MYTHOLOGIES D’UNE LANGUE de Jean-Joseph FRANCHI
Éditions Albiana
Une plongée dans l’âme corse à travers ses mots
Prix 2024 du Livre Corse, Mythologies d’une langue, de Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi propose une exploration captivante de la langue corse, révélant les secrets cachés derrière ses expressions, proverbes et adages. Ce livre, enrichi par l’introduction de Patrick Cerutti, invite le lecteur à découvrir comment la langue corse incarne une vision du monde façonnée par des siècles de traditions orales et culturelles.
Une archéologie de la langue corse
Dépassant les approches classiques de l’étymologie, de la philologie ou de la sémiologie, l’ouvrage s’apparente à une véritable archéologie linguistique, décryptant non seulement les mots, mais aussi leurs contextes, leurs sous-entendus et leur résonance au fil des générations. Jean-Joseph Franchi met en lumière l’esprit d’un peuple à travers les vestiges linguistiques laissés par ses ancêtres : légendes, chants, proverbes, et les riches stalbatoghji(ces récits traditionnels porteurs d’enseignement).
Des thèmes universels, une vision singulière
Inspiré des Mythologiesde Roland Barthes, ce livre est structuré en chapitres thématiques, chacun explorant un « objet » du langage ou un concept fondateur de la culture corse. L’eau, la mort, la folie, le sang, les rêves ou encore la nourriture deviennent autant de portes d’entrée pour comprendre la manière singulière dont les Corses perçoivent et interprètent le monde. Ce prisme original permet d’exhumer des dimensions méconnues et profondes de l’identité corse, souvent invisibles dans un monde moderne uniformisé.
Une œuvre pour tous les curieux
À mi-chemin entre rigueur scientifique et plaisir de lecture, l’étude mobilise des disciplines variées comme la sociologie, l’anthropologie, l’ethnohistoire ou la sociolinguistique. Ce travail érudit, pourtant accessible, s’adresse à un large public : des passionnés de langues et de cultures régionales aux curieux de l’altérité. En ouvrant des perspectives nouvelles sur l’âme corse et sur le lien entre langue et identité, Mythologies d’une langue enrichit notre compréhension de la diversité humaine.
Ce livre singulier offre une plongée ludique et savante dans les profondeurs d’une langue qui, bien plus qu’un moyen de communication, est le miroir d’une civilisation. Un témoignage fascinant sur la richesse et la résilience de l’esprit corse à travers les âges.
L’auteur :
Jean-Joseph Franchi est né en I943 à Lopigna. Professeur certifié de lettres modernes, il a été directeur-rédacteur en chef de la revue littéraire corse RIGIRU de 1982 à 1990 et coordonnateur académique de Langue et Culture Corse au Rectorat de la Corse de 1991 à 1993. Collaborateur de documents audiovisuels et voix régulière à la radio, son œuvre littéraire largement consacrée à la valorisation de la culture corse, inclut des recueils poétiques (Canzone di ciò chì passa, 1997), des nouvelles bilingues (Isulitudine, 1992) et des contes traditionnels (E fole di Mamma, 1982, réédité en 2023). Auteur de manuels scolaires tels que Literatura Corsa (1991-2000), il a également signé des traductions marquantes, comme Knocken corse (1988).
Intervista
Si vous deviez décrire votre ouvrage en deux phrases ?
Il s’agit, à travers un certain nombre de thèmes – onze, exactement – d’amorcer l’exploration de ce qui pourrait être « Un imaginaire du discours corse » qui semble posséder ses propres logiques d’images, par rapport aux individus – vous et moi – qui en sommes pourtant les vecteurs ! Au-delà de leur signification apparente, qu’est-ce que les mots « veulent » dire ? Et qu’est-ce qu’ils « nous font dire » sans que nous le sachions ?
Qu’est-ce qui a motivé cette thématique ?
Il s’agissait, au départ d’articles de commande pour des ouvrages collectifs, ou pour des revues à thème. Chemin faisant, ne me suis pris au jeu en prenant conscience des directions inattendues que prenait ma recherche. J’ai, ensuite, travaillé pour approfondir d’autres sujets que je suis heureux, aujourd’hui de pouvoir présenter en volume.
Pour écrire, il vous faut… ?
Un ordi !
Une expression, un mot, un proverbe, un adage, que vous affectionnez ?
Un mot ? L’«ochju», la source. Bachelard aura eu la même intuition : « l’eau est le regard de la terre ». Quant aux proverbes, j’adore la forme concrète et pour ainsi dire charnelle que prennent, en langue corse, les grands adages universels : « Charité bien ordonnée commence par soi-même », la preuve : « U Signore, prima s’hè fattu a barba, ellu, è dopu à i so apostuli ! » (Le Seigneur a commencé par se faire la barbe avant de la faire à ses apôtres !), Nul n’est irremplaçable ? Eh oui : Quand meurt «Pinzu» (pointu) on taille quelqu’un d’autre en pointe ! Qui présume de ses forces se heurtera vite à la fameuse « barrière du réel » : « À chì cervu ùn hè è cervu si crede à u saltà di u fossu si ne avvede » (Celui qui, sans être un cerf se prend pour un cerf s’en aperçoit vite au franchir du fossé). Et le reste à l’avenant !
Et une que vous trouvez incongrue ?
Le chapitre entier sur « la femme ». Un florilège d’horreurs qui se veulent plaisantes et dont l’excès, en effet, fait sourire. Mais là encore, c’est « la langue » qui parle et non les individus. Il est fort douteux que quiconque ait jamais réellement pu penser des choses pareilles. Pourtant, c’est bien « ce qui se disait ». S’agit-il d’un discours comiquement transgressif des « pauvres hommes », réduits à compenser sur la place publique, les armes dites imparables de la féminité dans l’espace intime ? Le débat est ouvert !
Un souvenir de lecture qui vous a marqué ?
Tout récent. Et abyssal. Houris, de Kamel Daoud. La décennie entière d’une histoire tragique réduite à la seule conscience introspective d’une survivante à la gorge tranchée (et recousue) à qui le narrateur prête « sa voix ». Par la seule chair encore saignante des mots (des mots politiquement interdits en Algérie où ce prix Goncourt 2024 est donc très logiquement censuré) c’est une plongée dans l’horreur d’une guerre civile qui fit entre les années 90 et 2 000 deux cent mille morts dont on n’a plus du tout le droit de parler. La littérature comme seul espace de survie ? On pense, toutes proportions gardées, à Soljenitsyne sans qui… le Goulag n’aurait peut-être jamais existé !
Un lieu qui vous ressemble ?
La Camargue, les chevaux, les taureaux Van Gogh, En Arles où sont les Alyscamps avec Johnny et Sylvie sur le tournage d’un navet qui s’appelait, je crois : D’où viens-tu Johnny ? Un lieu qui ne me ressemble pas du tout – ou, du moins, plus depuis longtemps – mais où me porte, de façon assez inexplicable, le vent de votre question !
Un prochain livre en projet?
Ce n’est pas à proprement parler un livre, mais un projet assez ambitieux de feuilleton radiophonique. J’ai, en effet, entrepris, depuis septembre 24 de conter à la radio l’Énéide de Virgile à partir du texte latin adapté en langue corse (donc, par définition, dans un registre populaire et familier). L’émission est diffusée sur RCFM le dernier vendredi de chaque mois et le samedi suivant. Elle est disponible en podcast (L’Énéide RCFM).
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