Les 27es Journées nationales pour la prévention du suicide qui ont eu lieu début février ont encore une fois démontré que l’accompagnement quand il est partagé et adapté peut faire la différence. En Corse aussi, les acteurs du réseau se mobilisent. Non, le suicide n’est pas une fatalité.
Par Caroline Ettori
À l’origine de beaucoup de douleurs ou de traumatismes chez les proches, il peut être l’un des événements les plus difficiles auxquels sont confrontés les professionnels de santé. On considère qu’un suicide endeuille en moyenne 7 proches et impacte plus de 20 personnes. Il est aussi démontré que le risque de suicide augmente significativement dans l’entourage d’une personne suicidée parmi les membres de sa famille, ses camarades de classe ou encore ses collègues de travail.
Phénomène complexe qui résulte de l’interaction de nombreux facteurs, les déterminants du suicide sont biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux. Ils sont aussi de mieux en mieux connus. Parmi les principaux facteurs de risque figurent les troubles psychiques, les antécédents familiaux, l’appartenance à un groupe vulnérable, la précarité des conditions de vie, ou encore l’isolement. Les idées suicidaires et des antécédents personnels de comportement autodestructeur comptent également parmi les facteurs de risque les plus importants.
Les études épidémiologiques de ces 20 dernières années ont permis d’identifier des actions permettant de diminuer la mortalité et la morbidité suicidaires de façon efficace. Lorsque le niveau de souffrance devient critique, un dernier évènement peu déclencher le passage à l’acte. Cet événement est appelé « facteur précipitant ». Pourtant ce processus n’est pas irréversible. Le suicide est en grande partie évitable. On peut sortir d’une crise suicidaire à tout moment. Dès lors que la détresse est apaisée, les idées suicidaires disparaissent.
Enjeu majeur de santé publique, la prévention du suicide est une priorité pour le gouvernement qui a établi une véritable stratégie multimodale déclinée dans les territoires. En Corse, la déclinaison de cette feuille de route est portée par l’ensemble des membres de la Communauté Psychiatrique de Territoire (CPT), soit les centres hospitaliers de Castelluccio, de Bastia et la Clinique de San Ornello. Inscrite à la fois dans le Ségur de la santé et le projet territorial de santé mentale, cette stratégie comporte deux dispositifs majeurs : « VigilanS » qui organise des actions de prévention, de veille et de re-contact pour les suicidants et le second le « 3114 », numéro national de prévention du suicide. Près de 200 000 euros annuels sont consacrés au fonctionnement du dispositif VigilanS et 174 000 € ont financé le lancement du numéro d’aide en Corse.
3114 à l’écoute
Au Centre hospitalier de Castelluccio à Ajaccio, centre régional référent dans la mise en œuvre de ces deux dispositifs, les docteurs Isabelle Acquaviva, cheffe de pôle psychiatrie et Elise Mosconi, psychiatre coordinatrice, coordonnent les différentes actions du réseau animé entre autres par trois infirmières, une psychologue et une secrétaire.
Sébastien Gariglio, infirmier et cadre de santé, revient sur ces deux dispositifs opérationnels depuis un peu moins d’un an mais qui ont déjà obtenu des résultats plus que significatifs.
« S’agissant du 3114, le centre d’Ajaccio reçoit en priorité les appels locaux et depuis peu, une partie du tiers sud de la France. L’idée est d’être à l’écoute des personnes qui ne vont pas bien. La différence avec les associations existantes est que nos répondants sont des infirmiers et psychologue et qu’un médecin psychiatre est d’astreinte 24h/24. Il y a donc l’écoute mais aussi une évaluation de la crise et sa désescalade. Par la suite nous orientons l’appelant vers le service approprié. S’il s’agit d’une urgence absolue, nous appelons le Samu, ce qui est le cas dans 15 à 20% des cas. Quand la situation le permet, nous orientons l’appelant vers son médecin traitant. »
Ces appelants ont des profils bien différents. Bien sûr, la plupart d’entre eux sont des personnes qui ne vont pas bien. Mais cela peut être aussi des proches, des professionnels de santé, des agents d’organismes sociaux qui se trouvent démunis face à des personnes en détresse. « C’est important pour eux de savoir qu’ils peuvent nous contacter. Nous sommes là pour donner des solutions, construire un réseau pour accompagner les personnes en difficultés », rappelle Sébastien Gariglio.
