Par Jean Poletti
Il est des personnages qui sortent par la petite porte et reviennent par la fenêtre. Cela est fréquent en politique lorsqu’il s’agit notamment de trouver une sinécure à un ministre privé de son portefeuille. Faut-il déceler une telle pratique dans le cas de François Bayrou ? Le voilà investi de la planification avec le titre de haut-commissaire. Le président jupitérien tirerait-il un plan sur la comète, alliant récompense et inutilité ? Tournerait-il le dos à sa doctrine libérale pour épouser celle qui séduisait Marx ? Voulait-il plus prosaïquement éviter de perdre un précieux allié pour la prochaine présidentielle ? Certes Colbert planifia, mais c’était pour tenter de freiner la gabegie. Oui, à la libération, de Gaulle emprunta ce chemin dans l’objectif de nationaliser les grandes entreprises qui avaient versé dans la collaboration. Certes, la crise du coronavirus a mis à bas les préceptes chers aux adeptes du marché. Elle a montré la faiblesse d’un État dépourvu de souveraineté économique et sanitaire, sacrifiée sur l’autel de la mondialisation.
Contrecarrer cette trajectoire implique le retour à l’autonomie technologique et surtout à l’indépendance stratégique. Elle aboutit naguère à la fusée Ariane, le train à grande vitesse, ou encore Airbus et autre indépendance nucléaire ou pharmaceutique. Bref, durant un demi-siècle cette stratégie illustra la modernisation du pays. Mais est-il opportun de le souligner qu’elle fut mise au rebus voilà une vingtaine d’années ? Elle paraphait la fin d’une époque où la puissance publique commandait aux entreprises, prenant ainsi acte que l’inverse s’était produit. Changement de cap aujourd’hui ? Tentative d’un retour vers le futur ? Voilà ce qui sur le papier semble être officiellement le seul et unique enjeu. La logistique de cette cellule présentée comme une task force ? Autour du maire de Pau seront regroupés quelque deux cents collaborateurs attitrés. Mais que nul ne se méprenne malgré cette ruche bourdonnante, la comparaison avec son prestigieux ancêtre ne sera pas de saison. Pas de plan Marshall à l’horizon. Au mieux des incitations, réflexions et suggestions sur l’avenir. D’ailleurs, le président du Modem le reconnaît sans réticence : « Il n’y aura pas de planification au sens propre du terme. »Sans faire preuve d’irrévérence la formule qui nous vient naturellement à l’esprit est « machin inutile » empruntée au vocable de l’homme du 18 juin. Ou encore celle de Clemenceau « Pour enterrer un problème, on crée une commission. » Propos sévères ? Nullement. Dans un parfum de nostalgie et en écho aux florilèges du c’était mieux avant, voilà que l’ardent partisan du nouveau monde ressuscite l’ancien. En théorie seulement et limité au simple affichage. D’autant que le ci-devant Premier ministre Jean Castex ne voulait pas, sitôt nommé, se faire tondre la laine sur le dos par un alter ego ? Une sorte de vice-chef du gouvernement qui ne disait pas son nom. D’ailleurs, Emmanuel Macron, qui avait imaginé dès le début de l’été le retour de son allié dans la lumière, dut patienter quatre longs mois avant l’annonce officielle. Dans l’intervalle, il dut ferrailler avec Jean Castex qui rechignait à voir « l’ami du Président » chasser sur ses plates-bandes.
Modus vivendi ? Nul mandat impératif pour le planificateur, mais simplement un rôle de réflexion. Cela arrange tout le monde et ne mange pas de pain. Dans ce droit fil, d’aucuns s’interrogent sur ce qu’ils nomment un « tour de passe-passe ». La raison ? Bayrou sera le seul à pouvoir cumuler un mandat d’élu local avec des fonctions nationales. Dans un style qui est sa marque de fabrique Jean Lassalle parle de « sucre d’orge ». Le député, lui aussi béarnais et centriste, voilà peu encore ami du récent promu doute en euphémisme de la sincérité de la démarche présidentielle. Et tel autre parlementaire de la région d’ajouter, avec une sincérité feinte, qu’à ses yeux il n’y a pas cumul de mandats. Mais perfide d’ajouter aussitôt que François Bayrou sera le seul chef de parti disposant des moyens de l’État. À ses yeux, un mélange des genres qui entache la crédibilité de la nomination.
Au-delà des philippiques et interrogations, il n’est sans doute pas utopique d’imaginer qu’il s’agit d’une habile manœuvre de remettre un allié de poids au centre du jeu politique de la macronie. Et ce n’est pas verser dans la politique fiction de dire qu’en cas de réélection de l’hôte élyséen, le fauteuil de Matignon semble d’ores et déjà attribué…
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