Projet d’autonomie: L’Assemblée nationale au chevet de la Corse

Quatre jours en ce début de février pour mieux comprendre réalités et attentes de l’île. Voilà l’enjeu de la mission d’information pluraliste. Émanation de la commission des lois, composée de seize députés dont quatre insulaires, elle sillonna le territoire nouant le dialogue avec les représentants de la société afin de nourrir la réflexion du Palais Bourbon sur l’avenir institutionnel. Les conclusions sont attendues début mars.

Par Jean Poletti

Malgré les turbulences nées de la dissolution, l’Assemblée nationale semble ne pas vouloir enterrer sans autre forme de procès le processus institutionnel, qui se prolonge et louvoie au point de devenir un serpent de mer. Certes diront les optimistes « Rome ne se fit pas en un jour. » Il n’empêche que depuis la fameuse annonce de Gérald Darmanin, au lendemain de l’assassinat d’Yvan Colonna et les révoltes de la jeunesse, le temps s’est écoulé dessinant l’ombre portée de l’enlisement. Proche du sommeil de l’oubli.

Aussi l’interrogation affleure concernant l’efficience d’une telle délégation. Non que sa volonté de rendre une copie honnête soit en cause, mais il y a chez nous une impression diffuse ou affirmée qu’une telle initiative soit peu propice à engendrer, à elle seule, des nouveautés que les parlementaires ne connaissent déjà. Bien sûr, il serait outrancier de juger comme nulle et non avenue cette venue. Mais une nouvelle fois, au risque de jouer les avocats du diable, chacun ici et au sein de l’aréopage sait de quoi il en retourne. Les réalités politiques, économiques, sociales et sociétales de l’île sont éculées à force d’être relatées. De même que tout positionnement des édiles locaux ne relève plus que du secret de polichinelle. D’ailleurs les plus sceptiques auront tout loisir de reprendre le mot de Clemenceau « Si l’on veut enterrer une décision, on crée une commission. » Et à cet égard, la Corse en a connu un nombre pléthorique, au fil du temps. Lointaines ou récentes, elles ne furent jamais suivies d’effets probants. À l’exception notable des mesures initiées sous les mandats mitterrandiens.

Dans le sillage du Sénat

Faut-il dire ici qu’en mai dernier le Sénat avait initié une démarche similaire. Ses conclusions annoncées pour le mois de décembre furent reportées par deux fois sans que l’on en connaisse vraiment les raisons. Et pour l’heure, elles ne sont pas encore divulguées. Ce retard ouvre la porte à des rumeurs de plausibles dissensions sur la rédaction du document. Certains dans la délégation la trouvant trop tiède, d’autres inadaptée aux enjeux. Une dichotomie d’ailleurs symbolisée par les positionnements des frères ennemis Jean-Jacques Panunzi et Paulu-Santu Parigi. Quoi qu’il en soit, des indiscrétions laissent entendre que la montagne accoucherait d’une souris. En schématisant disons qu’en lieu et place d’une autonomie de plein droit, la collectivité bénéficierait en tout et pour tout d’un renforcement de son pouvoir d’adaptation des normes mais dans une latitude très limitée. Et de surcroît conditionnée par un accord règlementaire ou législatif. En clair, le feu vert du gouvernement ou du parlement. Par ailleurs, dans le droit fil de la doctrine du président du Sénat Gérard Larcher, il semblerait que le rapport privilégierait l’action de l’État impliquant notamment une plus grande efficacité dans la destination des aides financières. Pour autant et sans doute afin de ne pas être taxé de partisans du statuquo ou d’insulter l’avenir, une sorte de codicille figurerait dans les conclusions. Ainsi, si d’aventure dans les cinq années le dispositif préconisé s’avérait sinon inefficace à tout le moins insuffisant il ne serait pas exclu d’envisager une avancée législative. Pour l’instant, comme l’aurait dit Jean-Martin Mondoloni « adapter plutôt qu’adopter, puis attendre et voir ».

Visions insulaires

La tonalité sera-t-elle différente s’agissant de la délégation des députés ? Nul ne peut le dire sauf à lire dans le marc de café. Une nouveauté cependant par rapport à celle du Sénat. Cette fois les quatre parlementaires de l’île font partie du voyage. Certes, là aussi ils ne sont pas à l’unisson. Et sans être grand devin, les deux édiles nationalistes n’auront pas la même approche que le duo libéral. Mais en tout cas, leurs visions différentes parfois antagonistes sur l’autonomie pourront s’accorder dans un diagnostic commun concernant la réalité insulaire. Celle qui est trop souvent regardée avec un prisme déformant dans la capitale. Ou par des édiles continentaux de tous bords qui ont trop souvent une vision tronquée des réalités du terrain. Aussi est-ce une bonne chose que nos députés ne soient pas tenus à l’écart. On peut toutefois remarquer que l’équilibre est quelque peu modifié avec la nomination de Xavier Lacombe en lieu et place de Laurent Marcangeli promu ministre. Les évolutionnistes patentés perdent un allié. Cela influera-t-il sur la tonalité des discussions ? Peu probable. L’essentiel s’insérant dans la perception générale qu’aura sur place la délégation. Et surtout la tonalité que lui donnera Florent Boudié, qui la présidera et en sera le rapporteur. Cet édile qualifié de macroniste, mais que l’on dit proche de Gérald Darmanin s’inscrira-t-il dans les pas de l’ancien ministre de l’Intérieur qui porta à bout de bras le dossier Corse ? Plus globalement suivra-t-il celui qui lors de campagne présidentielle et après se qualifia de girondin et ouvert à la réforme insulaire ? De son analyse dépendra à maints égards la mouture de la copie qui sera élaborée. Car l’homme par ailleurs président de la commission des lois au Palais Bourbon est rompu à ce genre d’exercice. Il peut sans que sa voix soit prépondérante dans cette démarche, par essence et définition collégiale, orienter, atténuer telles remarques ou à l’inverse les mettre en exergue. Sans que l’ensemble du document soit pour autant dénaturé.

La proposition de Ceccoli D’ores et déjà François-Xavier Ceccoli se dit ravi de sa participation. Elle lui permettra de dire et insister sur sa position et de faire œuvre de propositions. Il redit sans ambages que si dans sa bouche l’autonomie n’est pas mot tabou, il convient de ne pas mettre la charrue avant les bœufs ou se laisser emporter par le vertige évolutionniste.

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