Quand le vingt est tiré…

Edito

Par Jean Poletti

2020. L’addition de deux chiffres ronds qui forgent la nouvelle année. Ils renvoient aux notes d’excellence et aux délices de Bacchus, qui se glissent inconsciemment dans les traditionnels vœux enveloppant l’île du Cap à Bonifacio. Des raisons d’espérer ? Sans doute. Mais les accolades de saison, fussent-elles qualifiées de vingt sur vingt, ne suffiront pas à chasser les lourds nuages noirs qui occultent le présent et brouillent l’avenir. Les décennies d’imprévoyances, la cruelle absence de prospective globale, l’utopie des uns et le fatalisme des autres cristallisèrent le déni de réalité. La Corse est au pied du mur. Elle se débat dans une situation qui fonde dans un néfaste creuset malaise économique, chômage, précarité qui irriguent le terreau de la voyoucratie. Dans une sorte de schizophrénie, ou de méthode Coué, tels campent encore sur des idées obsolètes. À leurs yeux la situation n’est nullement florissante. Mais ils entonnent aussitôt en chœur ce refrain lénifiant : « Mais à part ça, Madame la Marquise, tout va très bien ! » Voilà qui doit combler d’aise l’empire du milieu. Sa prégnance donne en effet lieu à un débat sémantique surréaliste sur le qualificatif de mafia. Le traitement des déchets ? Il se limite à l’écume des choses. Haro sur la nouvelle gouvernance. Dialectique aisée, partie visible de l’iceberg, qui occulte les décennies d’incurie et de lascia core par ceux qui furent successivement aux affaires. Aujourd’hui, si chacun s’accorde à dire et clamer qu’il faut trouver une solution, rares sont ceux qui acceptent qu’elle passe par l’implantation sur leur territoire. Et en point d’orgue une interrogation, qui telle la poussière est glissée sous le tapis : une telle situation n’est-elle pas savamment alimentée pour ceux qui s’activent dans l’ombre et captent dans le statu quo d’importantes espèces sonnantes et trébuchantes ? Les ordures c’est de l’or. Cette évidence en forme de slogan est pourtant allègrement occultée dans les joutes médiatiques et dialectiques environnementales. Bon di et bon annu ? Oui, malgré tout. L’incantation est gratuite et comme dirait l’autre : elle ne mange pas de pain. Pourtant à l’orée de ces douze nouveaux mois, il ne serait pas vain de déciller les yeux. D’admettre enfin que notre région, si riche en potentialités, est reléguée en queue de peloton. Avec la Lozère pour compagne d’infortune. L’échappée belle ? Elle est non seulement souhaitable mais impérieuse. À moins que l’on se satisfasse de lendemains qui déchantent, jusqu’à l’irréversible. Mais dans une sorte de fuite en avant, d’aucuns dans la société civile ou la classe politique s’évertuent à confondre essentiel et accessoire. Bonne année ? Plus que jamais. Mais il faudra oser employer les bons mots pour qualifier nos maux. Bannir l’euphémisme. Faire une introspection générale, comme le suggérait en son temps Edmond Simeoni. Une autocritique volontaire et salutaire aux antipodes de l’autoflagellation que certains veulent nous faire subir. Ainsi, dans les allées du pouvoir parisien, l’idée de la responsabilité collective rallie de nouveaux émules. On croyait en avoir fini avec le fallacieux concept d’omerta, et autres complicités diffuses et sournoises. Des indignes propos de Poniatowski, Barre, Valls pour ne citer que ceux-là. Mais nouveau coup de pied de l’âne, l’assourdissant silence des princes de la République, en réponse aux requêtes des collectifs et associations qui se dressent contre la gangrène mafieuse.

Alloa, dumane megliu che eri ? En ces temps d’embrassades acceptons-en l’augure. Tout en sachant en notre for intérieur que cela équivaudra à un vain palliatif sans une authentique prise de conscience, renvoyant à l’idée que la Corse vaut mieux que d’être prise entre le marteau du non-développement et l’enclume du grand-banditisme. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disaient à l’unisson Lénine et Churchill. Comme en écho, Pasquale Paoli affirmait « Corsica un averai mai bè ». Ce nouvel an n’est-il pas l’occasion privilégiée de contredire l’homme de Merusaglia ? Sans crainte d’erreur, on peut dire et affirmer qu’il ne nous ferait pas une scène d’outre-tombe si son propos était enfin désavoué par les actes et les faits.

In tantu, Pace e salute per tuttu l’annu.

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