparaîtra si nous renonçons à la prospérité et à la puissance.
exergue
« Mobiliser d’importants moyens pour lutter contre l’ignorance et la désinformation. »
exergue
« Les régimes autoritaires renforcés par la mondialisation montrent que le libéralisme économique n’a pas besoin de liberté politique pour prospérer. »
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.