L’Edito de Paroles de Corse
Par jean Poletti
L’exemple vient d’en haut stipule l’adage. Il n’a semble-t-il pas emprunté ces verdoyantes allées qui bordent les palais de la République. Stupéfiant hasard du calendrier. Au moment précis où le vénérable Barnier annonçait l’austérité, l’Élysée, le Sénat et l’Assemblée nationale réclamaient en chœur une hausse de leurs budgets. Les économies, c’est pour les autres. Le bon peuple maugréa sa colère. Multiplia les avertissements sans frais. Courroux entendu. Face à la jacquerie naissante les quémandeurs renoncèrent contraints et forcés. Toute honte bue, ils dirent que c’était pour «participer à l’effort.» Quelques millions d’euros ici, un peu plus là manqueront à l’appel. Ils ne feront pas défaut pour assurer l’existence fastueuse des princes qui nous gouvernent. Certes les rallonges financières n’étaient pas exorbitantes, mais le symbole d’équité et de justice vola en éclats. Ancrant davantage l’idée que nos représentants s’exonéraient des efforts réclamés pour juguler leurs coupables errements. À l’évidence une telle attitude confirmait, si besoin, une élite hors sol. Étrangère malgré les discours compatissants aux affres de la France d’en bas. Ceux qui passent pour être des Mozart de la finance ne semblaient avoir uniquement retenu du célèbre compositeur que la marche funèbre. Enterrant sur une fausse note les ultimes accents de crédibilité des citoyens envers leurs
représentants. Davantage que les sommes réclamées c’est sans conteste l’instant qui suscita l’effarement. Plus qu’une faute, il s’agissait d’une erreur, aurait dit Talleyrand. Comment en effet ces têtes, que l’on dit bien pleines, purent commettre une telle ineptie ? Sans doute ce bon plaisir qui permet d’ignorer la réalité en épousant le fait du prince. Passez muscades, roulez carrosses. Et vogue la galère. Ces éminences imaginèrent-elles l’esquisse de l’ombre d’un instant les dégâts dans l’opinion? S’interrogent-elles sur les conséquences désastreuses chez tous ceux qui loin d’être des Crésus sont pourtant sommés d’apporter leur écot? Doit-on rappeler que jusqu’à présent les maisons dirigées par Macron, Larcher et Braun- Pivet n’étaient nullement au régime du pain sec. Tant s’en faut. D’ailleurs un récent rapport de la Cour des Comptes épinglait les somptuaires dépenses élyséennes. Avec pour le seul an dernier quelque cent-vint-cinq millions d’euros, et un déficit oscillant pour cet exercice à huit millions. Toujours plus. Envoyez la monnaie. Donnez votre obole. Pas morts les fastes de Versailles. La juridiction chargée de s’assurer du bon emploi des deniers publics n’est pas amène. Et de relever pêle-mêle un dîner à cinq-cent-mille euros lors de la réception du Roi d’Angleterre. Une dépense équivalente en agapes pour le Premier ministre indien, par ailleurs autoritaire et raciste. Sans oublier la foultitude de voyages à l’étranger, souvent stériles. Ou encore ceux qui furent annulés à la dernière minute, faisant à eux seuls partir en fumée la bagatelle de huit- cent-mille euros. Les magistrats de la rue Cambon, sous la houlette de Pierre Moscovici, égrènent la litanie. Parmi elle, les nombreuses cartes bancaires généreusement octroyées aux agents et utilisées sans justificatifs. Byzance ressuscitée. Pour faire taire la plausible philippique, disons que la représentation nationale doit assurer un certain train de vie. Mais est-il raisonnable, à l’heure d’une restriction généralisée, de n’avoir eu aucun scrupule de vouloir accroître encore leur cassette. Et de s’appliquer sans réticence le précepte du quoi qu’il en coûte ? La chasse au gaspi battue en brèche par les tonneaux des Danaïdes. Et que dire du Palais du Luxembourg. Il reluquait lui aussi sur sa part du gâteau. Pourtant il dispose d’un magot conséquent avec plus d’un milliard d’euros d’immobilisations financières. Mais il faut croire que ce trésor de guerre ne suffisait pas. D’où une rallonge réclamée de six millions, sans doute pour prévenir les fins de mois difficiles. Scénario encore plus surréaliste du côté des députés. Dix millions supplémentaires. Nulle motion de censure ne s’esquissa, de quelque bord qu’elle fut, pour s’opposer à ce bonus. Pas même des Insoumis qui pourtant fustigent sous tous les tons les gabegies. Finalement ces rallonges incongrues, uniquement stoppées par le véto populaire, ne sont qu’une pratique ancrée dans les habitudes en cour chez nos gouvernants, semblant calfeutrés dans leurs tours d’ivoire. Chez nous, on dit u techju un crede u famitu. Ainsi des notes confidentielles exhumées donnent à penser que Bercy aurait dissimulé le dérapage du déficit. Nul budget rectificatif ne vint en temps opportun pour éviter la débâcle actuelle. L’exécutif a-t-il volontairement ignoré les divers avertissements, mettant sous le tapis les chiffres qui fâchaient? Comment en quelques mois peut-on passer de quatre à six pour cent du produit intérieur brut sans aucune réaction ? Devant l’éventualité d’une commission d’enquête parlementaire, Bruno Le Maire répond par une énigme : « Un jour vous saurez. » Dans l’île on sait déjà que l’addition sera particulièrement salée, tant elle a la fragilité du cristal. Et pendant ce temps-là, pied de nez parmi d’autres à une légitime revendication, l’enveloppe de continuité territoriale attend d’être abondée et sécurisée. Baccala per Corsica et fichi secchi. Comme dirait un bonapartiste: «Le rêve passe…»
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