L’été a été chaud, pas seulement du côté température,
mais également par toute une série de mauvaises nouvelles qui ont largement contribué à faire monter le thermomètre touristique économique et social.
Par Jean-André Miniconi
Commençons par la saison touristique
qui ne tint pas ses promesses et qui a vu
la Corse boudée par les vacanciers. Les
professionnels du secteur ont déjà prévenu
les autorités des conséquences financières
qui risquent de mettre au tapis bon nombre
d’entreprises. On a ensuite appris que
Volotea avait, crise de lèse-majesté, osé
soumissionner à l’appel d’offres de la future DSP aérienne, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir sur l’avenir d’Air Corsica. Par ailleurs, le feuilleton Airbnb s’est poursuivi. Enfin plusieurs annonces, dont la continuation des taux élevés et la probable fin du dispositif Pinel font craindre le pire pour le secteur immobilier. Je passe sur le rapport de la Chambre Régionale des Comptes concernant la gestion de la ville d’Ajaccio qui ne fait qu’entériner ce que l’on sait déjà: un endettement important par rapport à ses capacités de remboursement qui vont probablement l’obliger à faire une pause dans ses investissements. Tout ceci n’augure rien de bon pour l’avenir et met à mal le modèle économique corse bâti en très grande partie sur des systèmes de rentes. Alors à quoi peut-on s’attendre? Le tourisme reste quoi que l’on pense le principal vecteur sur lequel l’économie s’est construite. Cependant, ce secteur s’est développé au fil de l’eau en s’adaptant à une demande primaire des clients, sans stratégie à long terme, sans contrôle des autorités. Du coup, on en est resté à de la cueillette de base: transport, hébergement et restauration sans développer le petit plus qui fait la différence. En 2021 et 2022 on a cru que le secteur repartait de manière pérenne. En 2023, avec la fin des restrictions sanitaires, les pays qui étaient à la traîne ont réouvert et la concurrence mondiale a réapparu pleine et entière. Dans ce contexte, les clients ont pu faire leur choix librement en fonction de leurs préférences et de leur budget.
Touristes clandestins
À cette baisse de fréquentation, se rajoute la problématique de l’économie informelle qui explose en Corse. Les touristes sont non seulement moins nombreux mais en plus privilégient l’économie parallèle de type Airbnb qui ne profite pas aux professionnels ayant pignon sur rue. Les chiffres énoncés dans l’article de Corse-Matin du 21 août sont édifiants: les plateformes Airbnb et VRBO ont mis en location quelques 35000 logements et généré un chiffre d’affaires de 474 millions d’euros, soit une progression de 113% depuis 2018. Devant la levée de boucliers, essentiellement due aux difficultés qu’ont les ménages pour se loger, il est fort à parier que les communes en tension, en particulier Ajaccio et Porto-Vecchio devront prendre des mesures de régulation stricte pour ce genre de locations. Dans tous les cas, le modèle touristique doit évoluer et devenir plus sophistiqué. Il doit concilier, évidemment les attentes des clients, la protection de l’environnement et réduire les externalités négatives du tourisme. Pas de place pour les bricoleurs. Le secteur immobilier a aussi de
quoi s’inquiéter. Il a été porté ces dernières années par des taux bas, des dispositifs fiscaux incitatifs et par une demande en progression constante entretenue par le développement des locations saisonnières. Aujourd’hui, le secteur n’est plus aussi porteur et a même entamé une décrue au niveau national. Pour le cas spécifique de
la Corse, la régulation nécessaire des meublés de tourisme devrait ralentir considérablement la demande de logements neufs. C’est sûrement la fin d’une rente de situation dont on n’est pas sûr qu’elle ait majoritairement profité à des investisseurs locaux.
Collectivités au pain sec
Le secteur aérien retrouve son niveau d’avant-crise. Mais les équilibres changent. Les compagnies low-costs avantagées par leur business model prennent des parts de marchés dans le court et moyen courrier. Les majors préfèrent se concentrer sur les vols longs- courriers plus rémunérateurs. C’est dans ce contexte que Volotea a grandement progressé et se pose comme un acteur incontournable des liaisons intérieur. Il était tout à fait normal que Volotea s’intéresse aux DSP corses qui représentent une manne conséquente. Bref, le problème est posé et n’est pas facile à résoudre pour la CDC. Il serait peut-être temps de mettre les choses à plat. Quoi qu’il en soit Air Corsica et Air France ont désormais un concurrent et il faudra faire avec. C’est encore la fin d’une rente qui s’annonce. L’État annonce un projet de budget des plus contraints pour essayer de réduire les déficits. Les collectivités locales auront, elles aussi, de plus en plus de mal pour boucler leurs comptes. D’une part, l’État se montrera moins généreux dans les dotations qu’elle accorde aux collectivités, d’autre part ces dernières seront confrontées de plus en plus à la rigidité de leurs charges, en particulier salariales, aux taux d’intérêts élevés et à la raréfaction des subventions. En clair les marges de manœuvres disparaissent et il deviendra à court terme très difficile de soutenir des niveaux d’embauches tels qu’on les a connus par le passé. Une forme de rente est en train de s’éteindre.
Dessiner un nouveau modèle
Que faire? Le monde évolue. L’économie corse est installée sur des bases malsaines et dont les fondations s’effritent sous les coups de la concurrence, de la raréfaction de la manne étatique et sous la grogne d’une population qui n’arrive plus à se loger et qui se demande si le partage de la valeur ajoutée n’a pas profité qu’à quelques-uns. On peut se poser la question si les situations de confort de certains secteurs n’ont pas aggravé les inégalités ces dernières années. Finalement, on en revient toujours à la même chose : à qui profite la croissance? Il est temps de ne plus subir et de réfléchir à un modèle de développement durable, stable dans le temps et profitant à l’ensemble de la population.
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