Sexisme: Ne rien lâcher

Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, il perdure et ses manifestations les plus violentes s’aggravent, l’actualité récente l’a encore illustré. En Corse, les acteurs et plus particulièrement les actrices du changement restent mobilisés. Plus que jamais. 

Par Caroline Ettori

Le 25 janvier dernier, le rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) sur l’état du sexisme en France livrait ses résultats implacables : en dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités depuis Me Too, les clichés et les stéréotypes sexistes perdurent. L’opinion est paradoxale : elle reconnaît et déplore l’existence du sexisme mais ne le rejette pas en pratique, majoritairement chez les hommes. La persistance du sexisme dit « ordinaire » est d’autant plus préoccupante qu’elle peut conduire aux manifestations les plus violentes.

Parmi les hommes de 25 à 34 ans, près d’un quart estime qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter, et tous âges confondus 40% trouvent normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants. En ce qui concerne les femmes, 80% estiment être moins bien traitées que les hommes en raison de leur sexe et 37% disent avoir déjà subi des rapports sexuels non-consentis. En même temps, ils estiment ensemble, à une écrasante majorité, que l’action des pouvoirs publics est insuffisante.

Ce rapport réalisé à partir des chiffres officiels et des résultats du baromètre Viavoice mené auprès de 2 500 personnes représentatives de la population a conduit le HCE a proposé un plan d’urgence global contre toutes les manifestations du sexisme et ses causes. Les efforts porteront sur la protection, la répression mais également sur la prévention dès le plus jeune âge. En outre le numérique, far west du sexisme ordinaire à la pornographie la plus dégradante, fera l’objet d’une attention particulière.

Compte à rebours 

En Corse, ces résultats n’étonnent pas. Ils sont même de nature à renforcer la détermination des acteurs du changement. Au sein de la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE), la directrice Vannina Saget revient sur ce nouveau rapport. « Notre passé est encore lourd de sens et nous nous inscrivons dans un temps long pour changer les choses. On ne peut pas balayer d’un revers de main tous les stéréotypes et les idées reçues qui ont construit notre société. Cela n’est pas surprenant que certains jeunes répondent encore à ces vieux modèles. Pour autant, il ne faut pas baisser les bras. »

L’occasion pour Vannina Saget de rappeler la mission de la Direction, au-delà du déploiement de la politique du gouvernement en matière d’égalité femmes-hommes : « Il s’agit d’une politique transversale, interministérielle, qui s’appuie sur l’ensemble des acteurs du secteur, un large réseau de partenaires privés, associatifs et publics. Nous sommes mobilisés sur les questions d’autonomie économique des femmes, d’entrepreneuriat au féminin, d’insertion professionnelle mais également sur les questions de santé, de logement, d’éducation… Et la promotion de la culture de l’égalité doit intervenir dès le plus jeune âge. »

L’Éducation nationale est ainsi un des partenaires naturels de la Direction. Les établissements insulaires peuvent accueillir une exposition itinérante organisée en collaboration avec la Protection Judiciaire de la Jeunesse reflétant les principes d’égalité et de mixité et luttant contre les violences sexistes et sexuelles. « C’est la démonstration par l’exemple. La valorisation de ces actions donnera envie aux autres acteurs de les reproduire, de se dire que c’est possible. C’est un travail que nous faisons toute l’année, rythmée bien sûr par des temps forts. »

Si la journée du 8 mars reste hautement symbolique, tout récemment, A Rinascita autre interlocuteur privilégié de la DRDFE, s’est investie dans la promotion des sciences auprès du public féminin. Le 11 février dernier, les membres de l’association ont profité de la Journée internationale des femmes et des filles de sciences pour mettre à mal les stéréotypes de genre à travers une grande exposition. « Dans ce cas, la contribution des jeunes a permis d’interpeler les parents. Ces représentations selon lesquelles les filles seraient mauvaises en maths et en sciences, ce type de raccourcis font la différence quand vient le moment de l’orientation. Dans 75% des cas, les parents ont une affluence sur l’orientation de leurs enfants. La reproduction des schémas, l’évolution des mentalités passent aussi par la sensibilisation des parents. »

Après la sphère éducative, le monde du travail a également besoin de relais pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. La CGT2A a été retenue pour un appel à projet visant à informer l’ensemble des employeurs insulaires sur leurs droits et obligations sur ces méfaits, sur le lieu de travail. « C’est aussi un moyen de repérer les personnes victimes de ces abus dans la sphère privée et qui ne sont pas sans conséquences dans leur vie professionnelle. Certains signes peuvent alerter les employeurs tels que des relations compliquées entre collègues ou un absentéisme répété », précise Vannina Saget. 

