Ultime pied de nez, il rendit son dernier souffle lors de la venue du président de la République. Toussaint Luciani, fut durant des décennies un acteur incontournable de la politique insulaire. Homme d’influence et de réseaux, ses chroniques dans Paroles de Corse conjuguaient l’analyse et la prospective pour ouvrir cette troisième voie qu’il appelait de ses vœux.
Par Jean Poletti
Le glas de Moca-Croce accompagnait à son éternelle demeure un personnage hors du commun. L’ancien maire de la commune, l’édile régional, l’homme au passé tumultueux, l’intelligence au service de sa vision de la Corse. Autant de considérations qu’enveloppaient en un suaire d’affliction une foule dense durant ce voyage avec la mort. Dont il nous dit récemment qu’il avait appris à ne pas la craindre.
La vie de Toussaint Luciani fut un véritable roman. Iconoclaste dans cette société qui ploie sous l’uniformité la son parcours fut exclusivement dicté par ses convictions. Lui le polytechnicien, que l’on disait alors l’un des plus brillants officiers de sa génération, jeta ses galons par-dessus les djebels pour épouser la cause de l’OAS. Au-delà du jugement de valeur, ce fut d’emblée une démarche de conviction qui forgea au fil du temps son existence. Et ses engagements futurs.
Plutôt que de redire ici les étapes majeures de sa vie politique, mieux vaut les éclairer par quelques anecdotes qui campent davantage que longs discours l’unité d’un homme, pétrie de fulgurances intellectuelles, au service de ce qu’il croyait être juste et bon pour notre ile.
Personnage hors du commun ? Sans aucun doute. Elu à la première assemblée régionale sous l’étiquette MRG, il signa aussitôt un coup d’éclat. La date butoir pour l’élaboration du budget était atteinte et rien n’était encore prêt. Toussaint Luciani s’installa à un coin de table et en trois heures élabora, seul, les grands chapitres du document financier ! Le préfet n’en crut pas ses yeux, et reconnut après analyse que le document tenait la route, tant en investissement qu’en fonctionnement.
La Corse au cœur
Dans l’hémicycle, bannissant les éclats de voix, son analyse parfois étincelante renvoyait systématiquement à sa préoccupation cardinale tenant en une simple interrogation : Est-ce bénéfique pour notre ile ? Le reste lui était indifférent. Cette démarche lui interdisait de se fondre dans le moule ou s’abriter derrière la discipline des formations. Un peu libertaire ? Oui. Adhérent un temps au Parti socialiste, il préféra créer sa mouvance et afficher ses propres couleurs lors de scrutins territoriaux.
Une singularité qui fut remarquée lors des fameux Lundis de Matignon initiés par Jospin. Il développa sans fards une certaine idée de la Corse, devant à ses yeux s’édifier sur le socle de la « troisième voie », qu’il fut l’un des premiers à théoriser. A cet égard Olivier Schrameck, alors directeur de cabinet du premier ministre se dit interpelé par la richesse des propos de l’édile, mais aussi par son parcours a tout le moins original. Il s’en entretint en aparté avec lui, afin de vérifier si tout ce qui figurait sur son curriculum vitae était l’exacte vérité. Et Toussaint Luciani de confier goguenard a ses proches : « Il est tombé de sa chaise quand j’ai dit qu’il manquait quelques épisodes de mon passé. »
De l’humour et la formule à l’emporte-pièce à la colère froide la frontière était parfois allègrement franchie. Ainsi, lorsque le préfet de l’époque visita, en son absence et sans qu’il ait été prévenu le Service départemental de secours et d’incendie dont il était président, sa riposte fut cinglante. « Moi, on ne me foule pas aux pieds. » Et après avoir demandé des excuses, de dire en forme d’épilogue « Il se prend pour qui le gus. Le fait du prince pas avec ma pomme. » Si ce n’est pas du Audiard Cela y ressemble étrangement.
L’ami fidèle
C’était tout cela Toussaint Luciani, et bien plus encore, tant sa personnalité était complexe et attachante.
Car transcendant toutes ces péripéties, jamais son sens de la fidélité et le respect de la parole donnée ne furent pris en défaut. Son crédo ? « Un ami ça se défend quand il a raison, mais aussi et surtout quand il a tort »
Dire que la vie de Toussaint Luciani fut un roman, n’est sans doute pas exagéré. Lui le combattant a lutté debout, regardant en face et sans sourcilier celle qu’il nommait la faucheuse.
Il n’a jamais livré tous ses secrets. Mais comme le disait fort bien Malraux La vérité d’un homme c’est d’abord ce qu’il cache.
Paroles de Corse, dont il fut d’emblée un brillant collaborateur, dépose devant sa tombe une brassée de fleurs du maquis.
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