Pascal Casile : À la recherche d’héritiers perdus

 

Pascal Casile peut revêtir plusieurs rôles dans sa vie de tous les jours : Indiana Jones, Tintin, Hercule Poirot, il peut également changer votre vie ou celle de vos proches. Il est généalogiste successoral, une profession qui allie son intérêt pour l’histoire, le droit, une sacrée dose de pugnacité et une âme de globe-trotter.  Avec rigueur, il remonte le temps, bouscule les mémoires, touche à l’intimité des familles et à leurs secrets.

Rencontre.

Par Anne-Catherine Mendez

Votre parcours ?

J’ai un cursus classique d’élève ajaccien au collège et lycée Saint-Paul. J’obtiens ensuite ma maîtrise de droit à Aix-en-Provence, je débute un DEA, que j’abandonne rapidement. Je rentre à Ajaccio, un peu contraint par la pression familiale et des promesses d’embauches. Professionnellement, rien ne se concrétise et au fond de moi, j’ai envie de voir ailleurs, j’ai besoin de découvrir d’autres choses. 

En 1994, un copain de fac me parle du métier de chercheur d’héritiers, lui-même s’y est intéressé et je ne sais pas pourquoi, cela raisonne dans ma tête comme une réponse à mes aspirations. Je prends rendez-vous avec maître Spadoni, qui malgré son emploi du temps chargé, me reçoit et confirme mon choix : « Jeune homme, foncez c’est un métier d’avenir ! »

Mes parents font grise mine, mais sûr de moi, je leur demande juste de me faire confiance. 

En 1995, je suis recruté à Paris par un cabinet spécialisé dans la généalogie successorale. Pendant 6 ans, je vais être sur le terrain, à sillonner toute la France, à partir aux États-Unis, en Italie, en Pologne. En 2000, j’ai la possibilité de revenir dans le Sud de la France, intégrer la succursale marseillaise d’une très grosse agence de généalogie successorale, le cabinet Coutot-Roehrig. J’en assure la direction depuis maintenant près de 10 ans, auprès d’environ 30 collaborateurs. Je vis ce métier avec passion. 

Que revêt le terme de généalogiste successoral ?

Le généalogiste est un spécialiste de l’étude des familles. Son rôle s’est accru du fait du recul du modèle familial traditionnel : la mobilité et l’éclatement des familles entraînent une dispersion qui rendent les recherches d’un généalogiste souvent indispensables. C’est principalement dans le cadre des successions et de la recherche d’héritiers que le généalogiste est appelé à travailler. Cette profession née de la pratique est encadrée depuis une loi du 23 juin 2006.

Dans le cadre d’une succession, le notaire doit établir une dévolution successorale c’est-à-dire déterminer l’identité des héritiers.

Généralement, pour prouver la parenté, il utilise des déclarations, les pièces d’état civil, les livrets de famille qui lui sont remis par la famille du défunt. Il arrive cependant parfois que le notaire ne parvienne pas à déterminer lui-même les héritiers. Il mandate alors un généalogiste afin d’établir une dévolution successorale lorsqu’elle est inconnue, incomplète ou incertaine, de rechercher les héritiers et prouver qu’il n’y en a pas d’autres, de retrouver des héritiers, de rechercher des bénéficiaires d’assurance-vie.

L’état civil est la source reine, jalonnant notre enquête d’un bout à l’autre mais nous recourons à des documents très variés : les plus habituels sont de nature fiscale, militaire, électorale, judiciaire… Quant aux témoignages, ils sont devenus primordiaux pour orienter nos recherches ou en conforter le résultat. Les parcours de vie actuels sont bien moins classiques qu’il y a un siècle. Nos enquêtes ne peuvent donc désormais être menées à leur terme qu’en interrogeant longuement les familles. Il faut savoir croiser les informations, recouper les indices sans pour autant être trop intrusifs. L’équilibre est délicat. On observe néanmoins fréquemment, même si cela continue toujours à me surprendre un peu, que l’intervention du généalogiste peut libérer la parole sur des pans entiers d’une histoire familiale tenue jusque-là sous silence…

En France, la loi prévoit qu’en l’absence de testament, on hérite selon son ordre (descendants, ascendants, collatéraux,…) et selon son degré (nombre de liens générationnelles liant la personne au défunt). Selon le code civil, il est possible d’hériter jusqu’au 6e degré inclus.

Hors du cadre d’une succession, le généalogiste peut être amené à établir l’origine de propriété de biens immobiliers, confirmer une présomption d’absence, rechercher des propriétaires de biens immobiliers ou de valeurs mobilières.

Nous sommes aux premières loges pour observer les évolutions sociologiques. Depuis la création de la première étude en 1830, la profession a évolué. Jusqu’au xxe siècle, les généalogistes n’étaient pas utiles pour retrouver les héritiers, puisque tout le monde vivait dans le même village. Depuis un siècle, avec le développement de l’union libre, la multiplication des divorces, l’augmentation du nombre d’enfants nés hors mariage, l’allongement de la durée de la vie humaine, l’accroissement de la mobilité géographique ou l’isolement des personnes âgées, le contexte de la généalogie a changé. 25 % de nos recherches s’effectuent en ligne directe, ce qui aurait été impensable il y a 100 ans.

