RETOUR À LA LAÏCITÉ VRAIE

Tribune

Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse

Quand on parle de laïcité en France, un des rares pays à se vouloir laïc, c’est bien évidemment à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État qu’on se réfère. Il semble nécessaire d’en rappeler les termes car cette loi est d’abord une loi de liberté.

Elle proclame en son article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… » La République française fait de la liberté de conscience sa marque. Elle consiste tout d’abord dans celle de croire ou ne pas croire. Ainsi dans sa constitution, elle se définit dans son article premier comme indivisible, laïque, démocratique et sociale. L’ordre des adjectifs non pas qualificatifs mais bel et bien déterminants signifie que ses lois s’appliquent à tous et sur tout le territoire. La laïcité vient en deuxième et commande la suite. L’indivisibilité implique que nul n’échappe à l’exigence de laïcité.

Sa mise en œuvre à l’époque était plus simple qu’elle ne l’est aujourd’hui car face à elle, elle n’avait comme opposant que l’Église catholique, les Églises protestantes non seulement l’approuvaient mais encore la considéraient comme un progrès pour leur liberté. Plus simple ne signifie pas nécessairement plus facile : par exemple, le Vatican commença par rompre ses relations diplomatiques avec la France. Aujourd’hui, la France connaît une diversité religieuse plus grande même si la pensée libre est majoritaire, expression que nous préférons à celle de « libre pensée ». Mais surtout une autre religion importante tant en nombre qu’en puissance spirituelle s’y est développée comme conséquence du passé colonialiste français plus particulièrement avec les pays du Maghreb. N’oublions jamais que l’Algérie était administrativement organisée en départements français mais avec un régime inégalitaire d’indigénat. Cette religion est dans la plupart des cas sans clergé et beaucoup plus diverse qu’on le croit. La laïcité se trouve donc à l’épreuve de l’Islam et l’Islam à celle de la laïcité.

Un défi pour la République

Cette confrontation nouvelle a provoqué un changement extrêmement dangereux pour la laïcité. Le concept a quitté le camp des progressistes pour celui des réactionnaires. Trop habitués à ce bien qui fait l’unité de la nation, les progressistes à l‘image des partis de gauche ont même laissé l’extrême droite ou la droite extrême s’emparer de l’idée même de laïcité. Il est grand temps que les républicains en reprennent la défense et la promotion. Le risque est double pour cette paix républicaine : ou l’exigence laïque s’affaiblit dans un laxisme naïf qui perdra la République ou la laïcité est transformée en un mot d’ordre extrémiste mettant en cause la liberté de conscience.

Certains usent et abusent du mot « laïc » pour stigmatiser l’Islam, d’autres refusent de voir qu’une certaine forme d’Islam menace l’idée même de laïcité. Les uns cherchent à limiter de fait la liberté de conscience, les autres dans un relativisme détruisent l’espace commun de la laïcité et ouvrent la voie aux pires séparatismes ou communautarismes. La laïcité, authentique, singularité française qui conditionne tout autant la liberté, l’égalité que la fraternité de la République, est aujourd’hui réellement en danger tout autant par extrémisme que par laxisme.

Combattre lobscurantisme

Ces deux maux mortels qui sont ceux de l’obscurantisme peuvent être combattus en revenant à la source des lois laïques : son origine n’est pas la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 mais les lois Ferry sur l’École du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882. La première instaure la gratuité pour toutes les écoles publiques, la seconde rend l’instruction obligatoire tant pour les filles que les garçons. C’est de l’École que naît la laïcité de la République, c’est par l’École qu’elle vit.

Il faut que l’École soit d’abord le lieu de la transmission du savoir puis celui de l’éducation laïque. Il ne s’agit sans doute pas de revenir à la sentence morale écrite chaque matin au tableau noir, mais au cœur même de l’École qu’est la transmission du savoir, pour renouer avec l’apprentissage de la laïcité.

La seule morale que l’École enseigne est celle du savoir : l’autorité du maître comme détenteur du savoir, l’écoute et le respect de l’autre qui conditionnent la construction de la rationalité.

Le rempart de lécole

L’École est l’arme contre l’obscurantisme qui renaît, celle qui permet de s’opposer aux fausses croyances et aux fanatismes par le savoir, y compris celui du fait religieux.

L’œuvre est de longue haleine mais elle sera une rupture tant avec le laxisme qu’avec l’extrémisme. Il n’est sans doute pas trop tard pour la renaissance de notre laïcité, lien de la paix républicain.

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