Mais où sont les Noëls d’antan ? Ici plus qu’ailleurs cette fête ployait sous l’authenticité et les rites. Sa commercialisation n’avait pas encore abordé nos rivages et l’intérieur. Le symbolisme unissait croyants et profanes dans cette mystérieuse quête d’un avenir meilleur. Compensant allègrement les actuels réveillons par des agapes sans doute moins riches mais nourries d’authenticité.
par Jean Poletti
Hè passatu u tempu chi Marta filava. Cet adage populaire renvoie à un passé révolu. Nul ne poussera de cris d’orfraie en assurant, selon la formule consacrée, que c’était mieux avant. Le progrès amena le mieux-être. Mais cette bénéfique évolution mit aussi en jachère certaines pratiques qui semblaient immuables au fil des générations.
Dans ces coutumes sans cesse recommencées figurait en bonne place u natale beatu. Celui qui prévalait dans l’immense majorité des foyers insulaires. Loin de l’actuelle célébration. Certes l’aspect religieux persiste. Bien sûr les offices religieux connaissent l’affluence en ce soir où prêtres et fidèles célèbrent la nativité. Mais nul ne peut infirmer qu’entre hier et aujourd’hui l’esprit de dépouillement qui régnait dans une étable de Bethléem ou de Nazareth, selon les théologiens, s’étiola au fil des époques. Désormais une large place est faite à l’opulence. Qui essaime dans toutes les générations. La Corse n’échappe pas à cette mutation. Sans verser dans l’hagiographie biblique, les anciens se souviennent encore du particularisme et pour tout dire de la spécificité de ce vingt-quatre décembre qui étendait son voile original sur l’ensemble de l’île. Cela était vécu sous une forme encore plus accentuée dans le rural. Non qu’il y ait une césure franche avec les villes, mais en ces lieux de haute solitude, fréquemment enneigés en cette période, palpitait à l’évidence un cérémonial qui leur appartenait.
Storie di capile
L’homme à barbe blanche et houppelande rouge n’avait nulle prise dans l’inconscient collectif. Et son traîneau magique ne sillonnait pas ces contrées nichées dans les montagnes qui parfois tutoient les cieux. Le sapin, réceptacle de présents, ne trônait pas dans les habitations. Il est vrai que dans la plupart des familles ces derniers ne brillaient pas par leur importance. Toutefois cette absence de profusion n’entachait nullement cœurs et esprits. Tant s’en faut. La finalité était autre. De nature moins prosaïque et d’amplitude plus ludique. Les enfants ne s’éveillaient pas en récitant Rimbaud en ces matins d’étrennes « On allait les cheveux emmêlés sur la tête, les yeux tout rayonnant comme aux grands jours de fête. » Leurs rêveries se concrétisaient autrement. Notamment la participation aux préparatifs des festivités dans le village. Cela les occupait des semaines durant. Il fallait en effet se mettre en quête de bois qu’ils acheminaient sur la place de l’église afin d’édifier le fameux capile. Cette joyeuse confrérie de pourvoyeurs n’oubliait pas le rite consistant à frapper aux portes de sept familles pour leur demander de faire don d’une bûche. Pourquoi ce chiffre ? L’explication se perd dans les nimbes de la rationalité. Mais des anciens affirment prosaïquement qu’il renvoie au nombre de jours dévolus à la création du monde. D’autres pensent qu’il fait référence aux sept merveilles de notre planète. Mais ces sympathiques garnements ne se satisfaisaient pas de telles mythologies. Au hasard de leurs recherches, ils n’hésitaient parfois pas à soustraire nuitamment des bois entassés par les propriétaires pour leur propre usage. Une contribution forcée qui avait le don d’exaspérer les victimes de ces larcins. Mais leur courroux était de courte durée quand ils se remémoraient qu’eux aussi avaient fait pareil dans leur adolescence.
Morti è vivi insieme
Ce bûcher savamment construit était allumé le soir de la messe de minuit, et brûlait plusieurs jours. De nombreux villageois faisaient cercle autour du foyer dont les flammes réchauffaient en ces temps de frimas. Et dit-on purifiaient les âmes des chers disparus lorsque des crépitements provoquaient des étincelles nommées E Vecchie. En regagnant leurs pénates, certains emportaient un peu de braise pour les mettre dans les cheminées. Selon la coutume ancestrale, cet apport incandescent rehaussait dans sa vocation de purification l’imposant ceppu du natale, précieusement conservé des mois durant pour la circonstance.
Le repas se prenait plus tardivement que d’habitude. Ce n’était pas un souper où abondaient mets onéreux, fruits de mer et champagne. Il sortait cependant de l’ordinaire avec le sempiternel cabri rôti, des desserts essentiellement constitués de pâtisseries préparées par la mère de famille. Et en sempiternel épilogue une tasse de chocolat chaud en écoutant égrener des anecdotes. Ces récits évoquaient la magie blanche, les mazzere et autres légendes peuplées de streghe dans un monde fantasmagorique.
Cet instant, à nul autre pareil, semblait terrasser la rudesse des temps. Il était l’allié de l’harmonie authentique. Celle qui n’a nul besoin de nourritures terrestres, parfois piètres palliatifs d’un individualisme ayant droit de cité. Aussi, nul alors n’oubliait le tragulinu ou l’indigent.
