TRUMP – Ainsi parlait Zarathoustra


Par Jean-Pierre Nucci

Agir avec force a été longtemps le propre de l’homme. L’histoire nous l’enseigne. L’exemple de Sparte* ravive nos mémoires. En son temps, la cité guerrière consacrait le culte du corps, l’art de la lutte et célébrait le guerrier. Sa doctrine politique reposait sur la brutalité, envers les siens, envers les étrangers.

« Je vais vous dire trois métamorphoses de l’esprit : comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient enfant. »

Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzche

Les célèbres Aryens expérimentèrent bien avant les Spartiates** la doctrine de la force. Ce peuple se débarrassa de sa peau de docile Chameau pour endosser celle du méchant Lion. Fini l’obéissance aveugle, la passivité, il s’adonna sans retenue à l’usage de la force. Il vécut de razzias, pilla les villages alentour et bien plus loin, jusqu’au moment où il ne resta plus rien.

Quand la terre fut toute brûlée, que les réserves de nourritures furent épuisées, il prit conscience qu’il se trompait. Sur les conseils de son maître à penser*** il devint Enfant. Un être dépourvu de violence, néanmoins lucide, disposant de son libre arbitre. La métamorphose fut profitable, les Aryens jouirent après coup d’une vie douce et heureuse.

Les Spartiates oublièrent la leçon. Ils demeurèrent ancrés dans la certitude de rester des Lions, bien d’autres peuples les imitèrent ensuite ; Alexandre le Grand, Rome, brutalisèrent leurs voisins, bâtirent des empires qui s’effondrèrent à l’aube du Moyen-Âge. Ce temps-là ne fut pas heureux non plus ; les Croisades, la guerre de Cent Ans, l’inquisition et bien d’autres sauvageries en témoignèrent. La logique perdura au cours des Temps Modernes ; les guerres de religions, la guerre de Trente Ans, l’appétit belliqueux du Roi Soleil, les guerres napoléoniennes confondues, la Colonisation… On atteint le paroxysme avec deux guerres mondiales. Les continents subirent l’apocalypse. Mais la leçon là aussi fut incomprise, les guerres de décolonisation leur succédèrent jusqu’au jour où tout s’arrêta.

Il fallut en passer par-là pour que les sociétés s’assagissent et acceptent enfin d’être Enfants. Las de tant de cruautés et de souffrances, les plénipotentiaires s’assirent autour de la table et signèrent des traités. L’humanité recourra au Droit. Les tribunaux rendirent la justice. La loi sacralisa les frontières, plus aucun gouvernant ne s’aventura à étendre son territoire au risque de subir les foudres de la communauté internationale. L’Irak de Saddam Hussein l’apprit à ses dépens en 1992. C’était le bon temps. On le pensait infini.

On se trompa. L’homme redevint Chameau. En 1984, fort de cette opinion, Laurent Fabius, alors tout nouveau Premier ministre, s’écria à la tribune du palais Bourbon : « il faut maintenant tirer les dividendes de la paix ». Et l’on désarma croyant dur comme fer que le temps des Lions était révolu. Dix ans plus tard, Jacques Chirac fut beaucoup plus inspiré. Que n’a-t-on pas entendu de la part des pacifistes contre la reprise des essais nucléaires en 1995. Notre propre sécurité d’aujourd’hui découle encore de cette décision. C’est dit.

Le temps s’écoula et vingt-cinq ans plus tard Poutine dévoila sa crinière à la face du monde. Son message fut annonciateur du retour de la force. La sacralisation des frontières tomba quand ses chars envahirent la Crimée laissant la communauté internationale sans réaction. Endossant sa peau de Chameau, elle accepta d’obéir, aveuglée par l’idée que la vertu du commerce contribuait à le faire changer d’avis.

Cette attitude pour le moins frileuse encouragea le maître du Kremlin à en rajouter. Sur sa lancée, il soumit la Tchétchénie, détruisit la Syrie et envahit l’Ukraine. Ces attaques ignorèrent le principe de non-agression**** sur lequel reposait la paix entre les nations.

