Révélations de l’ancien préfet, La tragédie de Ponte-Leccia

Le crime organisé assassine la Corse

Amaury de Saint-Quentin n’a pas fait dans l’euphémisme. Son audition dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée nationale revêt deux aspects. Le premier affirmant que le grand banditisme accentue son emprise ne relève pas de la nouveauté. Par contre son assertion d’une contamination dans l’épicentre des services de l’État fait l’effet d’une déflagration qui appelle réponse des autorités gouvernementales concernées. L’indicible drame de Ponte Leccia qui emporta Chloé est par ailleurs l’exemple sanglant d’une dérive mortifère aveugle qui risque de faire sombrer la Corse et appelle au vital sursaut.

Par Jean Poletti

Hasard du calendrier ? Le 28 janvier, exactement un mois avant la session de l’Assemblée de Corse sur le grand banditisme, l’ancien préfet livrait ses convictions au Palais Bourbon. Des propos à huis clos mais qui furent éventés par RCFM, et aussitôt mis sur la place publique.

Celui qui est désormais préfet de Bretagne fut en poste dans l’île et eut tout loisir de s’imprégner des réalités, alliant sujets de satisfactions et part d’ombre. Parmi cette dernière, la prégnance de la voyoucratie, et son entrisme dans divers secteurs économiques. La doxa employée, ici et dans les allées du pouvoir national, consistait fréquemment d’accuser à mots couverts une porosité entre grand banditisme et certains édiles. Il était aussi de bon ton de flétrir cette omerta, mise à toutes les sauces afin d’expliquer le peu de résultats des investigations. Implicitement de telles allégations renvoyaient à une sorte de responsabilité collective des citoyens. De victimes d’une situation, ils devenaient à tout le moins complices par non-dénonciation. L’un des adeptes de cette dialectique fut sans conteste Manuel Valls lorsqu’il fut Place Beauvau puis à Matignon. En cela, il réanimait l’antienne du concept de « préfeticide » qui émergea dans certaines officines policières au lendemain de l’assassinat de Claude Érignac.

La vérité qui dérange

La messe était dite. La chose entendue. Oui il existe des chefs de bandes et de gangs. Certes selon la formule consacrée, ils ont décidé de vivre et braquer « au pays ». Mais à maints égards leur progression est due à la collaboration active ou passive des habitants. Voilà le sempiternel discours.

Cet édifice artificiellement élaboré semblait essentiellement dévolu à ancrer dans les esprits de l’opinion continentale que le tableau peu reluisant relevait de cette culture du silence érigée en dogme.

Loin de nous l’idée de faire le panégyrique des barons du crime ou leurs affidés et petites mains. Mais accréditer l’idée qu’ils progressent sur le terreau du mutisme ou de la connivence relève de la flagrante contre-vérité, synonyme de grossier mensonge. Exemple éloquent si besoin, le fameux Al Capone fut jeté dans une prison après que le fisc eut épluché ses comptes et découvert des revenus injustifiés. Plus près de nous, l’emblématique Brise de Mer ne cessa son long règne que par une guerre interne qui la détruisit.

Brisons-là les contre-exemples de ceux qui veulent faire passer des vessies pour des lanternes. D’ailleurs en quelque sorte Amory de Saint-Quentin remet les pendules à l’heure. « Le crime organisé imprègne l’intégralité de la société corse. » Et d’ajouter ce qui est le véritable pavé dans la mare « jusqu’aux services de l’État ».

Cette dernière partie de phrase, pourtant essentielle, ne fit nullement réagir en haut lieu. Comme si en quelques mots les augures qui nous gouvernent étaient gênées aux entournures et dépouillées de leurs arguties.

Éternel constat

Pourtant l’ancien préfet de Corse fut entre autres particulièrement surpris par les agissements de la juge Hélène Gerhards mise en examen pour diverses malversations et ses liens supposés avec « un individu très favorablement connu des services de police ». D’un étonnement, l’autre, avec ce policier soupçonné d’être « la taupe de la bande criminelle dite du Petit Bar ».

En toute hypothèse, le haut fonctionnaire, comme cela est dans ses prérogatives, utilisa à plusieurs reprises l’article 40 du code de procédure pénale. Durant ses fonctions insulaires, il l’activa une trentaine de fois, signalant aux magistrats des renseignements relatifs de crimes ou délits. De telles informations donnèrent lieu à l’ouverture d’informations judiciaires, dont certaines sont encore pendantes. Elles sont instruites par le parquet d’Ajaccio, mais également par le pôle économique et financier de Bastia.

Quel sera l’épilogue de ces dossiers? En toute hypothèse voilà qui inflige un sérieux camouflet à ceux qui n’ont à la bouche que le mot omerta pour dire rien n’est possible. Mais ces adeptes de la théorie de l’édredon ont une certaine propension à laisser passer l’orage avant de reprendre leur leitmotiv injuste et suranné. Cela fut le cas après la publication du rapport parlementaire sous l’égide de Jean Glavany. Dans un document intitulé « La Corse a droit à l’État de droit », étaient passées en revue les pressions et prévarications des voyous. Avec en exergue les carences de ceux qui avaient mission d’assurer la principale prérogative de la République. Faut-il aussi convoquer le note détaillée de Bernard Legras ? L’ancien procureur général de Bastia dressait une carte des agissements de ceux qui tenaient le haut du pavé du milieu insulaire. Ces indications furent-elles véritablement suivies d’effets ? Sans jouer les Cassandre, rien n’interdit d’en douter. Que devinrent ces signalements ? Furent-ils appréhendés à l’aune de leur importance ?

La loi du colt

Depuis, dans une inexorable spirale, uniquement entrecoupée de périodes calmes, règlements de comptes, incendies de commerces, destructions d’engins de chantiers et pressions redoublèrent pour s’incruster dans les activités légales.

En corollaire, le trafic de drogue s’amplifia, au point de devenir ici aussi un phénomène de société. Les saisies se comptent désormais à chaque fois en plusieurs dizaines de kilos, laissant imaginer l’ampleur prise par les dealers et leurs activités. Car pour une découverte de stupéfiants, combien passent entre les mailles du filet ? Nous en sommes arrivés à l’impensable situation où les trafiquants s’approprient des quartiers. Interdisant même la venue d’employés municipaux. Cela fut notamment, on s’en souvient, le cas à Ajaccio, tandis qu’à Bastia des riverains manifestèrent leur exaspération de la présence de revendeurs au pied des immeubles.

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