Par Pascal Zagnoli , doctorant en sciences de gestion et du management à l’Unité Mixte de Recherche « Lieux, Identités, eSpaces, et Activités » et chargé d’enseignement à l’Université de Corse.
Aux prémices de la saison estivale reviennent les sempiternelles questions liées au tourisme, à notre volonté ou non d’en accueillir ou encore au modèle que nous souhaitons. Ces interrogations, qui peuvent paraître pertinentes, renvoient néanmoins à une forme d’incapacité pour une île, ses décideurs et ses habitants à faire face à un modèle économique basé de longue date sur cette activité. Nous allons donc essayer de faire un tour d’horizon de l’impact de ce secteur et de ses opportunités de développement.
Le tourisme en chiffres
Les flux touristiques engendrés par la saison impliquent une forte hausse démographique dans notre île, qui compte environ 350 000 habitants hors saison, lorsqu’elle en accueille en moyenne 3,5 millions. Cet apport massif est quantifiable en valeur de dépense et se chiffrerait d’après l’Insee, à environ 39% d’un PIB estimé à 10 milliards d’euros. L’impact de ce secteur sur l’emploi est également important dans la mesure où environ 27 000 emplois sont issus du tourisme (dont un peu moins de la moitié est saisonnier).
Un secteur transversal…
Pour comprendre réellement l’impact du tourisme sur l’île il faut avoir une vision globale. En effet, ce secteur économique doit être abordé de façon transversale tant il rayonne sur de nombreux secteurs d’activités. Le BTP, notamment, car le tourisme implique des investissements dans la construction bien sûr (hôtellerie, restauration, logements…) mais également dans les infrastructures publiques qui doivent se mettre à niveau : ports, aéroports, infrastructures routières, parkings, réseaux électriques et assainissements. Ces investissements viennent renforcer un peu plus la prépondérance du tourisme, ainsi que ses effets indirects en matière de recettes financières et fiscales. Le tourisme impacte également d’autres secteurs comme celui de l’agriculture et de l’agroalimentaire qui est sollicité pour fournir en produits locaux l’industrie, les hôtels et restaurants qui favorisent les circuits courts. En matière de transports, le tourisme joue un rôle considérable, sur les flux aériens et maritimes, mais pas que. Également sur les transports internes notamment en matière de location de voitures ce qui confronte parfois l’île et ses prestataires à des risques de pénurie. La culture, le patrimoine, les services, l’événementiel, etc., sont autant de secteurs qui en saison sont dopés par la présence touristique. En somme, le tourisme interagit et influe sur une variété de secteurs économiques et sociaux, créant ainsi un réseau d’interdépendances, des logiques de synergie, mais également des défis à résoudre !
…pour quels coûts ?
Aborder le tourisme et ses apports nécessite également de parler de l’impact plus négatif que celui-ci peut engendrer. Notamment du point de vue écologique sur nos lacs, nos sentiers, en montagne ou en mer. La présence de plusieurs millions de visiteurs renforce la menace qui plane sur nos écosystèmes, augmente les risques de pollutions et favorise la production de déchets. Dans une île incapable depuis 30 ans de maîtriser sa politique de collecte, de traitement et de valorisation des déchets, la saisonnalité de l’économie ne fait qu’aggraver ce phénomène. De mai à septembre, les collectivités locales doivent assurer et financer le traitement des déchets de plusieurs millions de résidents temporaires à moyens constants. Ce qui s’avère être une équation difficile à résoudre pour nombre d’entre elles… Le tourisme a également un impact sur les infrastructures de santé déjà en deçà des besoins attendus par la population résidente à l’année, ou encore sur les principaux axes routiers qui nécessitent d’être entretenus et rénovés entre chaque saison. Problématique encore plus prégnante : le logement. Le taux de logements vacants consacrés à de la location touristique est encore très important et impacte les Corses qui souhaitent se loger à l’année favorisant une rarification de l’offre et une hausse mécanique des prix.
Vers un tourisme à développer…
À la conclusion de cet article, l’idée n’est donc pas de savoir si nous sommes pour ou contre le tourisme tant il est important dans notre économie, mais plutôt de réfléchir comment le développer ? En allant sans doute vers un modèle qui privilégie le qualitatif au quantitatif, et vers un tourisme plus durable basé sur d’autres ressources que le littoral. En Europe, de nombreuses initiatives touristiques fonctionnent autour de l’économie thermale ou encore de l’agrotourisme. Ce sont principalement deux pistes qui auraient du sens dans une île comme la nôtre et qui permettraient de développer de nouvelles activités en dehors de la seule saison estivale. Cela nécessiterait une réelle volonté des décideurs publics et les investissements dédiés en matière d’infrastructures et de politique de transports. Mais également d’être capable de flécher des lignes de transports destinées à des populations touristiques mieux ciblées et choisies. Une étude de 2022 de la banque mondiale nous indique que les populations ayant le plus fort pouvoir d’achat sont celles issues du nord de l’Europe. Or, actuellement, elles ne représentent qu’un taux marginal dans l’île. Travailler à un nouveau tourisme nécessite donc des choix en matière d’offres, de cibles mais également un volet formation qui devra y être consacré. En considérant le secteur touristique comme une véritable « industrie », il faut alors créer et penser des formations d’avenir pour former et développer les compétences des ressources humaines mobilisées. Pour ne plus considérer ces emplois comme de simples « jobs saisonniers » mais bel et bien comme des métiers, aux compétences reconnues et rémunérées, intégrés dans un écosystème global créant de la valeur ajoutée pour l’île.
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