Le lien qui se crée avec l’appelant est essentiel. Pour autant, le 3114 est un service de santé publique et non pas un Samu bis ou un Samu psychiatrique. « Après évaluation et si ce n’est pas une situation d’urgence, le répondant va proposer à la personne de ne pas rester seule. C’est un contrat moral qui est passé entre les deux parties. Il faut se faire confiance. Le service peut rappeler pour un “suivi”, nous donnons également tous les outils, toutes les coordonnées pour l’accompagnement et la prise en charge des appelants mais eux-seuls peuvent être à l’origine de la démarche. »
VigilanS pour lutter contre la récidive
Par ailleurs, le dispositif d’appel 3114 est complété par VigilanS. Un programme ciblé qui concerne les personnes qui ont déjà tenté de se suicider. Selon l’OMS, 75% des récidives ont lieu dans les 6 mois suivant une première tentative et la survenue d’une tentative de suicide multiplie par 4 le risque de suicide ultérieur et par 20, l’année suivant la tentative.
Maintenir le contact avec ces personnes à risque, organiser une veille en sortie d’hospitalisation sont largement reconnus comme des moyens efficaces dans la prévention du suicide. Dans cette optique, en 2015, l’équipe du CHRU de Lille a conçu et développé VigilanS qui s’est par la suite généralisé à l’ensemble des régions.
Il faut bien sûr que la personne soit volontaire pour intégrer le programme. VigilanS informera alors le médecin traitant ou le psychiatre référent de la mise en place du dispositif. La personne sera alors appelée 10 à 20 jours après la sortie du service de soins par les membres de l’équipe ou recevra des lettres et cartes postales pendant 4 mois. Une évaluation est faite à 6 mois pour décider de l’arrêt ou de la prolongation de la veille. Toujours en concertation avec la personne. « Grâce à ce dispositif, nous avons pu constater une baisse de 3% des tentatives de suicide », relève Sébastien Gariglio. « En 2022, le programme VigilanS a suivi 222 tentatives de suicide essentiellement sur Ajaccio. Nous parlons de TS car il peut s’agir de la même personne. Là encore les profils sont variés. Cela va de l’adolescent aux personnes âgées. »
Pour que ces dispositifs se révèlent décisifs selon Vivian Dahan de l’ARS de Corse, l’élément clé du côté des aidants reste la formation. Il s’agit de structurer le repérage des personnes à risque pour leur proposer le plus rapidement possible des solutions adaptées à leurs problèmes et, si nécessaire, un accompagnement vers le soin. Une attention particulière sera portée aux adolescents et jeunes adultes, aux détenus, aux agriculteurs mais aussi aux forces de police. Par ailleurs, les formations s’adressent à des personnes concernées par le mal-être des autres et à même d’entrer en relation avec eux ainsi qu’aux professionnels de santé. De plus, des « sentinelles », pompiers, associatifs, élus de proximité, seront également formées pour repérer et orienter les personnes en difficultés. Et formeront à leur tour des citoyens.
Sortir du tabou
Autant dire que ce réseau inédit entend bien enclencher une véritable révolution des mentalités. Avec cependant un obstacle de taille à franchir : le tabou qui entoure généralement le suicide. Sociales, économiques, religieuses, les raisons, euphémismes et périphrases ne manquent pas pour minimiser l’acte. Premier constat : le manque de données chiffrées. Sans pouvoir dresser un tableau précis des suicides et tentatives de suicide, il est difficile d’élaborer une réponse adaptée. C’est un travail de fourmi opéré par la Communauté Psychiatrique de Territoire qui collabore avec les services d’urgence, les pompiers, les services de réanimation et les médecins de ville pour recenser, repérer et créer du lien. Pour Sébastien Gariglio, il n’y a pas de doute : « Les gens sont en demande. Ils souhaitent parler et c’est là qu’on peut les raccrocher.
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