Edito
Par Jean Poletti
« On veut du tourisme mais pas de touristes. » Éloquente assertion. Raccourci probant. Le propos émane de Nanette Maupertuis lorsqu’elle était présidente de l’ATC. En une simple phrase, elle relevait cette sorte de schizophrénie qui alimente les débats concernant la principale ressource économique de l’île. D’aucuns déplorent son omnipotence, d’autres la disent essentielle. Tous aspirent à la réguler. Vieux débat sans cesse recommencé, qui rejoint à maints égards la stratégie globale de développement. Pour autant, si une meilleure gestion est approche louable, enfermer ce secteur dans un carcan manichéen relève du déni de réalité. En termes feutrés ou abrupts, l’idée que la venue de vacanciers serait soumise à des critères stricts fait école. Sans avoir force de loi, ils se veulent pressante sollicitation. En forçant quelque peu le trait, disons que cela s’apparente à des séjours fléchés et contraints que devraient emprunter les touristes. Reste à savoir si ces derniers en acceptent les modalités. Ainsi rien n’est moins sûr qu’ils adhèrent avec enthousiasme à délaisser majoritairement le bord de mer au bénéfice de l’intérieur. Fut-ce à la découverte de l’âme corse. Pas non plus évident de concrétiser le concept d’étalement de la saison en jugulant l’été au profit du printemps et de l’automne. La clientèle sait ce qu’elle vient rechercher sous la canicule. Mais en contrepoint que lui est-il proposé comme prestations ludique ou culturelle en avril, mai ou octobre? Voilà qui appelle inéluctablement une nécessaire vision prospective de la politique touristique. Elle ne peut se satisfaire de vaines polémiques, alimentées par des idées reposant sur le sable des incessants changements de doctrine. Anecdote significative, l’an dernier il ne fallait plus «vendre» la saison estivale. Cette fois, sous certaines conditions, les prix des billets d’avion sont minorés pour juillettistes et aoûtiens. Finalement, ces louvoiements récents ne sont que l’écume des choses qui bouillonnent dans le non-dit éloquent de l’adhésion ou le rejet du tourisme. Si la réponse est clairement positive chez nos élus et la population alors peuvent s’ouvrir en toute quiétude des chemins pour l’organiser sans ukases ou décisions à l’emporte-pièce. Dans l’hypothèse inverse, il conviendra de trouver des ressources de remplacement pour palier à ce qui constitue actuellement plus du tiers du produit intérieur brut insulaire. Tel est l’enjeu. Voilà le défi. Ils imposent de sortir enfin du clair-obscur, alliant décisions factuelles parfois contradictoires et leitmotiv éculé, usé jusqu’à la corde, à l’image du sempiternel «Quel tourisme pour la Corse?» Depuis le temps que la question est posée le béotien est en droit d’attendre, à tout le moins, le début du commencement d’une réponse. Elle est toujours et encore aux abonnés absents. Laissant depuis belle lurette l’apanage à des poncifs. Ils émanent notamment de spécialistes autoproclamés, qui jouent les oracles médiatiques dans une phraséologie aussi stérile que convenue. Sans convoquer le passé, retenons simplement pour fixer les esprits une analyse officielle sous une mandature de droite à l’Assemblée de Corse. Lors du contrat de plan État-Région, un chapitre fut intitulé«Le tourisme, ce mal nécessaire».Touteslesdigressions,explications,incidencessemblentsuperfétatoirestant un tel jugement dénote la place donnée à une activité qui perdure souvent contre vents et marées. Nul ne disconvient que le tourisme ne doit plus être subi mais organisé, afin que par ruissellement, il bénéficie au plus grand nombre. Certes, il doit bannir la sur-fréquentation de certains sites. Bien sûr la vigilance ne peut s’atténuer face aux appétits de certains prédateurs dans la lignée d’un Samuel Flatto et son gigantesque complexe de A Testa Ventilegna. Mais entre essentielle préservation et nécessaire développement existe une voie médiane qui se nomme essor partagé. À trop l’avoir oublié laisse place à un schisme touristique réduisant la problématique dans une sommaire confrontation entre adeptes et réfractaires. Pourtant le débat vaut bien mieux qu’une telle dualité. Au risque d’insister plus que de raison, il passe par l’ouverture d’un espace de dialogue avec les professionnels, les élus les chambres consulaires et les représentants de la société civile. À eux de dire sans fards ni atermoiements comment bâtir le socle d’un tourisme conjuguant sans outrances ni diktats plus-values financières et respect environnemental. Étant entendu qu’en l’occurrence figure une ligne rouge, celle de signifier aux visiteurs, sous une forme quasi- comminatoire, où ils doivent poser leurs valises et à quelle période. S’extirper de cette néfaste philippique implique une authentique réflexion bannissant les tabous. Avec en filigrane cette évidence qu’une mauvaise saison a des répercussions sur l’ensemble de l’économie insulaire. La démonstration fut encore faite dans un passé récent. Nul besoin de comparaisons ou d’exemples pour suggérer que l’essentiel tient en quelques mots : comment pérenniser en l’adaptant un secteur qui procure à notre île un euro sur trois de ses revenus ? Sans jouer les Cassandre, nombreux conviennent que le temps est venu d’en finir avec un théâtre d’ombres, peuplé d’indécisions et d’atermoiements, n’ayant que trop duré. À moins que dans ce dossier aussi on préfère privilégier l’accessoire à l’essentiel. La communication intempestive et les slogans sans lendemains. Renvoyant aux calendes grecques une bénéfique solution au soleil du consensus…
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