Pourrons-nous (re)vivre ensemble
Chronique
Et si nous avions envie d’un avenir commun ? Cette question peut soulever matière à débat tant les ingrédients de la fragmentation sont nombreux. Dans son ouvrage L’archipel français, Jérôme Fourquet souligne combien en quelques décennies tout a changé.
Par Vincent de Bernardi
La France d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec cette nation une et indivisible structurée par un référentiel commun. Il y décrit une « archipelisation » de la société tout entière à travers la sécession des élites, l’automatisation des catégories populaires, la dislocation des références culturelles et l’instauration d’un multiculturalisme de fait.
Dans une récente étude conduite par l’institut Kantar, à rebours de ce que nous percevons habituellement, nos fractures ne seraient pas aussi insurmontables qu’on veut bien le croire. Au-delà de cet éclatement de la société française, l’enquête, réalisée en fin d’année 2019 auprès d’un échantillon de 6 000 personnes, souligne que les Français considèrent que nos divisions sont surmontables (61%) et qu’il faut se serrer les coudes pour faire face aux problèmes du pays (83%).
Alors que la crise des gilets jaunes a laissé des traces, que la réforme des retraites et plus globalement la politique menée par le Gouvernement suscite de fortes tensions, l’étude montre qu’au-delà du récit collectif, médiatique et politique qui antagonise les blocs, il y a des raisons de croire en un destin commun. Dans cette France « bloc contre bloc », le politologue Jérôme Sainte-Marie y voit la dynamique du macronisme et anticipe l’affrontement entre bloc populaire et le bloc élitaire, résultante d’un nouveau conflit de classe.
Pour autant, l’étude de Kantar souligne qu’il existe une aspiration à la cohésion. Une majorité de Français pense que nos divisions ne sont pas irrémédiables. Elle décrit trois France qui se distinguent par le rapport qu’elles entretiennent au commun : la France tranquille, plutôt satisfaite de notre modèle de société et de son évolution ; la France polémique opposée au système de valeur, très visible dans le débat public et une France des oubliés, désengagée et en retrait.
Une France fracturée
Comme ailleurs en Europe, la France fait face à une polarisation de plus en plus accentuée entre les groupes. Au sein de la France polémique s’affrontent deux idées de la France, diamétralement opposées l’une à l’autre, entre ouverture et fermeture. La France tranquille est tiraillée entre ceux qui pensent que la démocratie fonctionne bien et ceux, qui « laissés-pour-compte ou attentistes » ne s’intéressent pas à la politique et déclarent majoritairement ne pas vouloir prendre part au débat. Enfin, la France des oubliés est plus que les autres vulnérable au récit identitaire, son sentiment d’abandon nourrissant une attirance pour le discours populiste autoritaire.
Dès lors comment réunir ces trois France dans un avenir commun ? Les auteurs de l’étude, en s’appuyant sur cette forte aspiration à l’unité, estiment que l’État et ses missions de service public restent aux yeux des Français le meilleur moyen de produire un destin commun et d’inventer l’avenir. Parmi tous les grands défis du moment, ils précisent que la protection de l’environnement est un enjeu qui peut nous unir par-delà nos divisions. Cette conviction étant majoritaire dans les composantes des trois France.
Intitulée « La France en quête », cette étude revêt une dimension originale. Elle va au-delà de la description d’une société « archipelisée » et irréconciliable. On pourra lui objecter une vision angélique en cherchant à montrer que sans histoire de l’avenir, le risque est grand de voir une communauté de destin uniquement fondée sur une mythification du passé. Mais, selon ses auteurs, « elle n’entend pas proposer un récit consensuel et modéré rassemblant trois Français sur quatre et occultant les désaccords : car il est vital, dans une société démocratique, que différentes visions du monde puissent se confronter ».
Le risque de la détestation
Pour eux, le défi auquel nous devons faire face aujourd’hui, réside dans le fait que ces désaccords se transforment en détestations et qu’il ne soit plus possible d’aboutir à des compromis. « Ce que nous cherchons à construire avec d’autres, c’est un terrain commun sur lequel puissent s’exprimer ces désaccords. » Autrement dit, ils y voient un appel à un changement de tonalité dans la « conversation nationale ». Le fait que 89 % des Français considèrent que le dialogue est de plus en plus agressif témoigne de l’impératif de lutter contre la culture du clash et du trash, qui contribue à hystériser le débat. En cela les prescripteurs d’opinion, au premier rang desquels les responsables politiques et les médias, ont un rôle à jouer.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.