Retrouver un héritier est un véritable travail d’enquêteur. Les chercheurs mettent en œuvre tous les moyens humains et matériels à leur disposition pour parvenir à retrouver les héritiers. Le moindre indice peut être utile, comme un livret de famille, un nom ou même une adresse pour débuter les investigations. Grâce aux recherches sur le terrain et dans les différentes archives, le généalogiste va dresser un tableau généalogique afin de ne pas évincer d’héritier. Ce travail de limier peut durer de quelques mois à plusieurs années

Concrètement, comment se passe le contact avec le ou les héritiers ?

C’est un métier rare, nous vivons souvent des situations hors du commun. Nous pouvons changer la vie de quelqu’un, peu de monde peut en dire autant. Ainsi quand nous sommes mandatés, dans la plupart des cas, par un notaire, que nous trouvons le ou les héritiers, nous allons révéler un secret. Nous proposons un contrat de révélation. Nous allons également les représenter pour toutes les formalités de la succession. Ce sont donc les héritiers ayant bénéficié de ses recherches qui sont chargés de payer le coût de notre prestation. Généralement les honoraires s’élèvent en moyenne à 25% des sommes encaissées après impôts. Les mauvaises surprises demeurent dans la découverte de dettes, ou de testament. 

La rencontre avec les héritiers est toujours un moment très fort, un moment de partage et pour moi, ce sont ces rendez-vous humains qui restent dans ma mémoire. Nous sommes un peu des aventuriers des temps modernes, entre Tintin et Sherlock Holmes.

Quel est votre souvenir professionnel le plus marquant ?

En 1997, jeune enquêteur, j’ai eu la chance de vivre la plus belle succession de ces cinquante dernières années, en menant moi-même les recherches des héritiers de Dora Maar, née Henriette Theodora Markovitch, photographe, muse et maîtresse de Pablo Picasso. Elle est morte à Paris, seule, recluse après avoir sombré dans la dépression puis la folie. Quatre ou cinq personnes seulement ont assisté à son enterrement. Son appartement une fois ouvert a révélé des trésors, dessins, photographies, peintures… Le cabinet dans lequel je travaillais a été mandaté pour rechercher ses héritiers. Très vite, du côté de sa mère qui était française, une cousine s’est manifestée. Du côté de son père, Josip Marković(Joseph Markovitch), architecte croate, fils unique, né à Zagreb, l’aventure commençait. Me voilà parti en novembre 1997, en Croatie, qui sort de la guerre des Balkans, des casques bleus partout dans les rues, pas de téléphone portable, pas d’internet, une traductrice et la volonté farouche de poursuivre toutes les pistes qui s’offrent à moi : état civil, cimetière, mairie quand elles sont encore debout. Au fur et à mesure, je retrouve des membres de cette famille, mais soit ils n’ont pas eu d’enfants, soit ces derniers sont morts. Enfin au bout d’un mois et demi, je retrouve dans un village, la trace d’une grand-tante de Dora, Amalia, née en 1875, qui en 1905, donne naissance à l’unique héritière de Dora. En 1997, cette dame a environ 92 ans, elle est vivante, et jusqu’à mon arrivée dans leur modeste maison, elle et sa fille ne se doutent absolument pas qu’elles vont hériter à hauteur de 50% de la succession de leur cousine au 5e degré. La succession donne lieu à une première vente aux enchères en 1998, à la Maison de la Chimie qui réalise 214 millions de francs de bénéfices soit à peu près 42 millions d’euros. 

Cette histoire assez rocambolesque a favorisé mon parcours dans la profession, et surtout m’a permis de côtoyer un monde qui naturellement n’est pas le mien. 

Quel rapport entretenez-vous avec la Corse ?

Je suis directeur de la succursale de Marseille, qui comprend dans son périmètre d’action la Corse. C’est donc toujours avec plaisir que je me rends sur mon île pour mettre mes compétences au service de dossiers parfois compliqués. La Corse et sa fâcheuse propension à l’indivision ne favorisent pas toujours des successions sereines. Depuis 13 ans environ, nous travaillons en collaboration avec le Groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriétés en Corse (GIRTEC) qui a pour objectif d’aider à résoudre le désordre foncier de l’île causé par l’absence de titres de propriétés.

Pour moi, c’est une vraie fierté de contribuer à ce type de dossiers. Personnellement mes villages de Marignana et de Valle di Mezzana, sont mes repères, le Gazelec reste mon club de cœur, je ne peux pas être très longtemps éloigné de mes racines.

Un échec, un regret ?

Je n’ai pas d’échec ou de regret particulier sauf peut-être un peu d’amertume par rapport à un dossier qui me revient en tête. Lors du décès d’une femme, qui avait abandonné son fils à la naissance, je me suis occupé dans le cadre de sa succession de retrouver ce fils qui juridiquement n’avait aucun lien. Nous n’étions pas sûr de pouvoir aboutir et surtout de pouvoir prouver au juge qu’il était bien l’héritier en modifiant dans un premier temps son acte de naissance. Par ailleurs, des cousins s’étaient manifestés pour prétendre à l’héritage. Avec mon équipe, nous avons fait preuve d’une grande expertise pour parvenir à nos fins et nous avons réussi à convaincre la justice. Une fois les sommes encaissées, l’héritier réhabilité a contesté nos honoraires, nous a poursuivis en justice, procès qu’il a d’ailleurs perdu. L’ingratitude humaine me frappe toujours autant.

De quoi êtes-vous fier ?

Je suis fier de vivre depuis 28 ans une passion infaillible depuis le premier jour. J’aime renouer le fil d’histoires familiales, de retrouvailles, de rencontres. 

Avez-vous une devise ?

Être sérieux sans se prendre au sérieux.

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