Avec la loi Climat et résilience, la France veut atteindre le zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050, avec une réduction de 50% de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) d’ici 2031, pour atteindre une sobriété foncière.
Par Emmanuelle de Gentili
L’urgence serait manifeste, car 24 000 ha d’ENAF par an ont été urbanisés durant la dernière décennie (5 terrains de football/heure), la consommation d’ENAF étant entendue comme la création ou l’extension d’espaces urbanisés.
Sachant que le pays compte 64,4 millions d’ha, cela fait moins de 0,04% par an et moins de 0,4% de sa surface sur 10 ans.
Ces ordres de grandeur n’indiquent pas une urgence, mais doivent conduire à une démarche équilibrée, par région et par bassins de vie, pour avoir des mesures adaptées à la réalité. D’aucuns pensent même que 0,4% du territoire en 10 ans représente une surface minime, car le pays manque de logements et qu’il en faudra d’autres pour assurer le « réarmement démographique », s’il a lieu.
Enfin se pose la question politique des marges de manœuvre d’une commune pour recevoir des habitants désireux de s’y installer, en quittant les grands villes polluées et soumises à un sentiment d’insécurité quotidien.
De manière pratique cette trajectoire doit être intégrée dans les documents de planification et d’urbanisme :
– avant le 22/11/2024, pour les schémas régionaux, PADDUC compris ;
– avant les 22/02/2027 et 22/02/2028, pour les SCoT (Schéma de cohérence territoriale), PLU et cartes communales (CC).
Selon le ministère, la priorité est de transformer la ville existante, en revitalisant les cœurs des petites et moyennes villes, en recyclant 170 000 ha de friches, en utilisant 1 million de logements vacants et les surfaces périphériques urbaines déqualifiées.
La ruralité oubliée
La douzaine de critères retenus pour élaborer les nouveaux documents d’urbanisme sont subtils et complexes. Le monde rural qui ne sera pas en mesure d’absorber ce choc technique est l’oublié de cette réforme. Résonnent alors ces mots récemment prononcés face aux crises du pays : « l’ignorance par les responsables du sommet de ce que vivent les Français à la base ».
Les conséquences d’un défaut d’intégration des obligations ZAN seront importantes.
Si les documents régionaux n’ont pas été modifiés ou révisés avant le 22 novembre 2024, une baisse uniforme de 50% s’applique aux PLU ou aux CC sur la période 2021-2031.
Si les SCoT n’intègrent pas d’objectifs de réduction compatibles avec les documents régionaux avant le 22 février 2027, les ouvertures à l’urbanisation sont suspendues.
Si les PLU ou les CC n’intègrent pas d’objectifs de réduction compatibles avec le SCoT ou avec les schémas régionaux avant le 22 février 2028, aucune autorisation d’urbanisme ne sera plus délivrée dans une zone à urbaniser du PLU ou dans les secteurs de la CC où les constructions sont autorisées.
Une garantie communale de consommation d’ENAF d’un ha est cependant prévue jusqu’en 2031, si la commune dispose d’un PLU ou d’une CC. Sans PLU ni CC, elles n’auront pas cette garantie d’extension de construire.
Discrimination positive
En Corse, à la fin 2020, 140 communes (urbaines et littorales) disposaient d’un PLU ou d’une CC. Les autres sont soumises au principe de la constructibilité limitée du règlement national d’urbanisme (RNU).
Il appartient désormais au PADDUC d’intégrer la loi ZAN avant le 22/11/2024, et de définir la part de baisse, à la décision de la Corse, par mesure dérogatoire : par exemple 30, 50 ou 70% selon que les zones sont très peu ou fortement artificialisées et de distinguer l’intérieur des communes littorales qui ont eu une forte consommation d’ENAF de 2011 à 2021et ainsi de territorialiser les droits dans le cadre d’un pacte social et territorial .
Point positif, 253 communes devraient être dotées d’un document d’urbanisme avant le 22/07/2027, date butoir repoussée de quelques mois pour la Corse.
Les autres, 107, qui ne pourront bénéficier de l’extension de l’urbanisation, seule à même de permettre de faire revivre l’intérieur, devraient être aidées dans cette démarche. Il convient donc de prévoir une action et des fonds dédiés pour qu’elles disposent comme les autres, de la possibilité d’installer de nouveaux habitants sur un ha, avec un foncier bien moins cher que sur le littoral.
La réforme de la survie
Cette réforme porte les conditions de la survie de l’intérieur. Nos élus sauront-ils s’en saisir lors de l’intégration de la loi ZAN dans le PADDUC, avant le 22/11/2024 ?
Certes un hectare permettra de construire dans un village 12 habitations sur 800 m² (10 000 m² environ) avant 2031, puis 6 avant 2041 et 3 avant 2050. L’extension de l’intérieur sera alors figée. Bien sûr on pourra construire entre ce bâti, mais c’est un drôle de legs pour nos enfants.
La Corse mérite donc une adaptation de ce texte pour assurer son futur !
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« Le monde rural, qui ne sera pas capable d’absorber ce choc technique, semble l’oublié de la réforme. »
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