Nicolas Alfonsi, un prince républicain
Nécrologie
Mitterrand disait de lui qu’il avait l’intelligence nouée aux convictions. Il a trusté les mandats locaux et nationaux. La Corse chevillée au cœur et à l’esprit, il plaida cependant sans relâche pour qu’elle demeure étroitement ancrée dans la France, au nom de l’unité républicaine.
Par Jean Poletti
L’élégance vestimentaire et du verbe. L’humour au bout des lèvres. La dialectique sériée d’un brillant avocat au service de l’ile. Et une insigne fidélité à ses valeurs pétries de justice sociale d’humanisme et de fraternité. La gauche était sa famille, les convictions son drapeau. Au fil de ses mandats électifs, qu’ils soient parlementaires, départementaux, à l’Assemblée territoriale, ou dans ses chère commune de Piana, il fut cette voix qui appelait inlassablement à fondre la Corse dans la République une et indivisible. Son combat contre les nationalistes fut de chaque instant ou presque. Lui qui parlait corse comme personne, entamait au gré d’amicales rencontres paghjelle e canti nustrale, voyait dans la corsitude érigée en doctrine un non-sens historique et politique. Pourtant, et cela est une singularité qui échappait a nombre de ses opposants, il fut un pionnier de la sauvegarde de notre particularisme. Notre culture est menacée et doit être protégée, disait-il en credo.
A cet égard sait-on qu’il avait tenté de nouer un pacte avec Edmond Simeoni afin de sanctuariser qu’il nommait l’âme Corse ? C’était voilà près de quarante ans. L’initiative avec son ami du Niolu échoua. La raison ? Une différence d’appréciation de méthodes et de moyens. Aux yeux de Nicolas Alfonsi, ce légitime combat n’avait nul besoin de ce qu’il nommait le repli identitaire, ou d’exception juridique et institutionnelle.
Intraitable face à Joxe et Mitterrand
Intraitable sur la vision de son ile. Hostile à toute concession qui eut heurté sa conscience. Clair dans son positionnement. Il fut un opposant aux deux statuts de décentralisation. Et expliqua son refus au président François Mitterrand, notamment lors d’une longue entrevue à l’Elysée a l’issue de laquelle les deux interlocuteurs actèrent leur désaccord. Ce qui n’empêcha pas le chef de l’Etat de lui préciser qu’il lui conservait, au-delà de leurs divergences, sincère amitié et profonde estime.
Cela ne fut pas le cas avec Pierre Joxe. Lors d’une réunion à la préfecture de région, L’impétueux ministre de l’intérieur rechignait à admettre, en termes peu diplomatiques, le rejet de son projet par cette figure de proue, en rupture avec d’autres mouvances de la gauche insulaire. La réponse de Nicolas Alfonsi résumait à elle seule son intransigeance : « Je ne veux pas que la Corse devienne un pâle reflet du modèle calédonien ou la proie des voyous ».
Inlassable combattant d’une autre idée de notre ile, il avait coutume de dire qu’en politique comme dans la vie ses choix privilégiaient l’essentiel et réfutaient l’accessoire. Une dualité forgée dans la sincérité, que partisans certes partageaient, et adversaires respectaient. A l’évidence il détestait ces gesticulations médiatiques propices, disait-il, à disserter sur le sexe des anges. Sans doute préférait-il l’action et l’implication aux savantes théories et autres effets de manches seulement admis dans les prétoires.
L’onori so castichi
La spéculation ? Contrairement à l’air du temps l’incantation n’était jamais artifice utilisé. Il la combattait avec les armes de la règlementation. En qualité de président du conservatoire de l’espace littoral et des rivages il préempta des milliers d’hectares depuis sanctuarisés et inconstructibles. « Moi je ne disserte pas sur l’écologie et la défense de l’environnement, j’agis. » Sans triomphalisme mais avec le sentiment du devoir accompli il offre dans ce domaine une incontestable réussite. Pourtant peu saluée. Lui posant la question au détour d’une discussion sur cet assourdissant silence, il répondit en souriant « L’onori so castichi e a pulitica ingrata ».
Ayant mis au rayon des souvenirs ses nombreux mandats électifs, le citoyen Alfonsi ne s’engonça pas dans l’indifférence. Tant s’en faut. Attentif aux évolutions sociétales, il s’interrogerait parfois sur les actuelles dérives, le sens de son engagement. Avec en filigrane l’interrogation qui le taraudait de n’avoir pas su toujours avoir le discours assez fort afin de faire triompher son point de vue. Doute qui sied à tout intellectuel, même si en son for intérieur il était certain, fidèle à sa foi laïque d’avoir œuvré utilement pour le présent et l’avenir d’une communauté. A la fois semblable et différente des autres.
Ultime témoignage
Témoin de la fuite du temps, il devint une ultime fois acteur en participant avec Dominique Bucchini et quelques autres personnalités au meeting de la liste de gauche des municipales ajacciennes.
Il n’écrira jamais l’ouvrage qui devait relater son long et riche parcours. Le coronavirus l’a happé. Le couchant dans l’éternel sommeil que drape l’ombre tutélaire de son village aimé.
Un ténor de la politique n’est plus. Le souvenir s’instaure. L’image reste. Le personnage perdure. La mémoire demeure . Et comme en écho d’un propos d’outre-tombe, résonnent à son endroit les mots du grand Jaurès : « Le courage c’est de chercher la vérité et de la dire. Ce n’est pas de subir et ne pas faire écho, de notre âme de notre bouche et de nos mains, aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »
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