Explosion des gestes suicidaires des adolescentes lors de l’épidémie de Covid-19, sans équivalent chez les garçons et hommes jeunes et sans augmentation pour autant des « suicides aboutis », semblant sur ce dernier point plaider en faveur de l’efficacité de la mise en place de dispositifs d’écoute et de prévention.
Par Charles Marcellesi, médecin
GESTES SUICIDAIRES DES ADOLESCENTES LIÉS À LA COVID-19
Le journal Libération a publié une synthèse d’études scientifiques réalisées dans de multiples pays de plusieurs continents*, avec une discussion méthodologique sur ce qui a été statistiquement mesuré (âge, existence ou non du confinement, tentatives de suicide, gestes auto-infligés, idées suicidaires), concluant à une explosion de gestes suicidaires chez les seules adolescentes et femmes jeunes de 10 à 19 ans à l’origine d’une augmentation significative des hospitalisations : +27,7% en France entre septembre 2020 et août 2021. La même tendance n’a pas été observée chez les adolescents et les jeunes adultes hommes ; quant au taux de suicides « aboutis », il n’a pas varié sur la période considérée, quelle que soit la catégorie de personnes.
LA FRAGILITÉ DE LA FEMME JEUNE FACE À LA COVID-19
La pandémie de Covid-19 a eu une incidence immédiate pour les adolescents dans trois domaines : elle a bouleversé les rythmes vitaux (diminution du sommeil, changement dans la routine quotidienne et scolaire, difficulté à suivre les cours en ligne), elle a modifié et restreint les interactions sociales (diminution des contacts avec les amis, avec les autres adolescentes, avec les enseignants qui assurent le soutien technique ou adulte) et entraîné soit la diminution des échanges avec les membres de la famille par téléphone ou au contraire intensification des liens lors des périodes de confinement y compris lorsqu’ils sont toxiques et pathogènes. Àcela s’ajoutait l’angoisse de contracter une maladie aux effets mal connus et potentiellement mortelle. La vulnérabilité féminine peut alors se comprendre en regard de deux considérations : 1/ le moment du développement psychosexuel, l’adolescence, et le vécu subjectif de sa sexuation ; 2/ la plus grande sensibilité des femmes que les hommes à ce qui existe, le réel du quotidien, de la physiologie du corps, comme celui de la maladie.
ADOLESCENCE ET IDENTIFICATION
L’adolescence pour les deux sexes est le moment où le sujet doit se reconnaître dans une nouvelle image de lui-même, et plus exactement image de soi sexuée. Ce processus se fait sur une période de transformation du corps durant plusieurs mois et années avec l’apparition des caractères sexuels dits secondaires : pilosité, chez la femme seins, hanches, silhouette « ganoïde ». Cette identification, transitive, à l’image de soi, se fait grâce à la présence d’adolescentes du même âge ayant une image comparable à ce reflet. Ce partage d’expérience d’identification souligne le caractère crucial des interactions sociales à cet âge à l’origine d’amitiés souvent indéfectibles. L’épidémie a donc contrarié en profondeur ce processus d’identification à l’image de soi et transitivement à celle des filles du même âge.
SEXUATION FÉMININE ET MODALITÉ DE JOUISSANCE
Mais la sexuation féminine ne tient pas qu’à l’image : il y a également identification, cette fois-ci intransitive, des rôles symboliques qui attendent la jeune femme comme partenaire sexuelle adulte et surtout comme mère. Ce deuxième processus d’identification, cette fois-ci symbolique, est corrélé à un réel, perçu dans le corps sous la forme de l’apparition cyclique des règles et la promesse de la grossesse ; avec l’angoisse que cela peut générer chez l’adolescente, sous la forme parfois retrouvée dans la clinique des anorexies mentales (refus des transformations sexuées du corps, aménorrhée), ou encore dans la boulimie (vécu dépressif de la peur de la grossesse). C’est ce réel, spécifique à la femme, qui est de même nature que la préoccupation féminine qui rend les femmes aptes à s’occuper de ceux qui ne parlent pas pour signaler qu’ils sont en souffrance, comme les nourrissons, et décide des vocations de puéricultrice ou d’infirmières pour les grands malades, métiers à prévalence féminine. C’est cela qui forge la perception féminine aigüe de la maladie – comme la Covid-19 – ou du bien-être, une des modalités que la théorie de la psychanalyse appellera avec Lacan « jouissance féminine », c’est-à-dire induisant angoisse ou désir, sans indexation à la pratique sexuelle qui reste l’apanage du sexe mâle même si les femmes y sont forcément intéressées dans leur rapport aux hommes.
PRÉVENTION
Quant au constat heureux que l’explosion des gestes suicidaires féminins lors de l’épidémie de la Covid ne se traduit pas pour autant en augmentation de suicides aboutis, les spécialistes de la santé mentale l’attribuent en grande partie à l’existence de dispositifs d’écoute et de consultations spécialisées : en Corse il s’agit du 3114, écoute professionnelle et confidentielle 24h/24 et 7/7, ou encore le dispositif Vigilan S Corse , du lundi au vendredi, n° vert 0801 907 944 de 9h à 17h du lundi au vendredi , appliqué pour toute la Corse par le Centre hospitalier de Castelluccio.
*France, Angleterre, Autriche, Suisse, Slovénie, Espagne, Estonie, USA, Canada, Australie, Hong Kong, Corée du Sud, ONU femmes, Japon…
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