Sur la brèche…

Tribune

Par Vincent de Bernardi

Le souvenir de 68 n’a pas fini de donner des idées à tous les protestataires qui rêvent du grand soir. Cheminots, étudiants, lycéens… La convergence de leur lutte ferait de Mai 2018 un formidable remake de Mai 1968. Seulement voilà, un demi-siècle s’est écoulé.

Tout a changé et si les héritiers des soixante-huitards n’ont pas les mêmes idéaux révolutionnaires, ils ont sans doute les mêmes fantasmes, le même opportunisme « petit bourgeois ». Interrogés par l’institut Yougov pour le HuffPost, les Français disent attendre un mouvement comparable à celui de 68. Ils sont 52% à l’espérer, dont 24% pensent même que c’est « tout à fait nécessaire ». Sans surprise, c’est chez les sympathisants de gauche que l’on trouve la plus forte proportion de soutien à la réédition d’un « Mai 68 » (70%). A l’inverse, les électeurs d’Emmanuel Macron y sont majoritairement opposés. Mais que représente cet évènement dans l’esprit des Français ? Remise en cause de l’ordre établi, révolution ratée ? Cinquante ans après, ces événements sont avant tout perçus comme un succès social (58%) et culturel (53%). Seulement un tiers des sondés mettent en avant le succès politique. Dans un pays qui connaît régulièrement grèves et blocages, le mythe du printemps social reste assez largement ancré dans les représentations des Français. C’est d’ailleurs l’augmentation du pouvoir d’achat qui est majoritairement associé à Mai 68, thème qui devrait être la priorité aujourd’hui en France selon la plupart des personnes interrogées. L’organisation du travail, les rapports hommes/femmes, le malaise étudiant et la libération des mœurs arrivent loin derrière.

Besoin de résistance

Dans ce contexte, le leader de la France Insoumise est vu comme la personnalité politique incarnant le mieux les idéaux de 68. Il est d’ailleurs considéré comme le principal opposant, loin devant tous les autres, à Emmanuel Macron.

A ceux qui voudraient voir les ferments d’un nouveau tournant, Edgar Morin, témoin engagé du printemps 68 apporte un éclairage intéressant. A cette époque, avec Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, il envisageait dans « la Brèche » les évènements comme un bouleversement culturel qui produira ses effets sur le long terme plutôt que comme une révolution. Revenant sur cette période dans une interview récente à l’Obs, il estime que le problème de civilisation mis en évidence en mai 68 s’est aggravé. Cette « brèche » ne s’est pas refermée. Elle est même, dit-il « toujours plus béante ». Pour lui, « le rejet d’une civilisation qui prétend apporter aux hommes le bien être mais ne parvient pas à combler les aspirations profondes est au cœur de nos difficultés contemporaines, collectives et individuelles ». Il souligne que le dogme néolibéral qui nous impose ses contraintes économiques, sans alternative, ne peut plus suffire et explique le besoin de résistance, voire de révolte.

Le feu sous la cendre

Or, un demi-siècle d’individualisme a dégradé les solidarités et porté un coup à l’action collective. Pour Edgar Morin, le grand défi post soixante-huit est bien « d’insuffler un renouveau communautaire » sans renoncer à l’autonomie individuelle. Si le modèle de la révolution « marxiste-léniniste » est derrière nous, si l’explosion généralisée comme en 68 est peu probable, Edgar Morin estime qu’un « besoin révolutionnant renaîtra nécessairement ». Zadistes, Nuit Debout, associations anti-corruption ou réclamant la taxation des transactions financières en sont les avatars. Ils sont, selon lui, les nouveaux soixante-huitards pourfendant le social-libéralisme comme leurs aînés le Gaullisme, dénonçant comme eux, une dérive autoritaire. Mai 2018 avait marqué le rejet de l’autorité du monde adulte. Désormais, c’est l’autorité tout court qui est contestée. C’est pourtant bien cette autorité qui est attendue par une majorité de Français.

 

Déconstruire pour transformer ?

Depuis son élection, Emmanuel Macron a donné de nombreux signes d’autorité. Ses dernières interventions télévisées ont rassuré ceux qui redoutaient un recul voire même une simple concession sur la réforme de la SNCF ou la sélection à l’Université. Il entend et « en même temps » ne cède rien. C’est précisément pour cela que ses soutiens restent mobilisés. C’était une des motivations de leur vote il y a un an. On savourera ce qu’il déclarait en 2014 dans un entretien au journal « le 1 ». Evoquant ceux qui regrettaient de s’être laissé intimider par la brutalité du moment, il estimait que « derrière mai 68, il y avait un mouvement de déconstruction par rapport à l’autorité ».

Et si la transformation qu’il entend mener à bien parfois en déconstruisant, avec cette autorité réhabilitée, était suffisante pour refermer la brèche ?

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