Regarde la France d’en bas
L’élection d’Emmanuel Macron il y a moins de deux ans avait pu faire naître l’espoir de gouverner différemment, de montrer que ce pays pouvait se transformer, faire les réformes que tous ses prédécesseurs avaient mis sous le tapis au prétexte que le pays était trop fragile et le peuple trop éruptif.
Par Vincent de Bernardi
Beaucoup ont cru que ce temps était révolu, que désormais, après tant de reculs et de renoncements, nous ne pouvions plus nous payer le luxe du statu quo, apanage des « fainéants ». Si l’on ne peut contester le courage d’agir du président et de son gouvernement, on peut s’interroger sur la méthode. Quand le diagnostic n’est pas suffisamment partagé, la réforme est mal acceptée. Et lorsque le rythme est trop rapide, les mécontentements s’agrègent autour de questions périphériques mais qui touchent une majorité de Français. Faire passer la pilule des réformes en promettant des gains de pouvoirs d’achat par la suppression d’un impôt est toujours risqué. D’abord parce que les bénéfices ne sont pas encore perçus et ensuite parce qu’ils sont immédiatement annulés par une mesure justifiée par un enjeu planétaire difficilement acceptable par ceux qui chaque jour doivent prendre leur voiture pour aller travailler. Ajoutons à cela, une baisse des prix du pétrole sur le marché mondial, comment dès lors faire admettre que si le prix à la pompe ne baisse pas, c’est pour défendre une cause qui engage l’avenir de l’humanité toute entière, lutter contre le réchauffement climatique ? Si l’enjeu est de plus en plus prégnant, sa traduction fiscale dans un pays déjà surtaxé, est inacceptable par ceux qui n’ont pas d’autres choix que de prendre leur voiture. Et c’est là toute la difficulté de l’entreprise de transformation voulue par Emmanuel Macron.
D’une France à l’autre
Son discours est parfaitement audible par ceux qui peuvent supporter de nouvelles contraintes au nom des générations qui les suivront, par ceux qui ont des alternatives, notamment les urbains, par cette France d’en haut qui a accès à tout ou presque. Il est jugé inaudible par ceux qui incarnent la France d’en bas que le géographe Christophe Guilly appelle la « France périphérique », une France qui ne sent plus intégrée ni économiquement, ni socialement, ni culturellement. En portant des gilets jaunes, cette France-là veut enfin être vue et entendue. Dans son dernier ouvrage intitulé « no society », il souligne le sentiment de déclassement de ces Français des villes moyennes, des zones rurales, exclus de la mondialisation dont ils espéraient pouvoir en tirer bénéfice il y a 20 ans. Christophe Guilly décrit deux sociétés bien distinctes. Celle des métropoles dont les classes moyennes ont été chassées du fait de la flambée des prix de l’immobilier. Et celle de la périphérie qui les a accueillis et qui n’est pas capable de leur offrir emplois et perspectives d’en sortir.
Depuis des années, l’offre politique apparaît en décalage avec ces deux sociétés. Les responsables politiques parlent à une classe moyenne qui n’existe plus, qui s’est éparpillée. En voulant faire du pays une « open society », Emmanuel Macron renvoie cette France d’en bas dans le vieux monde avec lequel il veut rompre, parce qu’elle ne comprend pas suffisamment vite la transformation qu’il entend engager. Peu mobilisés politiquement comme syndicalement, les « gilets jaunes » sont dans une forme de désaffiliation politique et perméables à des mouvements politiques qui s’adaptent à la demande. Christophe Guilly estime que ce sont les élites défendant un modèle néolibéral qui ont fait sécession, allant même jusqu’à dire qu’il n’y a plus d’horizon commun entre le haut et le bas, plus de culture partagée, de représentation unanime, en somme plus de communauté de destin. Pour lui, cette vague de gilets jaunes repose sur une sociologie autant que sur une géographie. C’est-à-dire une classe moyenne devenue une nouvelle catégorie populaire et des territoires éloignés des métropoles qui concentrent tout, emplois, éducation, transports collectifs, équipements culturels et sportifs…
Difficile réconciliation
Faire de nouveau dialoguer le haut et le bas est désormais une urgence absolue. En déclarant le 14 novembre dernier qu’il n’avait pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants, Emmanuel Macron reconnaît son échec. Mais il le replace aussitôt dans un ensemble plus global comme s’il cherchait à s’en dédouaner : « Ce divorce, on le voit dans toutes les démocraties occidentales, il m’inquiète et je considère qu’il est au cœur de la mission qui est la mienne ». C’est sans doute là un tournant pour son quinquennat. Soit il parvient à la relever, soit le pays se laisse abuser par les mouvements populistes qui attisent les braises d’une société profondément fracturée.
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