Édito
Par Jean Poletti
La cause est entendue. Toutes les explications du monde ne pourront occulter un fait majeur. Incontournable. Poignant. La Corse est dans la tourmente économique et sociale. Telle est l’onde de choc de la crise sanitaire. Qui n’a pas dit son dernier mot. Mais pour sévère et dommageable qu’elle soit, cette conséquence n’est qu’un révélateur d’une faiblesse plus profonde et qui s’est instaurée à bas bruit depuis longtemps. Le virus n’a pas stoppé, tant s’en faut, une dynamique soutenue ni un essor constant. Il ne fait qu’accentuer et élargir une plaie déjà béante qui classait notre île dans le palmarès peu envieux des régions les plus pauvres de France. Une personne sur cinq sous le seuil de la pauvreté, un chômage endémique et la cherté de la vie constituaient déjà la trilogie d’une situation qui clouait une société au mur des difficultés. À cette évidence liminaire, se greffe et se superpose un édifiant diagnostic qui atteste que lorsque le tourisme s’enroue l’île s’alite. Car dans un effet de contagion la quasi-totalité des secteurs d’activité sont touchés. Paradoxe de saison ? Nullement. Il aura fallu que l’industrie des loisirs se grippe pour que dans une complainte unanime soit joué, sous tous les toits, son importance. Et déclinés les remèdes pour sauver l’été malade. Inutile d’ergoter sur ce sujet récurrent, qui ploie sous les discours et analyses depuis des décennies. Réfractaires et adeptes, sceptiques et passéistes s’empoignent en leitmotiv dans une dialectique souvent coupante comme le diamant et qui occulte tout dialogue constructif. Antienne et vieilles lunes palabres et assertions furent momentanément mises en quarantaine lors de la période caniculaire. Chacun percevait de manière claire ou diffuse qu’en chancelant comme jamais, ce pan majeur risquait d’entraîner dans sa chute l’ensemble d’un édifice déjà fragile.
Car l’automne sera jalonné de périls. Même si le pire n’est jamais sûr, tout indique que nombre de petites structures commerciales paieront au prix fort. Certaines ne s’en relèveront pas. D’autres seront de longs mois durant à la peine. Dans une économie captive où tout est lié, se profile le spectre d’un appauvrissement collectif. Avec en corollaire une précarité accrue et l’emploi risquant de se contracter plus encore. Les perspectives ? Elles n’ont nulle place dans le chapeau de l’illusionniste. Ne relèvent nullement de ce vieux dicton « strada facendu a somma s’acconcia ». Et ne doivent pas être puisées dans le fatalisme ambiant.
Car cette fois, en bannissant tout adjectif exagéré, affirmer que le décrochage se profile à l’horizon n’est plus vue de l’esprit.
Dans ce droit fil, il n’est plus question de politique, de remèdes économiques en forme de cautère sur jambe de bois. Il convient d’initier une prise de conscience générale. Elle pourrait par exemple prendre les traits d’assises de la reconstruction. Car en un mot comme en cent, il s’agit de rebâtir la Corse. Édifier celle de l’avenir. En posant les bonnes questions reliées entre elle par un credo : quel visage demain ? Voilà qui implique de mettre sans faux-fuyant en débat le tourisme certes, mais aussi quelle économie véritablement innovante drainant d’authentiques richesses ? Bref, un projet de société. Il briserait les schémas classiques qui font fréquemment davantage appel aux subsides étatiques qu’à l’imagination et aux forces de proposition. Enchâssant l’île dans la duplication sur ce qui se fait dans l’Hexagone, alors que nos besoins, ressources, potentialités, sont atypiques en regard de l’insularité. Et particulières aussi, si l’on daigne analyser la démographie, l’exode rural et la pyramide des âges. Trois cent mille habitants, une population active n’excédant pas le tiers de ce chiffre. Telle est la donnée fondamentale. Mais cette faiblesse peut aussi être une insigne chance. À condition évidemment que l’on daigne tourner résolument le dos aux schémas classiques. Ceux qui sont en cours dans les lieux à forte densité et abondamment peuplés.
Croire en nos forces pour imaginer un chemin qui du producteur aux prestataires de services en passant par l’artisanat, l’innovation ou la culture converge vers l’excellence. Une sorte de valeur ajoutée, conjuguant à souhait tradition et modernité pour que la Corse sorte enfin de ces voies tortueuses la contraignant à partager la misère. Alors qu’elle dispose, nul ne le conteste, des atouts nécessaires pour gagner la partie du futur. Corsica un averai mai bè ? Objection monsieur Pascal Paoli. Toute référence gardée, un autre possible existe. Il suffit de le vouloir ensemble. Vous avez dit tutti inseme ?
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