Si Naples nous était révélée, elle le serait à travers le regard de Ciro Pipoli. Photographe prodige des Quartiers Espagnols, ce jeune homme de tout juste 26 ans est l’un des ambassadeurs les plus talentueux et les plus populaires de cette ville frénétique. Pour lui, pour les Napolitains, pour les visiteurs mais aussi pour les grandes marques de luxe, il met Naples et ses habitants en image avec la sincérité comme seul point de vue.
Par Caroline Ettori
La rencontre a lieu Piazza Municipio, un après-midi de janvier. Il fait déjà sombre et la ville n’en finit pas de vibrer. Les voitures, les touristes se pressent et se pressent dans les rues, le bruit et la vie sont partout, emportés par les parfums entêtants de grenade et d’ambre. Pas de doute, nous sommes dans la capitale de la Campanie. Naples et ses clichés. Naples loin des clichés.
Ciro Pipoli se tient à bonne distance de tout cela. Il a l’œil comme on dit. Autodidacte, le jeune artiste a commencé à photographier sa ville dès l’âge de 16 ans. « Naples est ma première passion. J’étais amoureux de la ville et je le suis encore aujourd’hui même si elle a toujours été associée à des faits divers négatifs nuisant à sa réputation. » Pourtant la réalité de l’adolescent est différente. Naples n’est pas que violence et chaos et il tient à le faire savoir. Timide, les mots ne lui viennent pas facilement. Mais pas question de renoncer. Il se saisit alors de son Iphone et commence à capturer des scènes de vie, à révéler sa ville autrement.
Une question de sentiment
« Je n’ai jamais vraiment étudié la photographie et je ne pense pas être techniquement parfait. Peut-être que ce que j’essaie de faire n’a pas besoin de technique mais d’autres choses, de sentiments, non ? » Assurément oui. Comment ne pas être bouleversé par la joie de ces enfants entre deux plongeons depuis le Castel dell’Ovo, la tendresse des couples se promenant sur le Lungomare, la passion des artisans. Ils sont le cœur et l’âme de la ville. Ils dansent plus fort au pied d’un volcan, conscients de la fugacité de l’instant, animés par une énergie insensée.
« Ce qui est beau à Naples, c’est précisément les Napolitains. D’abord parce que ce sont des gens uniques en leur genre. Ils sont accueillants et chaleureux. Difficile de les définir en un mot, peut-être que mille seraient plus justes. Lorsque je me promène dans ma ville, j’observe les choses presque comme si j’étais un touriste. Je suis parfois étonné par ces petits riens qui rendent les Napolitains heureux. Et je suis reconnaissant de pouvoir être témoin de tout cela. Par ailleurs, en tant que photographe, ces moments sont exceptionnels, on ne les retrouve nulle part ailleurs. Mes photographies sont 100% spontanées, rien n’est construit. Cette ville est un théâtre et ce qui m’intéresse au-delà de la prise de vue, c’est de discuter avec les inconnus que je capture, et qui en deux secondes, peuvent m’offrir un café en me racontant un bout de leur histoire. »
Instagram vs Réalité
Né avec les réseaux sociaux, Ciro Pipoli a fait d’Instagram la vitrine principale de son travail avec près de 150 000 abonnés. « Je suis heureux de penser qu’à ma petite échelle, j’ai pu contribuer à améliorer l’image de Naples. De nombreuses personnes me contactent sur les réseaux pour me dire que mes photographies leur ont donné envie de visiter la ville. De la même manière, certains Napolitains eux-mêmes n’hésitent pas à me dire qu’ils ne connaissaient pas toutes les beautés de Naples. Ce qui est difficile à mon avis et c’est toute la subtilité de la photographie, c’est de ne pas tomber pas dans le cliché. Un peu comme si Naples se résumait à la mer, aux spaghettis et à Polichinelle. »
Un point de vue insolite qui n’est pas passé inaperçu auprès des grandes marques de luxe. Dolce&Gabbana, le Vogue Italia ont sollicité Ciro Pipoli à plusieurs reprises afin de « shooter » campagnes et backstages pour leurs réseaux sociaux ou leurs pages mode. Résultat : les Napolitains pur jus côtoient acteurs et mannequins internationaux dans une ambiance joyeuse et colorée. La sprezzatura italienne rencontre la fébrilité napolitaine. Un équilibre aussi parfait que fragile. Authentique.
Préserver l’authenticité, l’identité même de Naples, est aujourd’hui devenu un véritable enjeu à la fois économique et politique. En quelques années, la cité de tous les dangers est devenue l’une des villes les plus visitées d’Italie et d’Europe. Un afflux touristique qui n’est pas pour déplaire au secteur économique mais qui ne va pas sans bouleverser ses habitants et l’aménagement urbain. Ciro Pipoli, à la fois ambassadeur de cette Naples éternelle et acteur du changement, a conscience des lois de l’attraction. « Cette évolution implique inévitablement des effets positifs et négatifs. Quand le nombre de touristes est si élevé, une ville devrait être prête à les recevoir ce qui n’est pas encore le cas. L’autre bémol est que l’augmentation du tourisme peut conduire les Napolitains à s’adapter aux exigences des visiteurs et peut-être perdre un peu de l’âme de la ville. Naples doit garder son identité sans vouloir satisfaire à tout prix la demande touristique. »
Aujourd’hui, Ciro est connu et reconnu pour ses photos napolitaines. Mais le gamin des Quartiers Espagnols ne veut pas s’arrêter là. Il rêve de Brésil, d’Argentine, d’Inde et d’Afrique. Il rêve de vraies rencontres, de moments suspendus. Il rêve aussi d’emporter Naples avec lui. « Je souhaite continuer la photographie le plus longtemps possible avec l’espoir de toujours pouvoir raconter ma ville. Mon but est de proposer une exposition dans un autre pays qui ne connaît pas bien la réalité de Naples pour justement montrer une image concrète de la ville. » Une ville impossible à oublier. Voir Naples, peut-être à travers les photos de Ciro Pipoli et y retourner, vite. Très vite.
Instagram : @ciropipoli
Site internet : www.ciropipoli.com
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