LA TRÉSORERIE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE LA VIE ET LA MORT D’UNE SOCIÉTÉ. C’EST LE CARBURANT NÉCESSAIRE À LA TENUE DU CYCLE D’EXPLOITATION DE L’ENTREPRISE. POURTANT, EN CAS D’EXCÉDENT DE CASH, BON NOMBRE DE DIRIGEANT, GESTIONNAIRE OU DIRECTEURS FINANCIERS ONT LA SENSATION DE DEVOIR «FAIRE TRAVAILLER» CET ARGENT. PLUTÔT QUE D’IDENTIFIER D’ÉVENTUELS PLACEMENTS INTÉRESSANTS, TRAITONS ENSEMBLE DE LA PERTINENCE DE PLACER SA TRÉSORERIE.
Sébastien Ristori est analyste financier, professeur de finance d’entreprise à l’Université de Corse, directeur d’entreprise et auteur aux Éditions Ellipses.
Placer en période de taux nuls (ou négatifs!) Les taux négatifs ont fait leurs apparitions de façons sporadiques dans l’histoire. Ces taux sont baissés en territoire négatif pour réguler l’économie. Une des raisons
de cette pratique utilisée par les banques centrales est d’éviter l’appréciation de la monnaie sur leur territoire avec notamment un afflux de placements étrangers. Une autre motivation des banques centrales à baisser les taux en dessous de 0% est d’inciter les banques commerciales à distribuer leurs réserves dans l’économie. En rémunérant les comptes de dépôt à taux négatifs, les banques paient pour placer leurs liquidités disponibles. Ces cas de politiques monétaires laissent les financiers ou les trésoriers en plein désarroi : payer pour placer sa trésorerie et être rémunéré en empruntant est quand même une révolution financière qui sort du cadre habituel ! Pourtant, quiconque se plaindrait des taux de placement à 0% ou des taux négatifs commettrait une première erreur, celle d’oublier que la contrepartie à un placement négatif est un coût de l’endettement extrêmement faible. L’endettement net de l’entreprise étant le plus souvent positif, la contrepartie des taux négatifs n’est qu’une infime partie de l’économie réalisée sur le coût de la dette. C’est donc, contrairement aux apparences, une très bonne nouvelle pour les entreprises. Si le dirigeant ou le trésorier d’entreprise cherchent toutefois une explication encore plus rationnelle que celle-ci pour trouver une rentabilité de cet excédent de trésorerie, ce qui a pu se présenter par le passé, c’est encore omettre que toute rentabilité s’obtient au bénéfice d’un risque plus élevé (placements risqués sur des émetteurs de moins bonnes qualités, risque de change élevé dû à un placement en devise autre que l’euro, risque de liquidité en mobilisant de la trésorerie sur des titres de long terme). Par ailleurs, les placements monétaires disponibles rémunèrent à peu près à 1% à ce jour, pour une variation du risque fortement élevée dans un contexte international désormais imprévisible. Les taux de dépôt sans risques (désormais positifs avec l’inflation) sont réévalués à 0,75% en ce mois de septembre. Dès lors, investir à 1% est plus risqué que le taux sans risque et même une prise de risque marginale de 0,25% ne peut être parfaitement maîtrisée, même par le meilleur financier! Ce dernier ferait alors de la pure spéculation. Et si les taux devaient redescendre, il restera toujours préférable de placer à taux négatifs et sans risque. Quelle hérésie, pourriez-vous dire ? Perdre de l’argent en plaçant à taux sans risque. Là encore, c’est oublier que de toute façon, vos liquidités ont déjà un coût: du bon vieux coffre en banque à louer ou à assurer, à la commission sur des lignes de crédits non tirées, vos liquidités statiques ou réservées sont bel et bien déjà une dépense.
PLACER EN PÉRIODE D’INFLATION
Puisque l’inflation s’est invitée dans la vie quotidienne des entreprises, bon nombre de conseils fleurissent et les dirigeants sont parfois encouragés à investir en actions ou dans l’immobilier, présentés comme étant les seules valeurs sûres. Car l’inflation érode la capacité de dépense des sociétés. Là encore, placer de la trésorerie dans ce contexte inflationniste fait oublier au dirigeant plusieurs situations : l’inflation gonfle les besoins en fonds de roulement de l’entreprise (BFR). Les BFR étant une donnée essentielle dans la valorisation des entreprises, ils réduisent les flux de trésorerie disponible qui servent de base aux évaluations. Le coût du capital, qui est le taux de rendement exigé par secteur d’activité de tout investisseur et qui inclut le coût de la dette, est lui aussi augmenté du coût de l’inflation et réduit d’autant la valeur de la société. Ces deux paramètres affaissent la valeur de l’actif économique. Une fois l’endettement net déduit de cette valeur calculée, il apparaît la valeur des capitaux propres (et donc des actions). Par déduction, une valeur d’entreprise qui chute fait baisser mécaniquement la valeur des actions. Le dirigeant affuté n’aura pas manqué de noter la baisse des bourses: investir en action n’est donc pas une très bonne idée. Par ailleurs, les taux d’intérêt réels, c’est-à-dire les taux actuels de l’endettement diminués de l’inflation
sont toujours négatifs (car c’est cela le bon raisonnement, et non l’observation de la remontée des taux) mais aucun engouement ne semble aujourd’hui saisir les sociétés à emprunter massivement, d’autant que du côté bancaire, de nouvelles restrictions post- Covid ont été mises en place pour sécuriser les banques qui jouent la prudence. Du côté des chefs d’entreprise, l’avenir incertain sous fonds de guerre, d’augmentation des prix et de considérations salariales dues à la perte de pouvoir d’achat des salariés, inquiètent à l’idée d’alourdir les flux de trésorerie de la société par des remboursements supplémentaires d’emprunt. Enfin, du côté de l’investissement immobilier, l’acquisition d’un bien plutôt que la location semblerait avoir du sens: placer son cash dans une valeur sûre est réellement source de création de valeur à la condition que le bien soit acquis sous sa valeur de marché et soit susceptible d’être une réserve de valeur potentielle pour l’avenir. Mais de cette solution encore, le dirigeant d’entreprise jouerait les oracles à tenter de prévoir l’avenir.
QUE FAUT-IL FAIRE DONC ?
Un conseil avisé d’un financier est de ne pas chercher à optimiser sa trésorerie sur des placements qui relèvent plus de la spéculation que de la gestion. La trésorerie est un outil indispensable d’investissement, et la seule conduite à tenir est d’investir dans des projets qui ramènent le taux de rendement attendu des actionnaires. En l’absence de projets, il n’est que trop conseiller de mettre en œuvre des politiques d’intéressement et de participations salariales et de verser des dividendes. Et si l’entreprise dispose d’une trop grande réserve de cash supplémentaire, je préconise d’améliorer les marges de la société en contrepartie d’une forte réduction du délai de paiement aux fournisseurs. Ainsi, un escompte de 1 à 3% sur vos achats de matières contre un paiement rapide est un placement bien plus sûr et bien plus utile à toute votre chaîne de valeur qu’un compte de dépôt ou un placement en action qui ne sont pas du tout des fins en soi pour une entreprise. Pour le reste, n’oubliez jamais : en matière de finance, la rationalité est de ne pas spéculer!
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