Soyons réalistes, demandons l’impossible !

Edito

Par jean Poletti

Ce slogan prisé lors de la révolte estudiantine en 1968 conserve sa vigueur lors de chaque nouvelle année. Depuis elle se dépouilla de toute connotation politique mais conserva prégnante l’espoir d’un meilleur avenir. Les vœux ne mangent pas de pain. Ils peuvent habiller les excès au parfum d’utopie. Mais chez nous, nul ne prône l’inaccessible rêve et se limite à un sobre Pace è salute qui scelle, au-delà des croyances, les attentes forgées dans le réalisme. Nul ne pourra ignorer qu’ici la paix est placée avant toute chose. Tel un préalable qui transcende même la santé. Dans cet adage venu de la nuit des temps palpite l’ardent désir de terrasser la violence endémique. Celle qui malheureusement perdure, passant de la vendetta aux règlements de comptes, rackets et prévarications, amers fruits d’un banditisme ayant droit de cité. En ces jours propices aux souhaits, obstacles aux lourds nuages, se dessine une sorte d’appel désespéré. Fatuité diront certains. Vacuité rétorqueront d’autres. Mais même chez les sceptiques vacille, sans qu’ils le reconnaissent, une petite flamme d’espérance. Et si cela advenait malgré l’esprit cartésien ? Tel est en secret cette petite voix qui semble susurrer à leurs oreilles. « La confiance dans le hasard est une attitude de vaincu », proférait Confucius. Comme en écho Voltaire renchérissait « la destinée nous mène et se moque de nous ». Sans doute. Toutefois invoquer le futur procède d’une incantation propre à l’être humain. Il tente en une prière laïque de forger un mieux-être individuel et collectif, même si en son for intérieur chacun sait pertinemment que cela n’est pas synonyme d’inscription dans le marbre de l’épilogue escompté. Est-ce à dire qu’un tel rituel s’oppose au réalisme des temps modernes ? Nullement. Surtout pas dans l’île. Ici, la signification ploie sous le poids d’une histoire marquée par la rudesse des temps et les oppositions frontales aux multiples envahisseurs. Cela laisse immanquablement des traces dans l’inconscient. Et ouvre la porte aux sollicitations, fussent-elles, chimériques. Ainsi dire et répéter qu’en Corse cette tradition n’est pas uniquement simple formalité dictée par l’habitude relève de l’évidence. Sur cette terre qui vécut tant de bouleversement, il est compréhensible que l’on s’adressât avec plus de convictions qu’ailleurs à la providence afin qu’elle accède à ces requêtes confinant au bonheur. Oui, dans l’île plus que sous d’autres horizons hexagonaux existe un impérieux besoin d’en appeler aux augures sans même savoir s’ils existent. Le philosophe décèlera une démarche d’humilité devant l’inconnu. La seule et unique façon d’empêcher l’éclosion du mauvais sort. Dans cette fragile adresse se dessine en filigrane la fragilité de la condition humaine. Celle qui est ressentie depuis trop longtemps sur nos rivages et dans l’intérieur. La folle spirale qui semble entraîner notre île renvoie au fameux on ne sait plus à quel saint se vouer. Comme si aujourd’hui plus qu’hier encore il était besoin d’adresser des suppliques sans en connaître le destinataire, si tant est qu’il existe. Chez nous en effet le point de non-retour économique, social et partant sociétal, n’est plus vue de l’esprit. Aussi, tel le malade qui s’accroche à toute médecine aléatoire, une communauté se tourne comme en ultime salut vers la nébuleuse inconnue. Celle qui transcende les contingences et permet d’accéder au fameux bien, cher à Platon. Cette fois-ci cette quête trouvera-t-elle écho favorable ? Et si elle s’accompagnait d’une prise de conscience au sein de la population ? Qu’enfin chacun apporte sa pierre à l’édifice pour améliorer le quotidien ? Certes même s’il en était ainsi demain on ne raserait pas gratis. Cependant des améliorations ne joueraient plus l’Arlésienne. La solidarité. Voilà ce qui est en notre pouvoir. Mais cela ne s’habille pas de simples attentes aussi louables soient-elles. La Corse, osons insister, est à la croisée des chemins. Le terreau des difficultés qui s’amoncellent est synonyme de décrochage et en incidence propice à l’essor de la voyoucratie. Aussi, il n’est pas surprenant que l’association A maffia nò ait demandé au pape de délivrer un message fustigeant l’empire du milieu. Au-delà chacun espère en son for intérieur que la paupérisation soit sinon vaincue à tout le moins réduite. Et sans jouer les Cassandre la crise de régime qui frappe la France n’est pas propice à une embellie insulaire. Chi fà ? D’abord et avant tout en finir avec les postures et ukases politiciens qui grèvent par trop le devenir commun. Ensuite initier une sorte d’union sacrée qu’impose la situation. Enfin ne plus faire des individualismes un mode de vie. Car chacun doit avoir omniprésent à l’esprit qu’en cette petite région au réel particularisme, la survie sera collective ou ne sera pas. Puisse en ces temps d’échanges d’aspirations et d’attentes avoir une claire conscience, s’engoncer dans une position de témoin passif relèverait de la non-assistance à la communauté en danger. « Soyons réalistes, demandons l’impossible ! » Oui à condition de croire qu’une telle antinomie se double d’une conviction citoyenne sans faille. Ainsi si l’objectif ne peut décemment pas être atteint, il pourrait s’en approcher. Cela bien évidemment n’occulte pas le fameux Bon di è bon annu è bon capu d’annu. Pace è salute per tuttu l’annu.

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