À peine quelques fractions de seconde. Dans une situation de grand stress, tout peut basculer et c’est précisément ce moment suspendu et les décisions prises dans ce laps de temps par les professionnels de l’environnement et de la sécurité que l’Université de Corse et la T3 Team vont étudier. Des choix qui, sur le terrain, peuvent s’avérer capitaux.
Par Caroline Ettori
C’est un projet très particulier qui mûrit depuis maintenant plusieurs mois au sein de la FRES, la Fédération de Recherche Environnement et Société de l’université de Corse, dirigée par Don Mathieu Santini. Un projet atypique, transdisciplinaire initié par la T3 Team Tactical Training et soutenu par Jean-Louis Rossi, maître de conférences à l’université, spécialiste des feux de forêts et du risque incendie qui revient sur ce programme : « Il s’agit de traiter de la capacité à prendre des décisions sous stress avancé ou mal géré. Le but est de tester scientifiquement une méthode que les instructeurs de la T3 Team en tant que professionnels du risque ont développé pour voir s’il existe une corrélation entre capacité physique, répétition des gestes et stress. L’objet est de l’appliquer à deux corps de métier : les pompiers et les forces de l’ordre. Cette étude aura un impact fort en local d’autant plus que nous serons accompagnés par les opérationnels des SDIS 2A, 2B et le CNFPT. »
Les jambes… mais surtout la tête
Jean-Paul Jauffret est instructeur et expert international en krav maga. Depuis 24 ans, en tant que spécialiste de la protection rapprochée et consultant tactique pour la police, l’armée et la lutte contre le terrorisme, Jean-Paul forme les différents corps des forces de l’ordre tels que le 2e Régiment étranger de parachutistes de Calvi ou encore la police municipale d’Ajaccio.
Passé par Israël, le Canada et les États-Unis, ce professionnel de la sécurité s’appuie sur le krav maga pour optimiser ses entraînements. « Le krav maga n’est pas un art martial, c’est un système dont le principal objectif est l’efficacité. Créé pour l’armée, il s’est par la suite étendu au civil comme une technique de combat pour tout ce qui peut arriver dans la rue. Il n’y a pas de règle, pas de limite. Entre l’autodéfense et le combat, c’est plus un combat. L’aspect psychologique est aussi fondamental. Nous ne sommes pas habitués à la violence. On nous a appris que socialement, la violence n’est pas acceptable. Pourtant, il peut nous arriver d’y être confronté, il faut dans ce cas savoir comment réagir. Pour moi, l’anticipation est la clé. Quand psychologiquement on est prêt, on peut enclencher la désescalade et l’agresseur aura moins de chance de prendre le dessus. »
C’est justement cet aspect, plus psychologique, plus cérébral du krav maga qui poussera Jean-Paul Jauffret a entamé une démarche scientifique. L’instructeur n’en est pas à son coup d’essai. « J’ai collaboré avec la New York University et les forces de l’ordre autour du coup de poing. En cas d’altercation, le policier n’a pas un round de trois minutes comme en boxe pour maîtriser son assaillant. Il ne dispose souvent que d’un seul coup. Nous avons travaillé sur la meilleure façon de l’asséner sous stress et sous contrainte. »
Bien sûr, les armes à feu font également partie de la réflexion de l’instructeur. Elles font partie intégrantes de l’environnement et de l’équipement des forces de l’ordre mais s’en servir n’est jamais anodin : « Le policier qui pense utiliser son arme, pense aussi au danger qu’il affronte, à la loi, à sa famille, aux conséquences administratives, à une peine de prison éventuelle, à sa vie, à la vie de la personne ou des personnes en face de lui. En moins d’une seconde, que doit-il faire ? Quelle est la bonne décision à prendre ? »
Les forces de l’ordre ne sont pas les seules concernées par ce type de questionnement ou plutôt cette avalanche de questions : « Une situation de stress intense, une décision qui peut s’avérer décisive, vitale, c’est aussi le quotidien des chirurgiens, des médecins urgentistes ou encore des pompiers. Il faut savoir maîtriser ses émotions pour pouvoir faire son métier correctement. Et quel est le meilleur entraînement pour y arriver ? »
Un entraînement hors norme
Cette question est au cœur de la recherche présentée à l’université de Corse. « La T3 Team a mis en place une méthode empirique et l’Université apportera son expertise scientifique pour confirmer ou infirmer ce protocole », souligne Jean-Louis Rossi. Un programme qui pourrait à termes intégrer les centres de formation des pompiers et du CNFPT. Un travail de longue haleine débuté il y a un peu plus d’un an et où si peu sera laissé au hasard. « Les premières discussions remontent à 18 mois. Jean-Paul Jauffret et son associé Stéphane Chatton étaient déjà en contact avec les Canadiens sur ces problématiques mais préféraient que le projet prenne corps ici, en Corse. J’en ai parlé à Don Mathieu Santini, directeur de la FRES qui s’est tout de suite montré intéressé voire intrigué : comment le krav maga pouvait intégrer une recherche universitaire ? Les discussions, passionnantes, se sont poursuivies avec la T3 Team, et très vite nous avons parlé des feux de forêts, des feux de fortes puissances et des moyens de lutte contre ces incendies. Le rapprochement entre entraînement physique, préparation psychologique et prise de décision s’est fait naturellement. » Le projet d’étude est alors validé par l’université et sera porté via une thèse par le commandant du SDIS 2B en charge de la formation Frédéric-Antoine Santoni.
Plus largement, l’objectif de cette étude est d’établir une base commune de gestion de stress et la spécialiser en fonction des besoins notamment pour les forces de l’ordre. « Pour élaborer ce socle commun, chacun fera sa partie : technique, médicale, intelligence artificielle, la partie psychologique sera assurée par un professeur de Montpellier. Tout sera décortiqué : le stress, le pouls, les réactions… », précise Jean-Louis Rossi. Une étude transversale, lauréate du prix Paol’Innov 2.0 et qui s’étirera sur cinq ans. « Si cette méthode non conventionnelle est validée, nous pourrons la faire breveter et décliner les situations auxquelles les professionnels de terrain sont confrontés. »
« Chaque pas sera bénéfique », assure Jean-Paul Jauffret. Nous avons déjà rédigé des scenarii de stress qui seront testés sur des professionnels expérimentés et d’autres non expérimentés. Les vidéos et questionnaires seront analysés par des psychologues et chercheurs. Cela permettra de créer un simulateur et un parcours scientifique. Encore une fois, nous sommes persuadés que nos techniques d’entraînement sont efficaces, ce sera l’occasion de le prouver. » Et pourquoi pas d’imposer l’université de Corse comme un acteur majeur de la sécurité en Méditerranée.
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