Loin des clichés, loin des tabous, le premier colloque consacré à la transidentité en Corse a eu lieu en avril dernier à Ajaccio, à l’occasion de la troisième édition des Semaines de la santé sexuelle organisée par l’ARS et ses partenaires. Autour de professionnels de santé, de grands témoins et de représentants associatifs, la parole a circulé librement, sans heurt, pour mieux comprendre et accompagner ce parcours de vie.
Par Caroline Ettori
C’est le signal de départ que beaucoup attendaient. Le 12 avril dernier à l’hôtel Campo dell’Oro à Ajaccio, la transidentité, ou plutôt les transidentités tant les nuances sont propres à chacun, ont été au cœur d’une grande réflexion. Une synergie qui a permis à la fois d’informer, de partager les expériences et d’envisager l’amélioration de l’accompagnement des personnes concernées. Une première qui a débuté, comme il se devait, par un travail de déconstruction. Se défaire des a priori, des représentations dont nous sommes tous porteurs, parfois sans même le savoir ni le vouloir.
Kevin Guigou, chargé de prévention au sein de l’Enipse Paca Est, a ouvert l’événement en rappelant notions de base, bons conseils et grands principes jalonnant le parcours d’une personne transgenre : des questionnements initiaux à la transition sociale, administrative et médicale en passant par le coming out. En clair, une personne transgenre est une personne qui s’écarte des attentes traditionnelles reposant sur le sexe assigné à la naissance. Son expression de genre et, ou, son identité de genre relèvent de son ressenti. Il s’agit des réponses aux questions : comment vous pensez-vous dans votre tête ? Et comment l’exprimez-vous ?
Bien sûr, les obstacles, les inévitables stéréotypes et discriminations ont été abordés par le conférencier. Au-delà des clichés du style « les garçons aiment le bleu et ne pleurent pas », « les filles préfèrent le rose et ont besoin d’être protégées » qui façonnent encore notre quotidien, il y a l’incompréhension, le regard des autres, les raccourcis malheureux mais aussi les violences.
Violences en hausse
En 2022, selon le ministère de l’Intérieur, les crimes et délits anti-LGBT+ ont augmenté de 12% par rapport à 2019, dernière année de référence avant la crise sanitaire. Ce sont 3 790 atteintes, crimes, délits, contraventions dressées commises en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre qui ont été recensées par les forces de l’ordre. Par ailleurs, SOS Homophobie dans son rapport annuel sur l’état des lieux de ces violences établi à partir des témoignages recueillis sur ses plateformes d’écoute révèle des chiffres inquiétants. L’association a reçu 179 témoignages d’actes transphobes, qu’il s’agisse de discriminations, injures ou agressions. Aucun espace n’est préservé, les méfaits intervenant aussi bien dans les lieux publics, en consultation médicale, en ligne, en famille ou à l’école.Désormais, la transphobie est le deuxième pôle de signalements, après les agressions contre les hommes gays qui sont historiquement les plus nombreux à témoigner auprès de l’association. En outre, un quart des personnes qui ont témoigné de transphobie ont moins de 25 ans.
Enfin, en moyenne, seule une personne LGBT+ agressée sur cinq porte plainte. Un taux qui chute à 5% lorsqu’il s’agit d’injures.
Cette transphobie volontaire ou involontaire n’a pas épargné les grands témoins participant à la table ronde de l’après-midi. Ces personnes trans ont dû affronter les réflexions déplacées, les mesquineries, les insultes et pourtant elles sont là, fortes, « lumineuses et radieuses ». Autour d’elles, les docteurs Anne-Sophie Perchenet, chirurgienne plasticienne et Vanessa Hiblot, médecin urgentiste formée à l’accompagnement des personnes transgenres, Sophie Ettori psychologue au sein de la maison des adolescents Sud Corse à Porto-Vecchio, Aurélie Maquigneau, psychologue et sexologue à Marseille, Richard de Wever délégué de la région PACA Corse de l’Enipse, coordinateur du Pôle Formation et Lee Ferrero, fondateur de l’association Transat présente à Marseille et Avignon. Ce plateau a été réuni par Paule Maerten animatrice territoriale de l’Enipse et du Corevih en Corse. La jeune femme souligne l’importance de l’accompagnement des personnes trans, spécialement dans l’île où, en l’absence de médecin conventionné, la plupart d’entre elles, plus d’une cinquantaine de personnes, doivent partir sur le continent pour accomplir tout ou partie de leur transition. Un constat qui a conduit à la création de l’association C3S, Corse Stratégie Santé Sexuelle, dont l’objet est d’améliorer l’accès au milieu médical aux personnes en transition, en créant un parcours de santé lisible et visible.
