« La Corse moins pauvre demain ? » Tel est le thème d’un grand colloque qui se déroulera le 16 octobre à l’Espace Diamant à Ajaccio. Sociologues, médecins, représentants d’associations, économistes ne se limiteront pas au constat. Des pistes ambitieuses et réalistes seront ouvertes pour tenter de juguler cette plaie béante qui sacrifie trop de personnes sur l’autel de l’indigence.
Par Jean Poletti
Sous l’égide de la coordination inter-associations de lutte contre l’exclusion, ce rendez-vous sera marqué au sceau de l’espoir. Sous le soleil, la misère ne doit plus être le sempiternel compagnon de route d’une communauté ou près d’un habitant sur trois se débat pour accéder au minimum vital. Au-delà des chiffres et froides analyses, s’entrouvre un univers où des gens souffrent, doivent faire des choix draconiens pour affronter leur triste quotidien. Se chauffer, manger décemment, payer loyer et électricité. Voilà la réalité. Elle insulte le cœur et l’esprit tant l’injustice est criante. Douloureuse. Inacceptable et pour tout dire infamante pour l’ensemble de la société.
Dire que la paupérisation n’est pas spécifique à notre île ne peut être un motif de consolation. Ici plus qu’ailleurs, le mal est prégnant. Notre région est la plus pauvre de l’Hexagone, et le coût de la vie le plus élevé. Une dualité maléfique et complémentaire qui terrasse jeunes, adultes et personnes âgées laissées sur le bord de la route d’une existence normale. Cette insidieuse gangrène se répand et s’amplifie au point de gagner le monde rural, que d’aucuns voulaient croire épargné. Fort heureusement, des structures caritatives et les aides étatiques atténuent le marasme. Mais là aussi les interventions pécuniaires ou alimentaires sont de modestes palliatifs, au demeurant asphyxiés par une demande sans cesse croissante. Le récent cri d’alarme des Restos du Cœur au niveau national en porte témoignage. Et nul doute qu’en onde de choc des conséquences néfastes n’épargneront pas la Corse. Dans le cadre d’un louable mécénat le milliardaire Bernard Arnault octroya dix millions d’euros. Cela est à souligner. Mais en corollaire, s’impose l’idée que les gouvernements successifs ne furent pas capables d’initier une authentique politique susceptible de relayer l’initiative de Coluche, qui doit se retourner dans sa tombe devant cette impéritie de la cinquième puissance mondiale.
Des palliatifs au remède
Par ailleurs, faudra-t-il encore longtemps se satisfaire de ce traitement social, qui donne à penser que cette situation est consubstantielle de notre société ? Ailleurs comme ici doit-on tenir comme évidence que ces damnés de la terre des temps modernes ne peuvent survivre que grâce aux subsides aliments et vêtements généreusement offerts ? Voilà qui désarçonne le concept d’équité, foule aux pieds celui de la dignité et tourne le dos à la maxime de Confucius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. »
Bannissons l’éventuel amalgame. L’entraide est vitale. Mais elle ne doit plus être érigée au rang de doctrine. Il convient désormais de trouver les voies et moyens de faire œuvre d’imagination qui terrasse définitivement l’ombre portée de l’aumône au bénéfice d’une solidarité pleine et entière. Là est le défi. Le combat s’ouvre en Corse, ici et maintenant. Ce colloque se veut à maints égards précurseur et innovant. Il change le paradigme, tente de se défaire de l’accompagnement factuel pour faire éclore un fait sociétal renvoyant au fameux « à chacun ses besoins ». Utopie ? Gageure ? Nullement rétorqueront les organisateurs de cette rencontre dans la cité impériale. Ils affirmeront en préambule éloquent que « la pauvreté est l’œuvre des hommes ». Elle n’est pas le fruit du hasard. Nos actions, aussi nombreuses et généreuses qu’elles soient, ne suffiront pas, à elles seules, à faire reculer la misère et à éteindre le foyer ravageur qui progresse inexorablement. D’où l’énumération de ripostes qui s’adossent sur le réel pour aller vers le possible.
La légende du colibri
François Pernin, dont nul n’ignore l’engagement au sein de la coordination inter-associative de lutte contre l’exclusion, en définit à grands traits la démarche. « Nous traitons l’urgence, il manque la prévention. Nous accompagnons les stades terminaux, il nous faut le curatif. Nous multiplions les mêmes gestes de sauvetage, il nous faut des chercheurs. Nous agissons dans les lieux où frappe la misère, il nous faut des vigies. Nous déployons nos talents il nous faut un chef d’orchestre. »Et en substance chacun d’adhérer à l’image de la légende du colibri qui jette quelques gouttes d’eau sur un feu ravageur. Dérisoire disent les Cassandre. Mais l’oiseau de rétorquer « Je fais ma part. » Dès lors d’autres, plus puissants, imprégnés de ce geste si modeste s’impliquent à leur tour dans cette mission salvatrice. Voilà l’espérance, presque une philosophie de ralliement à une cause sacrée. Étant entendu dans le droit fil de cette digression aquatique que les petits ruisseaux forment les grandes rivières. Et tous d’insister en accord sans faille « Ce n’est pas un rêve, c’est le sens de ce rendez-vous, un moment de partage pour construire enfin ensemble une Corse moins pauvre. » Le postulat s’habille de noblesse. Il fait appel à la conscience collective, celle qui écarte l’individualisme laissant large place à la philanthropie agissante que pétrit l’humanisme.
