Il est non seulement vain mais impossible de résister et lutter contre un adversaire voire un ennemi qui souhaite nous dominer ou nous détruire sans prendre attention à son discours.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Mais c’est pourtant ce qu’ont fait et continuent de faire en grande part les démocraties occidentales tant à l’égard de Vladimir Poutine que des islamistes radicaux comme le Hamas et le Hezbollah. Les deux tendances totalitaires qui savent se rencontrer ont cependant dit clairement leur vision du monde et leurs intentions. Toutes deux considèrent la démocratie occidentale comme une décadence pervertissant les mœurs et veulent lui substituer, fût-ce par la terreur et la guerre, un pouvoir qu’on baptise pudiquement d’illibéral ou une théocratie soumettant tout individu à la loi de son Dieu. Ils l’ont dit, ils le font et arrivent même à convaincre une partie du monde, pour ainsi dire majoritaire, du bien-fondé de leur vision.
Il n’est pas trop tard pour reprendre le combat des idées même si dans nos démocraties le mot « idéologie » est banni, même si la bienveillance béate s’est substituée au débat éclairé et respectueux comme s’il était devenu honteux de penser.
Principes et valeurs
En acceptant cette démission de la pensée on justifie le discours effrayant de Poutine et des islamistes radicaux. Nous avons perdu connaissance de ce que nous sommes et le monde nous est devenu silencieux. Ce silence a été meublé par le bruit des échanges marchands et celui des non-savoirs où tout vaut tout. Il est impossible de défendre, comme on dit des valeurs, quand on n’a plus de principes fondamentaux. L’usage du mot valeur le souligne bien car une valeur vaut plus ou moins et s’échange. La substitution des valeurs aux principes est le signe langagier que nous sommes entrés dans une marchandisation sans frein.
Les dictatures ont alors beau jeu de faire la critique des démocraties déclinantes réduites à un libre-échange, caricature du vrai libéralisme tel que Tocqueville le pensait.
Nous avons perdu connaissance parce que plus rien ne naît avec nous et le monde désenchanté devient le désert qui croît, annoncé par Nietzsche. Cette perte de connaissance n’est pas le tragique des philosophies de l’absurde comme chez Camus qui lui répondait par un humanisme volontaire.
Reprendre connaissance
Elle est le nihilisme par lequel le progrès devient destruction sans fin comme Schumpeter décrivait les conditions d’un capitalisme efficace : la succession de plus en plus rapide des innovations et la compétition hypocritement appelée compétitivité sont en fait une destruction immédiate de tout acquis. Dans une telle situation, si des savoirs provisoires se succèdent aucune connaissance n’est possible. L’humanité perd connaissance d’elle-même comme les démocraties patiemment construites à la lumière de la connaissance s’affaissent. Il s’agit en reprenant connaissance d’éviter leur effondrement.
Reprendre connaissance, c’est réentendre le monde. C’est diminuer le bruit ambiant des échanges qui se précipitent. C’est de nouveau laisser sa part à l’esprit. Sans reprendre connaissance nul ne pourra écrire ni même entendre un texte comme le poème baudelairien « Homme libre toujours tu chériras la mer » car l’océan ne fait plus résonner ses colères ni la sérénité de son calme. On n’entend plus rien ni le monde ni les hommes. Les paroles hostiles comme les paroles concordantes sont muettes. Il nous faut laisser de nouveau résonner en nous le monde et les hommes pour entendre les différences tant dans leur harmonie et leur combat pour reconstruire une société du débat paisible capable de répondre aux attaques de ceux qui veulent faire taire toute libre parole.
Reprenons connaissance de nous-même, reprenons le fil de la pensée pour qu’au silence de l’uniformité des bruits de la compétition effrénée ne succède celui mordant et mortel des dictatures politiques et religieuses.
Glacis totalitaire
À force de dénigrer tout débat politique et de renoncer à toute dimension de sens, notre perte de connaissance conduira au glacis totalitaire.
Les démocraties libérales ne pourront repousser les dangers totalitaires et terroristes qu’en reprenant connaissance et en cessant de ne plus croire en l’histoire car elle aurait atteint sa fin.
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