Sa vérité
Mais commençons par le commencement. Selon les participants, la transition est d’abord psychologique. Elle peut être évidente pour certains qui ont « toujours » su, elle peut être aussi la conclusion d’un cheminement plus long, plus douloureux aussi. Il n’est pas question de « changement » comme le précise la psychologue et sexologue Aurélie Maquigneau mais plutôt d’une « affirmation de soi ». Lee Ferrero insiste sur la notion d’auto-détermination éclairée. « On pense souvent que la transition est de passer d’un point A à un point B alors que c’est un processus global. Il s’agit d’orientation, de genre, de ce qui fait un homme, une femme… Nous avons plusieurs façons de déroger à la norme. De dire qui nous sommes. Dans le cas de l’autodétermination éclairée, il n’y a pas vraiment de “début” dans le processus. La validation psychiatrique n’est plus requise pour entamer la transition physique. La personne est “apte” à définir son projet et ses besoins. Encore faut-il qu’elle dispose des outils et des informations nécessaires pour le faire. »
L’animal et le coquillage
En effet, les médecins généralistes ou les endocrinologues peuvent désormais initier la transition et prescrire ainsi des hormones sans l’aval du psychiatre. Pourtant, nombre de professionnels de santé et de personnes concernées qui reconnaissent l’auto-détermination éclairée comme la base du processus relèvent la pertinence d’un suivi psychologique ou psychiatrique. « J’ai dû comprendre toute seule le fait qu’il n’y a pas grand-chose à comprendre. J’ai essayé de tout éliminer, je ne voulais pas me mentir. Cela a duré 6 mois avec 1 000 questions à la seconde. J’ai fait ma propre introspection mais je suis contente d’avoir entrepris ce cheminement toute seule. Cela m’a amenée à penser à plein de choses et à m’aimer aussi. Et au bout d’un moment, j’ai décidé d’en parler à ma psy », témoigne Arlette, une jeune femme trans qui dira aussi les difficultés de trouver les bons professionnels de santé à l’écoute. Pour Jade, l’histoire est différente. Une enfance marquée par la violence. Une violence encore et toujours présente à l’âge adulte. Une obligation de soin et la phrase qui fera tout basculer : « L’animal n’est pas dans le bon coquillage ». « Le psychiatre a posé les mots. On a commencé à en parler et je me suis sentie à la fois super forte et vulnérable. J’avais 43 ans. Il fallait que je prenne les choses en main. Aujourd’hui, j’ai compris ma construction, c’est ce qui fait que je suis à l’aise. » Il n’est jamais trop tard pour se trouver.
Le docteur Anne-Sophie Perchenet et Aurélie Maquigneau font toutes deux partie d’une équipe d’accompagnement pluridisciplinaire des personnes transgenres au CHU de la Conception à Marseille. Aurélie clarifie les choses : « Rencontrer un psychiatre ne veut pas dire qu’on est pathologique mais cela peut être mal vécu par les personnes concernées. Dans mon service, il reste le professionnel d’entrée dans le parcours mais revêt aussi une dimension de coordinateur des soins. »
Parce qu’on le sait maintenant, la transition n’est pas un long fleuve tranquille. C’est une phase intense, douloureuse, physiquement, psychologiquement, socialement. D’autant plus quand les patients sont concernés par la dysphorie de genre soit l’inconfort voire la détresse ressentie face à son sexe biologique, à son corps en général.
Néanmoins face à l’urgence de s’affirmer, d’être en accord avec ce que l’on est, il y a le temps. Le temps pour l’entourage d’accepter, ou non, le temps de vivre et de s’imposer dans sa véritable identité, le temps que les hormones fassent leurs effets et que leurs bénéfices soient supérieurs aux perturbations parfois très brutales subies par le patient. Puis viendra pour certaines personnes le temps de la chirurgie. Toutes ne passeront pas par cette case qui n’est pas obligatoire, y compris pour changer d’état civil. D’autres, au contraire, y voient la fin du parcours. D’autres encore, choisiront d’opérer qu’une seule partie du corps. « Le rendez-vous opératoire pour les implants mammaires est prévu au mois de juin. J’ai eu la chance de pouvoir faire ma transition en Corse mais cette dernière étape nécessite un déplacement sur le continent », ajoute Jade, la poitrine est le point d’orgue de la féminité pour moi. Ce sera aussi la fin de ma transition médicale. »
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Le docteur VANESSA HIBLOT est aussi artiste, auteure et photographe. Elle signe les portraits de Paule et Paul. L’ensemble de son travail est à retrouver sur son site Internet www.vanessahiblotphotographie.com
Un « Café sexo » sera organisé par L’ENIPSE le vendredi 26 mai de 19h à 21h au restaurant A CASA LECA à Ajaccio.
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