Depuis quelques années comme ailleurs la Corse a fait son cinéma ; Jean-Pierre Mattei, cinéaste, est un précurseur en la matière, il est l’auteur d’ une série de livres sur la Corse et le cinéma. Il est aussi à l’initiative de la cinémathèque de Purtivechju, Casa di Lume. Depuis la fin du xixe siècle, on peut dire qu’ici les bobines s’enroulent et se déroulent, que la toile se tisse et fait son chemin, empruntant toute sorte de film ; du documentaire, au court et au long métrage, passant par les séries et les téléfilms.
Par Vannina Angelini-Buresi
L’île de Beauté sert très souvent de décor mais sait aussi bien le planter, avec une société qui évolue sur le territoire immortalisée par la magie de la caméra. Mise en lumière pour la sublimer, la promouvoir mais souvent pour alerter, informer, critiquer ou même parfois dénoncer. Le cinéma est une économie non négligeable aussi pour notre île au cœur de la Méditerranée, une mer qui abrite de joyeux cinéphiles et des joyaux du cinéma.
De Napoléon aux bandits d’honneur, d’une terre toujours colonisée à la vindetta de Colomba. Des deux guerres aux années sombres du nationalisme, d’une société enracinée attachée à ses valeurs jusqu’à celle depuis des années en perte de repère, la Corse un territoire nourrissant l’imaginaire des cinéastes. De la réalisation d’Abel Gance à celle de Pascal Tagnati… Un cinéma en voie de développement plus que présent et émancipé.
C’est dans les années 20 après la Grande Guerre que la Corse devient une terre de tournage, on retiendra Abel Gance qui mettra en scène Napoléon. Le maquis chez nous inspire, il est nourri et regorge d’histoires de bandits et de vindette qui seront si souvent représentés à l’écran.
Terre de chants et de musique, la Corse également en avant sur la toile avec ses The Voice en tête d’affiche tels Tino Rossi et César Vezzani. Une cinémathèque à Purtivechju encore une fois enrichie d’archives de vieux films muets et sonores que son père fondateur, Jean-Pierre Mattei a pris soin de constituer. Elle représente aujourd’hui un patrimoine colossal pour notre île.
Les drames et l’honneur
Avec l’apparition dans les années 80 de réalisateurs qui posent en toile de fond une société qui évolue avec les problèmes auxquels la Corse doit faire face. Le cinéma de Marie-Jeanne Tomasi dévoile la face cachée et parfois sombre de la Corse sauvage et riche de son histoire jusque-là exposée. Des thématiques telles que la différence des classes sociales et la misère morale sont avancées. L’homosexualité féminine, l’évolution de certains quartiers et les problèmes de logements sont ainsi abordés.
La Corse, ses drames, ses souffrances, son honneur. La guerre, la Résistance, ont comme ailleurs été portées sur le petit comme sur le grand écran avec entre autre Philippe Carrese à travers Malaterra ou encore Liberata.
En perpétuel mouvement, une Corse qui bouge, un cinéma qui évolue.
D’autres réalisatrices et réalisateurs insulaires comme Dominique Tiberi ou plus récemment Julie Perreard, Francescu Artily, Thierry de Peretti ou dernièrement Pascal Tagnati posent souvent un regard sur une Corse qui se cherche parfois en quête d’identité ou qui à contrario en déborde trop.
Une société contemporaine mise à nue qui mélange brillamment si souvent fiction et réalité. Un nouveau cinéma corse qui questionne et qui peut aussi se permettre de juger.
Une génération de cinéastes qui veut retranscrire ce qu’elle vit au quotidien ce qu’elle voit et qui l’interpelle.
Un genre très inspiré de faits divers, de faits réels, un cinéma engagé ? Via des métrages courts comme celui de Frédéric Farrucci en collaboration avec Jérôme Ferrari avec Suis-je le gardien de mon frère ou encore une fois, le cinéma de Thierry de Peretti à travers entre autre Une vie violente ou Les Apaches. Des versions comédies sur fond d’auto dérision avec l’atypique Gérard Guerrieri et son mythique Afrika Corse ou l’acteur humoriste Éric Fraticelli, qui a poursuivi sur la voie initiée par L’Enquête corse en proposant plus récemment Permis de Construire. Éric Fraticelli que l’on avait connu beaucoup moins drôle dans Mafiosaet dont le personnage ne nous était pas si inconnu finalement.
Le projecteur de l’actualité
L’actualité politique et le développement économique de l’île est une source d’inspiration pour nos jeunes réalisateurs qui assistent souvent des réalisateurs non corses.
Les Anonymes, Un Pienghjite micca retrace un fait divers et politique qui a marqué l’histoire et tout un peuple. C’est avec beaucoup d’émotion mais parfois de colère aussi que le film a été accueilli dans l’île, certains ont été scandalisés. La série Mafiosa, la fameuse, une création originale de Canal+ a été une des pionnières à dépeindre les dérives d’une société qui mêlait fiction et fond de vérité. Les différentes saisons ont été un succès ici comme sur le continent. Ces nombreuses réalisations ont toutes permis à de jeunes talents d’acteurs isulani de percer, bien souvent révélés d’ailleurs par les courts métrages nustrale.
La Corse aujourd’hui a un beau noyau d’acteurs et d’actrices foisonnant. Certains sont des acteurs qui tournent exclusivement ici et d’autres poursuivent aussi une carrière à l’extérieur.
Les exilés sont de retour
La récente montée du nationalisme en Corse et l’accession au pouvoir des nationalistes a permis à Paoli de revenir sur l’écran.
Depuis Abel Gance, aucun cinéaste n’avait remis en scène ce personnage historique. C’est à travers le regard du jeune Bonaparte que Rinatu Frassati le hisse sur la toile, dans le moyen métrage Les Exilés. Un film salué par le grand public en Corse, joué par des acteurs confirmés et débutants, sublimé via sa bande originale et rythmé comme très souvent par des voix et des chants culturels. La musique et le chant appropriés, choisis pour habiller le cinéma réalisé ici, sont puisés dans le fond patrimonial ou sont des créations originales, des commandes travaillées en collaboration avec les groupes et interprètes de l’île.
Source inépuisable d’inspiration, paysages inégalables à perte de vue… Une terre dont on ne se lasse pas… Qui attire bien au contraire. Preuve en est les annonces de casting et les notes d’informations concernant les lieux de tournage qui occupent les fils d’actualité des réseaux sociaux.
De nombreux réalisateurs veulent tourner ici, leurs synopsis traitent parfois du lieu et de ce qu’il s’y passe mais pas forcément. Le lieu peut avoir également un lien indirect, ou porter un message plus subtil. Les personnages peuvent être inspirés par des gens d’ici sans être réellement des rôles de Corses. Ils peuvent rappeler la Corse sans qu’il n’y ait de lien direct avec celle-ci, ou que l’histoire se situe à l’endroit où elle est tournée. Pour autant s’agit-il de cinéma corse ou de cinéma de Corse ? Certains réalisateurs attachés à tourner ici n’ont pour autant rien à revendiquer et ne tiennent pas spécialement à ce que leurs réalisations soient reconnues en tant que telles. Sans polémique aucune ils pourraient bien prétendre appartenir au cinéma corse ou de Corse. Ils contribuent à enrichir ce patrimoine cinématographique et participent à une économie florissante. C’est avec le soutien et l’aide de la Collectivité et des différents festivals tels qu’Arte Mare et celui de Lama qui les mettent en avant qu’ils peuvent mener à bout leurs projets.
Un talent qui s’exporte
Le cinéma réalisé sur l’île représente aujourd’hui un secteur économique non négligeable.
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