On n’en peut PLU
Décision couperet. Le parlement a adopté le texte « zéro artificialisation nette » qui s’applique pleinement à la Corse. Derrière ce vocable abscons se cache une interdiction pour les communes dépourvues de documents d’urbanisme de s’étendre au-delà de leur périmètre. La décision applicable dans quatre ans fait déjà des remous.
Par Jean Poletti
En clair et pour schématiser la nouvelle législation va restreindre singulièrement la faculté des mairies de délivrer des permis de construire. Toutes ne seront pas concernées, mais celles qui sont dépourvues de Plan local d’urbanisme ou carte communale seront frappées de plein fouet. Autant dire près de soixante pour cent d’entre elles. Si cela n’aura pas de grandes conséquences dans les villages ruraux, le scénario sera radicalement différent s’agissant de la trentaine de communes de bord de mer. Sans jouer les divins, chacun perçoit qu’une telle mesure les concerne spécifiquement. En ces lieux en effet la pression urbanistique s’avère exacerbée et aiguise même les appétits du grand banditisme. Le député Jean-Félix Acquaviva fit flèche de tout bois pour que cette particularité insulaire soit pleinement reconnue afin argue-t-il d’en finir avec ces débordements qui renvoient à la pression touristique.
Pour autant ce texte sera-t-il le remède miracle du Cap à Bonifacio en passant par le Niolu et la côte orientale ? La réforme initiée paraît simple en théorie, mais ardue à mettre en œuvre. En effet la mise en conformité relève fréquemment du parcours du combattant. Maintes communes localités ne possèdent pas la logistique voulue et autre bureau d’étude pour élaborer les documents d’urbanisme. Et celles qui s’y sont attelées durent batailler parfois plusieurs années pour aboutir à l’épilogue souhaité. La liste est longue.
Exemples probants
Citons pour mémoire Pietrosella, dont le maire Jean-Baptiste Luccioni eut la foi du charbonnier et l’insigne persévérance pour obtenir le sacro-saint sésame. Du côté de Piana, Aline Castellani mène ce combat depuis quelque deux décennies. D’autres de guerre lasse abandonnèrent en chemin. Épuisés par la complexité d’un dossier, et l’œil à la sévérité tatillonne d’associations écologiques. Pour les localités à flanc de montagne frappées par la désertification et sans ressources logistiques, le statu quo était et demeure la seule et unique possibilité. Elles s’en remettent à l’État par le truchement du Règlement national d’urbanisme. L’autorité préfectorale tranchant en qualité de seul juge et arbitre. Il est vrai qu’en ces lieux excentrés, les constructions à finalité spéculative commerciale ou dévolues à la résidence secondaire relèvent de l’exception pour ne pas dire de la divine surprise. Mais paradoxe apparent d’autres localités léchées par le grand bleu s’en remettent également à la puissance étatique pour gérer les autorisations de constructibilité. Certains diront que cela relève du stratagème pour éviter de délimiter les parcelles constructibles et celles qui ne le sont pas. Satisfaire tels propriétaires, en décevoir d’autres. Et en ombre portée, le risque d’avoir à affronter des investisseurs qui ne sont pas adeptes du langage policé. Mais qui en résonance du film Le Parrain, font des propositions qui ne peuvent être refusées.
Constat sans appel
En toute hypothèse et au-delà de ces considérations un fait surnage. L’Agence de l’urbanisme de la Corse, chiffres à l’appui, indique cinq communes du littoral qui génèrent à elles seules quatre-vingt pour cent des transactions immobilières. Constat sans appel qui vaut toutes les digressions, d’autant qu’il s’accompagne d’un essor sans pareil des villas pour touristes. À cet égard dire que la Rive Sud d’Ajaccio et l’Extrême-sud sont les sites principalement concernés relève du leitmotiv. De la litote et autre secret de polichinelle.
Dans cette nouveauté validée par les députés et sénateurs, il est un élément passé sous silence. Certes il n’est pas crucial mais a aussi son importance. Il existe en effet des communes soumises tout à la fois à la loi montagne et celle dite littoral. Une double casquette qui rend encore plus problématique la mise aux normes voulues par le législateur. Si ce n’est pas un casse-tête chinois cela lui ressemble étrangement. À la quadrature du cercle se greffe une nouvelle inconnue ajoutant vraisemblablement aux difficultés des édiles locaux, soucieux malgré tout de répondre favorablement aux directives des parlementaires.
De l’accessoire à l’essentiel, osons dire que cette révolution de velours ne peut objectivement pas être contestée dans son principe et sa philosophie. Pour autant, il est des cas d’école qui jettent un pavé dans la mare et en trouble l’harmonie. À l’image de Porto-Vecchio. Jean-Christophe Angelini procède à l’instauration d’un PLU. Sera-t-il finalisé avant l’entrée en vigueur de la loi ? Le doute confine à la certitude. D’ici là qu’adviendra-t-il de son projet de mille logements à destination principale comprenant de l’habitat social ? Se brisera-t-il sur l’obstacle d’une réalité qui confond théorie et pratique ? Osons espérer que dans ce cas comme d’autres, la lettre de la loi n’en occultera pas l’esprit.
Dura lex
Sur un plan plus général, notons qu’entre les lois Alur, Elan, Montagne, Littoral et autre Padduc les textes se multiplient, se chevauchant parfois, quand ils ne se contredisent pas. Et voilà que se profile celui baptisé « zéro artificialisation nette ». De quoi se frapper la tête sur un mur, édifié en altitude ou proche de la plage. Vous avez dit millefeuille administratif ?
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