Pierre Alessandri lanceur d’alerte

Le symbole assassiné de la probité agricole

Des détonations troublant la quiétude de Sarrola-Carcopino. Une nouvelle fois l’effroi tétanisant l’île. L’interrogation laisse place dans l’opinion à la certitude que l’agriculteur est mort pour ses idées. Aussi, ce guet-apens mortel met en exergue une autre morbide facette des dérives insulaires. Cet inlassable opposant aux fraudes et prébendes d’une minorité souillant la corporation, indique au-delà des réactions et commentaires que les nobles combats peuvent avoir rendez-vous avec la mort.

Par Jean Poletti

Abattu dans sa propriété où il s’afférait quotidiennement. À l’heure où la Corse célébrait A Madunuccia et Saint-Antoine, Pierre Alessandri succombait, atteint dans le dos par des décharges de chevrotines. Cette concomitance entre les cérémonies religieuses, évoquant la quête de paix, et l’épilogue sanglant semblent montrer les deux visages d’une Corse aspirant à la quiétude mais terrassée par le mal. Une sorte de chemin de croix bordé par un suaire tissé dans la douleur et la frayeur qui emprisonnent un peuple.

À l’injuste destin de Chloé, succéda à quelques semaines d’intervalle celui d’un producteur qui vouait aux gémonies ceux qui voient le monde agricole par le prisme exclusif des primes indues et autres subventions européennes fallacieuses. Pierre Alessandri était ce que l’on nomme un lanceur d’alerte. En cela il n’épousait nullement le statut de délateur, mais faisait œuvre citoyenne. Compagnon de route de l’association Anticor son combat s’abreuvait à la source de l’intérêt général, fait d’équité et rejoignant le concept fondant la démocratie. Une conviction qui lui valut des déboires. À l’image des flammes criminelles qui ravagèrent une grande partie de ses biens professionnels. Une destruction émaillée de menaces anonymes, explicites ou voilées. Autant de dangers qu’il ne portait pas sur la place publique, et n’altéraient pas son engagement pour vérité.

Glaçant avertissement

Au-delà des investigations judiciaires, la microrégion sarrolaise bruisse de propos qui allient l’honnêteté d’un homme âpre au labeur et qui ne supportait pas l’injustice. Voilà portrait spontané, venu du cœur de ceux qui le connurent. Et sans ces circonvolutions sémantiques qui trop souvent émanent de réactions officielles. Non pas que ces dernières soient insincères ou opportunes, mais qui parfois peuvent paraître dictées par les circonstances. Pour ne pas dire l’exercice obligé.

A malamorte est désormais omniprésente. Mais cette fois elle frappe volontairement un être qui ne recherchait aucun profit personnel ou une médiatisation dont d’autres sont friands. Il ne peut figurer dans la cohorte des funestes méprises et ce que l’on enferme dans le vocable de règlements de comptes entre voyous. Dès lors se profile une autre plaie de l’île. Celle qui ouvre béante le moyen de faire définitivement taire les êtres qui se dressent devant l’iniquité.

Nul ne s’y trompe. La disparition de Pierre Alessandri vaut aussi message à l’endroit de personnes qui sont dans cette démarche ou voulant l’emprunter. Elle sonne comme un glaçant avertissement qui ne manque pas d’être relevé au détour des conversations.

Le vice et la vertu

« Le silence tue affirment certains, ils devraient ajouter la parole aussi. » Telle est dans un raccourci lapidaire mais éloquent la phrase qui revient en leitmotiv, démontrant mieux que longues digressions l’étau qui enserre une communauté.

Sans verser dans l’exagération sémantique, une grande majorité pressent de manière intuitive et selon la formule consacrée que Pierre Alessandri fut sacrifié sur l’autel de la franchise. Si tel était le cas, nul doute que son nom rejoindrait une longue litanie de gens qui a des époques différentes croyaient qu’une société ne peut décemment s’épanouir en foulant aux pieds la vertu. Certes ce bien cher à Platon est une dimension impossible à atteindre en regard des faiblesses de la nature humaine. Nul n’en disconvient sauf à verser dans l’utopie. Toutefois d’aucuns s’activent pour qu’une communauté s’en approche. Et risquent en cela de subir des pressions. Ou pis encore de tomber sous les tirs de tueurs.

En l’occurrence, l’indignation sans être sélective, paraît s’extirper partiellement de celle qui prévaut généralement. Au risque de redites, force est de reconnaître qu’avec Pierre Alessandri affleure une autre dimension. Éventuelle vengeance ou acte froidement préparé, se fondent dans un même creuset : murer à jamais dans le mutisme. Enterrer une expression. Supprimer un juste.

Le salut au juste

La presse fut inondée de communiqués. Ils mettaient en relief non seulement la lancinante onde de choc sans cesse renouvelée au fil des meurtres. Mais également le tribut payé par un homme de bien, dans toute l’acception du terme. Ravi à l’affection des siens sur un chemin qu’il voulait bordé de probité.

Ainsi, de Via Campagnola dont il était adhérent, a Femu a Corsica, Core in Fronte, le PNC, les hommages se multiplièrent dans le giron nationaliste. Tous saluèrent « un homme honnête » « patriote enraciné dans sa terre ». La Confédération paysanne tout comme la SFER et plus généralement le monde agricole par la voix de Dominique Livrelli se dirent en deuil, tandis que Léo Battesti martelait « qu’un symbole d’intégrité et de militantisme agricole avait été abattu. Et d’ajouter que cela était « un coup dur porté à la Corse de la créativité et du travail par ceux qui par la terreur veulent la dominer. » Dans ce droit fil, Jean-Baptiste Arena soulignait  « Ti rendimu umagiu tù chi ti si impegnatu incu noi tutti per una sucietà agro-pastorale fundata nant’à sulidarità è u rispetu di a persona umana. » Puis d’affirmer « Mai ùn lasceremu passa e forze bughjose è tenebrose chi arruinanu l’avvene di i nostri figlioli. »

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