Passer de la théorie à la pratique. Combler l’espace de l’idée à sa mise en œuvre. Être force de propositions. Tels sont les grands chapitres que déclineront les intervenants. Jean-Philippe Pernin, après une brillante carrière dans l’industrie notamment, consacre sa retraite à expliciter les grandes mutations. Elles cumulent crises sanitaires, sociales, environnementales, géopolitiques et économiques. D’où de sombres perspectives dont seront principalement victimes les plus pauvres, bien que n’ayant qu’une faible part dans ces dérèglements. Que faire ? « Développer chez chacun la plus grande lucidité sur la gravité des constats. Cela permettra de contribuer sur la Corse comme sur d’autres territoires à des formes d’actions plus cohérentes et plus solidaires envers les plus précaires notamment. Elles se focaliseront prioritairement sur les secteurs essentiels de l’alimentation, l’énergie, l’habitat et la santé. »
Le pain quotidien
Comme en écho, Hyacinthe Choury axera son propos sur les contraintes de notre petite île-montagne. Le secrétaire général du Secours Populaire dira que cette situation géographique ne revêt aucune protection. Bien au contraire. « Elle est soumise aux dérèglements systémiques mondiaux. » Et de poursuivre « Cela a des conséquences climatiques sur notre environnement, nos ressources, notre santé. Et les effets économiques appauvrissent ses habitants. » Une donnée intangible qui appelle une cardinale adaptation pour en atténuer les effets. « Au-delà de l’action indispensable de nos associations pour soutenir les plus démunis, des mesures ambitieuses doivent être prises pour assurer la résilience de notre population sur son sol. » Par le jeu des questions réponses avec la salle, nul doute que ce chapitre permettra d’esquisser des remèdes à la hauteur des attentes. La séquence sera rehaussée par des illustrations graphiques assurées par Cécile Masera qui réalisera des fresques synthétisant les échanges.
François Casabianca, membre du Comité économique social environnemental et culturel, abordera ce que l’on nomme le droit à l’alimentation auquel n’ont que partiellement accès ceux qui n’ont que de faibles revenus. Celui qui fut chercheur à l’INRAE mettra en exergue que « la fraction réduite du budget consacrée aux repas et la faiblesse du pouvoir d’achat font plus de place aux aliments bon marché. Cette malbouffe provoque une fréquence élevée des maladies métaboliques chez les plus précaires ». Le remède est multiforme. Se nourrir n’est pas qu’une question nutritionnelle. Elle rejoint une problématique de santé publique. Ainsi convient-il de privilégier les circuits courts, la réduction du nombre d’intermédiaires, la maîtrise des coûts, une juste rémunération des producteurs locaux. Et dans le même temps informer, éduquer, construire des solutions solidaires, veiller à ne pas isoler ceux qui sont dans le besoin.
Au chevet des potentialités
L’île a deux biens communs naturels et gratuits : le soleil et le vent. Pourquoi ne pas les partager ? La fausse interrogation de Georges Guironnet suggère une réponse en tous points positive. Davantage qu’une invitation, il s’agit d’un credo. Lui qui après une vie professionnelle revint dans son village d’Ochjatana pour créer une entreprise leader insulaire dans le solaire, étaye son idée. « Aujourd’hui, les énergies nouvelles permettent de révolutionner la vie quotidienne. » Et de décliner un toit pour s’abriter avec les siens en rupture avec les passoires énergétiques source de misère. Mais aussi gagner sa vie dans un emploi digne et justement rémunéré. Sans oublier la possibilité de se déplacer et s’épanouir dans une société harmonieuse. En incidence à toutes ses opportunités, c’est aussi « une réponse majeure au réchauffement climatique aggravé par la gestion centralisée des énergies fossiles et des agro-carburants importés également coupables de paupérisation de la Corse et d’exil de sa jeunesse ».
Voilà qui s’apparente à un nouveau modèle économique. Il n’a aucune similitude avec un vain plaidoyer mais s’enracine dans le réel pour façonner le futur. Celui qui fut, par ailleurs, chargé de mission pour l’Adec Capenergies, possède cette assurance tranquille dont l’analyse sériée et pragmatique l’incite, avec d’autres, à penser que les faits lui donneront raison dans cette quête d’une construction scellée dans l’équitable.
Pauvre santé
Tout est lié dans ce grand bond en avant que la coordination, altruiste et bénévole, appelle de ses vœux. Le progrès en effet n’a de véritable sens et d’acceptabilité qu’avec l’avènement des préceptes qui privilégient sans ambages l’intérêt général de la somme des intérêts particuliers. Chez nous, plus qu’ailleurs, cela est non seulement souhaitable mais également possible.
