La parole s’est libérée avec les gilets jaunes. Sous le soleil, la misère ! Ce qui était pudiquement dissimulé s’étale au grand jour. La pauvreté augmente dans l’île, jusqu’aux records statistiques. Elle touche un Corse sur cinq. Les familles monoparentales, les jeunes, les personnes âgées sont les plus exposées. Les travailleurs aux revenus modestes font aussi partie de la liste. Autopsie d’une fracture sociétale qui s’amplifie et touche désormais le rural.
Par Véronique Emmanuelli et Anne-Catherine Mendez
Chacun son style dans l’île comme ailleurs. Les citoyens enfilent leur gilet jaune, les acteurs associatifs font le geste solidaire, tandis que l’État et les collectivités mettent en place des dispositifs et autres plans de lutte contre la précarité, la pauvreté et l’exclusion. La collectivité de Corse a quant à elle terminé l’année en installant une conférence sociale. Le processus est porté à la fois par les présidents du conseil exécutif de Corse, de l’assemblée, du conseil économique social et culturel. L’assemblea di a ghjunventù et la Chambre des territoires sont également de la partie. La concertation fait appel «à tous les acteurs, syndicats et collectifs citoyens». La première réunion s’est tenue le 18 décembre à Bastia. La priorité dans l’ordre du jour fut donnée à la cherté du prix des carburants et des produits de consommation courante en Corse. Les initiatives sont diverses mais le constat est commun. La précarité gagne du terrain. Les jeunes, les femmes seules avec des enfants, les retraités sont de plus en plus précaires. Le contexte est aussi défavorable aux travailleurs pauvres, aux salariés aux revenus modestes, aux petits patrons, et même aux fonctionnaires. Autant «d’invisibles» désormais. «Ces ménages perçoivent des revenus trop élevés pour leur permettre d’accéder à différents soutiens et trop bas pour assumer leurs charges. Parfois, il suffit d’un rien, d’une voiture en panne ou de tout autre dépense imprévue pour que tout bascule», s’accorde-t-on à reconnaître.
Familles monoparentales, la double peine
Les chiffres confirment. L’état des lieux dressé par l’Adec et Corsica Statistica, est alarmant. D’autant plus que l’île accumule les records. «La région Corse, dans tous les critères, se situe dans les moyennes de taux de pauvreté les plus élevés », résument les statisticiens locaux. Dans ce contexte, ce sont les familles monoparentales qui se retrouvent en première ligne. «La catégorie de ménages la plus touchée comme au national est la famille monoparentale.» Les raisons de la surexposition sont bien identifiées. «Cette position s’explique en partie par les nombreux freins à l’emploi rencontrés par les femmes élevant seules un ou plusieurs enfants; tels la garde, le transport qui rend difficile à la fois l’insertion et la stabilité professionnelle.» Les retraités insulaires sont aussi moins bien lotis que leurs homologues sur le continent. Les observateurs ont retenu le nombre d’allocataires du minimum vieillesse en guise d’indicateur. Et, «celui-ci témoigne d’une grande précarité chez les seniors». Ainsi, au «1er janvier 2016, pour cent habitants âgés de 60 ans ou plus en moyenne, on compte 9,8 allocataires en Corse-du-Sud et 8,8 en Haute-Corse. Ce qui est largement supérieur aux autres départements de France métropolitaine et à la moyenne française qui s’établit à 3,3 ».
Il vaut aussi mieux avoir plus de 75 ans sur le continent que dans l’île.
Ghisonaccia et la Balagne les plus touchés
Selon Corsica Statistica, les locataires s’assimilent aussi à une catégorie vulnérable. «Ces ménages sont nombreux à être touchés par la pauvreté. » Toutefois, on s’en tire mieux dans certaines microrégions que dans d’autres. À l’évidence, il est préférable d’habiter dans la région ajaccienne et dans le sud de l’île en règle générale. «Les communautés de communes recensant les plus faibles taux de pauvreté se situent, pour la quasi-totalité, dans le sud de l’île et en particulier autour du territoire ajaccien», remarque-t-on. Et c’est du côté de la vallée du Prunelli qu’on enregistre le taux de précarité le plus bas (12,3%). Par opposition, c’est dans le nord de l’île, et en particulier dans le bassin d’emploi formé par Ghisonaccia-Aleria que le taux de pauvreté est le plus élevé, soit 24,9%. Calvi-L’Île-Rousse se classe en seconde position. Dans ce périmètre, le taux de pauvreté s’élève à 24,4%. En parallèle, la vie dans l’île se conçoit toujours plus avec le revenu de solidarité active. «Le Rsa versé aux foyers allocataires est en constante augmentation en particulier depuis 2012», assurent tous les observateurs contactés. Dans le même temps, le recours à la couverture maladie universelle complémentaire est en nette croissance.
Le lourd tribut des femmes
Dans l’île, la précarité record s’agrège à un taux de chômage record. «Le taux de chômage sur place est toujours supérieur à celui de l’ensemble de la France métropolitaine. Et les années écoulées n’ont fait qu’affaiblir le système. La Corse a connu lors de ces deux dernières décennies une importante progression de la population active, soit 2,5% en moyenne par an entre 1999 et 2008 puis 1,8 entre 2008 et 2013. Dans le même laps de temps, le rythme de création d’emploi a ralenti. Ce qui a conduit une partie de cette population au chômage », soulignent les statisticiens. Ces mécanismes liés à la saisonnalité des emplois affectent davantage certaines microrégions que d’autres, à l’image des zones d’emploi de Porto-Vecchio et de Calvi-L’Île-Rousse. Dans cette configuration, une fois de plus, la situation des femmes se détériore, en priorité. Les inégalités s’accumulent. Le temps partiel, les contrats précaires sont davantage une affaire de femmes aussi. Comme l’inactivité d’ailleurs. «En Corse, 57 890 femmes de 15 à 64 ans vivent en couple en 2014. Parmi elles, 9 910, soit 17,1%, sont des « femmes au foyer » : elles sont inactives (ni en emploi, ni au chômage) mais ne sont ni étudiantes, ni retraitées. Seuls 180 hommes âgés de 15 à 64 ans et vivant en couple sont dans ce cas, soit 0,3%», remarque l’Insee Corse. De ce point de vue, l’île est dans la norme nationale, voire au-delà. «Renoncer à exercer une activité professionnelle est une situation essentiellement féminine au sein du couple. Il n’y a pas d’égalité dans ce domaine en Corse comme en France de province où les messieurs sont à peine 0,2% à rester au domicile. La Corse se caractérise toutefois par l’ampleur du phénomène chez les femmes.
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