U piattu di u corciu
Sur chaque table dressée figurait un couvert supplémentaire. C’était le plat du pauvre réservé à celui dont le hasard des pas le conduisait à frapper à une porte. Il était accueilli avec aménité. Invité à se chauffer devant l’âtre. Puis à partager en convive bienvenu le repas. Parfois le gîte était aussi proposé, car la coutume était solidement ancrée de ne laisser personne sans abri en cette nuit de l’altruisme. D’un rite, l’autre, il serait malvenu d’occulter celui qui consiste à transmettre l’énigme de l’ochju. Elle permet par le désenvoûtement de conjurer le mauvais sort. E signatore révèlent le soir de Noël leur pouvoir à toute personne qui le souhaite. L’initié acquiert ainsi à son tour les secrets du cérémonial. Cette pratique proche du chamanisme, affleurant la tradition païenne, serait un rempart à toute influence nuisible, qu’il s’agisse de la malchance, la jalousie, en passant par la fatigue ou les maux physiques. Une seule condition être catholique. Les patients subissent le test de l’huile. Trois gouttes d’huile sont plongées dans une assiette partiellement remplie d’eau. Si elles se diluent se multiplient ou se déforment le mauvais œil est présent. Des prières secrètes le chasseront. Il convient de noter que les animaux ne sont pas exclus de ces éventuels bienfaits. Nombreuses sont les personnes sceptiques. Pour autant elles ne rejettent pas de telles thérapies. Il est même des praticiens qui se disent sinon conquis à tout le moins réceptifs à certains témoignages de leurs malades leur affirmant que « se faire signer » leur apporta un réel soulagement.
Malgré tout, fut-ce de manière étiolée, le sens de cette fête demeure. Comme si malgré le temps qui passe l’on voulait retrouver un peu de ces racines de jadis que l’inconscient collectif se refuse à faire disparaître. Malgré le souffle de la modernité. En dépit du vent commercial qui en balaie l’esprit originel.
U sole vince u freddu
Avec ostentation ou de manière feutrée, nombreux sont ceux qui spontanément s’évertuent encore à convoquer le passé, lui donnant un visage d’éternité. Cela n’épouse nul passéisme. Il veut témoigner la mutation de saison, et l’instant où le solstice d’hiver s’efface devant le renouveau de la nature. Dès lors ce passage d’un cycle à l’autre laisse fleurir chez les êtres, férus ou pas de religiosité, le souhait d’un avenir meilleur. Les oranges qui étaient naguère offertes aux enfants ce soir-là ployaient d’ailleurs sous le poids du message aux atours de mieux-être. Il signifiait l’avènement de l’ensoleillement et de la lumière, mettant sous l’éteignoir la rudesse de la morte saison. Celle qui renvoie au règne des ténèbres. Mais aussi des froidures qui handicapaient les cultures et flétrissaient l’âme. Aussi cette date du calendrier fait-elle renaître une espérance. Une sorte de germinal de la vie. Transcendant sans l’affaiblir le propos de Saint-Luc : « paix sur terre aux hommes de bonne volonté ». Sans doute est-ce le mélange de spiritualité et de paganisme qui conférait cette identité singulière à i natali du prima.
Autres temps, autres mœurs ? Une telle formule serait outrancière. Toutefois contester qu’un changement progressif, à bas bruit, s’est opéré serait tout autant erroné. Certains regretteront en leur for intérieur cette mutation. D’autres sans trop se poser de question se plieront sans peine aux célébrations que dicte l’actuelle période.
Stelle per tutti
Quels que soient les jugements, sur ces évolutions chacun peut déceler que ce moment paraît s’envelopper d’une atmosphère de quiétude. Et pour tout dire d’harmonie. Certes des ombres altèrent le tableau. Elles projettent les affres des précaires qui ressentent plus que de coutume l’isolement. Et nous revient aux oreilles cette strophe d’un poème de Victor Hugo, ayant toute son acuité dans notre région la plus pauvre de France « Dans vos fêtes d’hiver/Oh ! songez-vous parfois que, de faim dévoré/Peut-être un indigent dans les carrefours sombres/S’arrête, et voit danser vos lumineuses ombres/Aux vitres d’un salon doré ? » Fort heureusement, initiatives personnelles et engagement de structures caritatives parviennent partiellement à faire briller quelques étoiles dans les yeux d’adultes et enfants brisés par un destin contraire. Grâce à cet engagement réveillon et offrandes viennent atténuer l’injustice. Une précieuse contribution au message d’universalité qui prévaut fort heureusement malgré la rudesse des temps.
Gioià è piacè
Et pour finir sur une note plus allègre, nul ne disconviendra que le chant de Tino Rossi charmera comme toujours les oreilles avec son incontournable « Papa Noël ». Un succès que certains pourront fredonner in lingua nostra grâce à la traduction des Voix de l’Émotion. « Fala babbucciu natale da li monti e da le valle per sparte gioià è piacè fate ch’ellu un scordi di mè. »
E cusi sià per tutti.
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