UN ROI SCHIZOPHRÈNE: LOUIS II DE BAVIÈRE

Jugé « paranoïaque » par les médecins qui le destituèrent comme roi de Bavière avant son suicide concomitant du meurtre de son médecin personnel, il existe beaucoup d’arguments cliniques pour considérer Louis II de Bavière comme atteint de « schizophrénie », groupe de maladies décrit en 1911 par Bleuler.

Par Charles Marcellesi, médecin 

LE POIDS DE L’HÉREDITÉ ?

La famille paternelle de Louis, celle des Wittelsbach, compta dans ses rangs de nombreuses personnalités excentriques avec au plus proche de Louis sa tante paternelle, Alexandra, internée à Illenau, qui délirait sur des thèmes fantastiques en pensant avoir avalé un piano de verre ; le frère cadet de Louis, Othon, qui lui succèdera (1888-1913), présentait certains symptômes de la schizophrénie tels que des épisodes de catalepsie (pauses figées sur de très longues périodes). Quant aux causes de la schizophrénie, les études contemporaines conduisent à plusieurs hypothèses de dispositions génétiques de vulnérabilité révélées par des facteurs environnementaux ; on pense aujourd’hui qu’interviennent simultanément plusieurs gènes qui pris isolément ne présentent qu’un effet faible sur le risque global, que certains de ces gènes jouent un rôle dans l’aptitude au langage en étant présents et « conservés » de façon diffuse dans la population ; il pourrait s’agir par exemple, du gène C4 responsable d’une accentuation d’un processus d’élagage synaptique raréfiant la densité des communications entre cellules nerveuses (neurones) lors de l’enfance, l’adolescence et les débuts de l’âge adulte. D’un point de vue psychopathologique, on retrouve dans l’histoire de Louis II ce que Freud appelait une « fixation prédisposante narcissique », un surinvestissement des images sonores du langage (« représentations de mots ») et des hallucinations comme un mécanisme de défense contre ces processus, enfin la désorganisation du cours de la pensée avec des barrages. Bismarck en 1863 décrit sa réception par celui qui est alors Prince héritier : « Il avait l’air de n’être pas à table, et ne se souvenait que de temps à autre, inopinément, de son intention de s’entretenir avec moi »…

FIXATION PRÉDISPOSANTE DU NARCISSISME

Lorsqu’il est âgé de 8 mois, la nourrice de Louis meurt de la fièvre typhoïde, et lui-même peu après risque de mourir en réaction à ce sevrage brutal… L’éducation décidée plus tard par son père Maximilien, pour lui et son frère, est très stricte et chargée et se fait en grande partie au château de Hohenschwangau (« château de la circonscription du Gau de cygne »), où l’image du cygne est omniprésente, notamment dans les fresques peintes par Moritz von Schwind, et liée aux légendes de Lohengrin et de Tannhäuser. La fascination exercée sur Louis par le cygne qui tire la nacelle qui accompagne Lohengrin, le chevalier lige d’Elsa de Barbant, cygne qui n’est autre que la réincarnation du frère d’Elsa passé pour mort, fonctionne comme une fixation narcissique prédisposant au développement de sa schizophrénie : on entend par là que toute l’énergie (libido) née des orifices du corps qui structurent la relation du nourrisson aux premiers objets permettant la communication avec le monde extérieur (sein , regard, voix, fèces… : libido auto-érotique), permet plus tard l’investissement de l’image de soi reflétée dans le miroir – libido narcissique – avant sa reconnaissance symbolique (association de cette image au nom, à la possibilité de se compter un, identification d’une sexuation…) ; l’accident de sevrage, l’irruption de la mort, provoquent chez Louis une fixation entre libido auto-érotique et libido narcissique et compromet la phase suivante d’investissement de l’énergie psychique dans des objets et situations extérieures (libido d’objet)… Plus qu’il ne fut un roi, il se prit pour un roi des temps légendaires… Le cygne se reflétant dans les eaux du lac représente chez Louis cette fixation, qui va l’encourager dans sa fièvre bâtisseuse et fantasque de châteaux (dont celui de Neuschwanstein, « rocher du cygne ») et ses fantaisies de présentation à ses visiteurs dans les grottes artificielles pourvues de plans d’eau et de cygnes… L’homosexualité de Louis relève également du narcissisme : dans cette façon d’aimer un semblable comme on a le sentiment d’avoir été aimé par sa mère, à côté de foucades nouées dans la société de sa cour, il la pratiquait surtout secrètement avec un entourage de serviteurs et d’hommes du peuple.

LE SURINVESTISSEMENT DES « REPRÉSENTATIONS DE MOTS »

Louis fut sensible dès 12 ans aux écrits de Wagner dont il assurera plus tard par le mécénat la prospérité et la postérité artistique, et sans doute luttait-il contre la fuite morbide de la signification liée aux mots, en choisissant par exemple l’acteur Josef Kainz pour lui réciter en boucle, inlassablement, des tirades de ses pièces préférées, lors de promenades en traîneau au clair de lune ou d’escapades dans divers lieux de villégiature. On a peu de témoignages de l’activité hallucinatoire dont il était le siège mais celle-ci fait peu de doute. Enfin, son désintéressement total des affaires de l’État de Bavière, à l’époque cruciale durant laquelle Bismarck œuvre à la réalisation de l’unité allemande, conduit à sa destitution à laquelle il réagit en se suicidant lors d’une promenade nocturne en barque, entraînant dans sa mort son médecin Von Gudden.

« Le cygne se reflétant dans les eaux du lac représente chez Louis cette fixation qui va l’encourager dans la fièvre bâtisseuse et fantasque des châteaux. » 

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