Et nous avons pensé, à tort, que cette folie causerait sa perte. En parfait démocrate (Enfant/Chameau désormais), respectueux du droit international, de la Charte onusienne, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de toutes les valeurs qui fondent nos démocraties en somme, nous pensions que cette transgression ferait l’objet d’une condamnation ferme et unanime. Pauvres idiots, nous nous sommes trompés encore une fois. Les Lions sortirent du bois. On en vit venir de partout, chez nous et ailleurs. Un vent de folie perturba les consciences. Les parties d’extrême droite des pays occidentaux proclamèrent : « il est fini le temps des Enfants, voici venu le temps des Lions ». Ils prirent pour exemple la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, dans une moindre mesure de l’Inde, du Brésil, de l’Argentine, la Turquie…      

Les Enfants furent ébranlés mais refusèrent d’ouvrir les yeux, une naïveté confondante les conduisit à croire encore au bouclier de l’Otan. La protection présumée inviolable, voilà qu’ils découvrirent à leurs dépens qu’un « pays ami » planta un couteau dans leur dos. L’Oncle Sam, le supposé persécuteur des Lions, le pourfendeur de l’Axe du mal, le garant du respect des règles internationales, enfonça la lame.

Trump, nous y voilà, son élection est légitime autant qu’elle est sidérante et révoltante à la fois. Sidérante car il semblait impensable que le Président des USA agresse ses alliés. Révoltante car elle relève de la trahison. Le projet de faire du Canada le 51e État des États-Unis est une gageure, le pari est trop insensé pour être envisageable, il en va de même du canal de Panama, en revanche le projet d’annexion du Groenland semble plus réaliste. Il inquiète. Ce territoire presque inhabité, riche en minéraux et en énergies fossiles, statutairement autonome, néanmoins danois, intégré de ce fait à l’alliance transatlantique, semble intéresser de très près « M. Deal***** ».

L’annonce stupéfia l’UE. Pensez donc, voilà que le chef d’un pays civilisé (Enfant) se comporte ni plus ni moins de la même façon qu’un voyou****** (Lion). Incroyable ! Sa stratégie est double, elle repose sur la force armée d’une part et sur l’acquisition d’un territoire par l’argent. Et voilà que « M. Deal » projette de financer en dollars l’achat un bout d’un pays souverain. On en rirait si ce n’était pas sérieux. Imaginons une situation similaire pour la Corse ! Pour des raisons géostratégiques et de profits « M. Deal » projetterait d’acheter une partie de l’île – tu n’es pas un peu fou non ? – Il privatiserait le plus beau et établirait de luxueux établissements touristiques pour ses proches (manquerait plus que ça !) C’est pourtant ce qui risque d’advenir au Groenland. Il existe là-bas des habitants qui ne souhaitent pas qu’on urbanise leur pays, qu’on exploite leurs gisements, qui aiment la nature, s’adonnent à des plaisirs simples, la chasse, la pêche, la cueillette, le sport, la contemplation et refusent de se soumettre aux diktats d’un homme sans mesure.

M. Deal n’est point commode, le mot est bien choisi, on le sait, quand il n’obtient pas ce qu’il veut, il recourt à l’intimidation. La menace est connue désormais, il change de manière unilatérale les règles du jeu. Son dada, les droits de douane. L’entrée des produits danois sur le sol américain se verront taxés comme jamais. N’est-ce pas agir en Lion que d’agir ainsi ?

Pour le bonheur de tous Trump devrait lire Nietzsche, se pencher sur l’histoire, s’intéresser à la philosophie, étudier le zoroastrisme et la théorie du « Surhomme. » Il apprendrait que le bonheur appartient non pas à ceux qui ont recours à la force ou l’intimidation (Lions), mais bien à ceux qui prône l’amitié et la non-violence (Enfants).

On ne peut contraindre un peuple à obtempérer par le glaive ou la menace. La liste des incuries est longue ; Sparte, Athènes, Rome tombèrent, les huguenots survécurent, l’Afghanistan resta invaincue, les Américains furent défaits au Vietnam, renversèrent Saddam Hussein à nos dépens, créant de ce fait l’État islamique. Pour finir le Hamas n’est pas mort, l’Ukraine n’abdique pas.

« Hélas ! J’ai connu des hommes nobles qui perdirent leur plus haut espoir. Et dès lors ils calomnièrent tous les hauts espoirs. »

Zarathoustra

*  Sparte. Cité état grecque, située dans le Péloponnèse, rivale d’Athènes au cours de l’Antiquité.

** 628-551 avant J.-C.

*** Zarathoustra.

**** L’Assemblée générale de l’ONU a adopté, le 9 décembre 1948, une convention internationale en vue de prévenir et de réprimer le génocide et, le 10 décembre 1948, la Déclaration internationale des droits de l’homme. 

***** Trump.

****** Article 8 bis du Statut de Rome : le crime d’agression s’entend de la planification, la préparation, le déclenchement ou la commission d’un acte consistant pour un État à employer la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État.

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