La propriété est le droit absolu de jouir et disposer des choses. En Corse comme ailleurs, elle se prouve par tous moyens. Le titre de propriété, s’il existe, est un mode de preuve mais non le seul : la possession peut aussi en constituer un, si elle réunit certains critères de nature et de durée.
Par maître Marie-Dominique Bolelli, avocate au barreau d’Ajaccio
Par titre, on entend généralement acte d’acquisition mais ce peut être aussi un acte de partage ou une décision de justice. Afin d’être opposable aux tiers, ce titre doit être publié à la conservation des hypothèques qui remonte la chaîne des propriétaires successifs. C’est l’effet relatif de la publicité foncière : le droit du titulaire se définit par référence à celui du prédécesseur, on est propriétaire pour avoir acquis de…
La publicité exige un acte authentique : c’est le cas des actes notariés et des décisions de justice mais non des actes sous seings privés. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir recours au notaire ou au juge pour transmettre le droit. Mais cela suppose que le premier titulaire soit titré. Or, c’est ce qui fait souvent défaut en Corse.
Si la propriété est prégnante ici peut-être encore plus qu’ailleurs du fait de l’enracinement à la terre, elle relève d’une conception particulière.
La carence en titres est due au contexte spécifique : un droit oral qui a longtemps prévalu et une conception de l’individu ancré au sein d’une famille à laquelle est relié le patrimoine. Une particularité évoquée par l’anthropologue Lenclud dans un article de 1988 décrivant le chef de famille comme dépositaire plus que propriétaire des biens qui lui échoient durant sa vie et subissant de singulières restrictions à son droit, dont il ne peut d’ordinaire organiser le transfert que par voie successorale… Vendre la terre était alors gage de discrédit social.
Effets néfastes
Du reste, l’état d’indivision, qui dans les années 60 affectait 38,2% des sols, ne facilitait pas les cessions.
Cet état a longtemps correspondu à un mode de production rural où le vivre ensemble temporisait sur une ou deux générations la partition concrète des biens. Avec l’exode et la désertification des campagnes, l’indivision a montré des effets néfastes dont au premier chef la dégradation du patrimoine délaissé. Aussi, depuis deux décennies le crédo a-t-il été de lutter contre l’indivision. Afin de pallier l’absence de titres qui est l’une des résultantes mais aussi une raison de sa pérennisation, a été promue la pratique notariale de création de titre par notoriété prescriptive.
Un outil original, le Girtec, constitue une aide précieuse pour les notaires, qui ont le monopole de sa saisine, afin de reconstituer les titres manquants : il a permis depuis sa création en 2007 de délivrer 8 500 titres. Le retour progressif au droit fiscal commun des déclarations successorales vise aussi la sortie des indivisions séculaires.
Intérêt économique
Cependant la situation n’est pas homogène : les propriétés du littoral ont subi un autre sort que celles de l’intérieur ce qui démontre que lorsque la motivation portée par un intérêt économique a été là, la règle « nul n’est tenu de rester dans l’indivision » énoncée à l’article 815 du code civil a pu trouver application ici aussi.
La propension à vendre les biens immeubles, désormais considérés pour leur valeur vénale, est significative d’une évolution culturelle : la conception traditionnelle familiale de la propriété a laissé place à une conception plus individualiste. La première s’inscrivait dans une finalité de maintien du patrimoine dans la famille intergénération alors qu’à l’inverse, la seconde vise à satisfaire les besoins immédiats du titulaire individuel.
La spéculation a frappé avec un triste constat en 2014 : 4 résidences secondaires sur 10 sont propriétés de non-corses et occupées seulement quelques mois par an. Majoritairement sises sur le littoral, ces résidences commencent à s’étendre à l’intérieur.
Au milieu du gué
Moult actions en partage sont engagées en vertu de l’article 815 du code civil afin de transmettre aux enfants des biens définis, mais aussi de permettre aux titulaires de jouir eux-mêmes de l’héritage durant leur vivant voire de céder librement leurs droits à des tiers. La tendance est à la sortie de l’indivision même si la mise en œuvre des actions en partage se heurte encore parfois au défaut de titres, posant la question de l’opportunité d’élargir la saisine du Girtec.
Reste à savoir si ces sorties d’indivision concomitamment au délitement des valeurs familiales au profit d’intérêts financiers vont être suivies de la généralisation du phénomène affectant le littoral.
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