Bien sûr, cette intense évolution ne se matérialisera pas d’un coup de baguette magique. Sans doute faudra-t-il pour ces personnes de bonne volonté persévérer dans leur louable effort. Faire assaut de pédagogie. Dire sans relâche les bienfaits des jalons qu’ils plantent pour un horizon plus serein. À l’évidence, connaissant leur ténacité, ils y sont prêts et aspirent à infuser et amplifier cette offre novatrice au sein des citoyens. Et surtout chez deux qui ont le pouvoir d’adhérer bénéfique changement.
D’un sujet, l’autre, il ne pourra pas ne pas être question de l’inégalité de l’accès aux soins. À cet égard dire que les plus précaires sont frappés de plein fouet est le leitmotiv d’une douloureuse évidence. Laurent Papazian, désormais médecin intensiviste-réanimateur au l’hôpital de Bastia, apportera sa contribution. On se souvient que ce patricien alors en poste à Marseille fut l’artisan lors du Covid du transfert de patients insulaires vers la cité phocéenne. Aussi dire qu’il a la Corse au cœur relève de la litote. Manque de médecins, remplacement problématique de ceux qui partent en retraite, croissance démographique, vieillissement de la population. Autant de facteurs pénalisants entre l’offre et la demande. Ils sont encore plus aigus durant la saison estivale démontrant « un système de santé aux capacités inadaptées ». Aussi n’est pas fruit d’une chimère si dans l’opinion, il se dit fréquemment que le meilleur médecin c’est l’avion.
Dossiers emblématiques
Assertion populaire sans doute exagérée. En toute hypothèse, seuls ceux qui ignorent les fins de mois difficiles peuvent s’envoler autant que nécessaire pour consulter ou subir examens et thérapies dans des unités spécialisées. Faut-il baisser les bras ? Se satisfaire de plateaux techniques peu idoines. Voire accepter les insultes qui assaillent le centre de Falonaja ? Dans une démarche positive et volontariste Laurent Papazian pose un diagnostic éclairé. « La formation sur place des étudiants en médecine par la création d’un Centre hospitalier universitaire. Une implantation qui permettrait d’espérer de les garder chez nous et entrer dans un cercle vertueux rendant la Corse attractive pour exercer cette profession. »
Il n’est pas le premier à formuler une telle requête. Le médecin François Benedetti fut un précurseur. La question fut même évoquée à l’Assemblée territoriale. Faut-il souligner une nouvelle fois qu’au mépris de la réglementation, l’île est la seule et unique région française à ne pas posséder de CHU ? Doit-on évoquer les démarches multiples et variées auprès des différents ministres concernés et au sein des sphères gouvernementales pour que cette injustice soit rétablie ? Récemment encore, la conseillère exécutive et praticienne Bianca Fazi ne recueillit que réponses évasives, sourdes oreilles, ou mutisme éloquent à cette revendication en tous points légitime. La remettre sur le devant de la scène lors de ce colloque permettra-t-il de débloquer ce dossier ? Acceptons-en l’augure.
On le voit sans l’esquisse de l’ombre d’un doute. La démarche de la coordination est bâtie sur quatre piliers complémentaires. Ils allient le témoignage de la réalité, l’action conjointe pour développer des projets communs, intégrer les personnes pauvres dans la conception, la réalisation et l’amélioration des projets qui les concernent. Enfin, dans une sorte de pierre angulaire, l’appel à l’implication des différents acteurs dont les capacités professionnelles ou électives seraient efficientes pour faire reculer la précarité, tant dans ses causes que ses conséquences.
Lendemains d’espérance
Ambition, avons-nous écrit précédemment. Nul n’en disconviendra. Mais se hisser à la hauteur de cet enjeu est une obligation morale. François Pernin et l’ensemble de ce groupe persistent et signent. L’exclusion n’est pas une fatalité. Unis par le rejet de l’iniquité et le soutien à ceux qui parfois n’ont même pas le strict nécessaire pour survivre, ces personnes font du droit humain un étendard qu’ils lèvent au vent de lendemains d’espérance.
Sous le soleil la misère, disions-nous d’emblée. Mais elle n’a pas de saison. Et en mémoire nous revient cette phrase de Victor Hugo « Voici venir l’hiver, terreur des pauvres gens. » Il n’est que temps dans une île gorgée de potentialités, et que l’on dit propice aux élans solidaires, que de telles assertions ne soient plus jamais d’actualité.
Associations à la CLE
La Coordination inter-associative de lutte contre l’exclusion, que préside François Pernin, est composée de quinze associations. A Fratellanza. Avà Basta. Avà Simu. Croix-Rouge. Fraternité du partage. Falep. Falepa Corsica. Entraide protestante. Hors Normes. Les Uns visibles. Médecins du Monde. Présence Bis. Restos du Cœur. Secours Catholique. Secours Populaire.
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