Pour la directrice, le territoire souffre d’un manque de porteurs de projet spécialisés. « Il n’y a pas encore de culture commune mais on y travaille. De jeunes citoyens s’engagent dans tous les domaines à travers des actions comme “ Buzzons contre le sexisme ” ou “ Clash tes stéréotypes ”. La prise de conscience s’opère. »

Toutefois, comment évaluer ces dispositifs et actions de terrain sans données objectives, sans un véritable observatoire régional ? Les seuls chiffres disponibles sont ceux du Bureau de la coordination de la sécurité en Corse dépendant de la préfecture de région. Ainsi en 2022, ce service a recensé 1 133 faits de violences intrafamiliales dont près de 80% de violences conjugales soit une augmentation de 18,5% des faits de violence par rapport à 2021. La Corse n’est pas une exception et suit la tendance nationale mortifère. Le combat s’annonce particulièrement ardu. 

L’allégorie de la caverne

Audrey Royer est prête à le mener jusqu’au bout. La créatrice de Podcastu Sexistu et de Sex by Step est un des maillons forts de ce réseau pour l’égalité femme-homme. Soutenue par la DRDFE et sa directrice Vannina Saget, la jeune femme multiplie les initiatives, rencontres, partenariats et tables rondes afin de libérer la parole des plus jeunes et accélérer l’évolution des mentalités et des comportements. 

« En parlant avec les jeunes, on se dit que la situation n’est pas désespérée. Une prise de conscience globale s’opère s’agissant des discriminations qu’elles soient liées au sexe, au genre, à la religion, à l’origine ethnique, au milieu social. Le plus dur maintenant est d’arriver à en sortir. C’est l’allégorie de la caverne de Platon. Les stéréotypes nous assurent un certain confort, une place dans la société prédéterminée. Il faut avoir le courage de sortir de tout ça. »

Un mot revient régulièrement dans le discours d’Audrey : déconstruction. La déconstruction qui agite, qui effraie, qui ébranle nos certitudes. « Comprendre que nous répondons à des stéréotypes est une chose mais les analyser, les traiter est une autre étape. D’ailleurs, veut-on seulement changer ? C’est moralement juste mais il n’y a aucune obligation à être vertueux. »

Ces contradictions entre théorie et pratique, entre savoir et faire, Audrey les relève régulièrement auprès des jeunes qu’elle questionne. « Les adolescents sont encore très attachés aux schémas caricaturaux : comment un garçon doit se comporter, ce qu’une fille doit accepter ou faire pour plaire… Même chose pour les réseaux sociaux, l’acceptation de l’autre ou le consentement. Ils savent ce qu’ils devraient faire ou ne pas faire mais n’arrivent pas toujours à s’y plier. »

Sur le baromètre du sexisme en France, la jeune femme tente de relativiser sans minimiser le phénomène. « L’information donne une réalité aux choses. Jusqu’à présent, nous n’avions pas vraiment de données. Un peu comme pour les MST et IST, les maladies et infections transmissibles, si on sait, on traite. Pour le sexisme, c’est pareil. Le fait de savoir, d’avoir des mots pour identifier le mal est malgré tout positif. C’est ce qui nous permettra de changer les choses dans tous les domaines y compris dans le monde professionnel encore très marqué par les stéréotypes et les discriminations. »

Le monde du travail et de l’entrepreneuriat est d’ailleurs le prochain sujet d’étude d’Audrey Royer aux côtés de la M3E et BPI. Après les jeunes et la sexualité et l’égalité femme-homme qui l’a conduite à collaborer avec Sophie Ettori de la Maison des Adolescents du Sud Corse, avec Marie-Ange Filippi, la créatrice d’Au fond des Choses ou encore à intervenir sur les ondes de Frequenza Nostra aux côtés du Corevih, la jeune femme entame une réflexion plus large sur l’économie insulaire avec, évidemment, un volet consacré à la place des femmes. Le combat continue. 

+ d’infos sur les pages Instagram : 

@podcastu.sexistu

@sx.bystep

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